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Ces stars qui se disent féministes

À travers un corpus de vedettes hollywoodiennes, Sandrine Galand explore ce qui dérange dans le féminisme pop.

Série

Doc en poche

7 septembre 2021 à 16 h 09

Mis à jour le 10 septembre 2021 à 12 h 09

Série Doc en poche
Armés de leur doctorat, les diplômés de l’UQAM sont des vecteurs de changement dans leur domaine respectif.

Sandrine Galand (Ph.D. études littéraires, 2021)

Titre de sa thèse: «Les stars et le capital de l’intime: énonciation féministe pop contemporaine»

Direction de recherche: Martine Delvaux, professeure au Département d’études littéraires

Peut-on à la fois être une star, exhiber son corps sur scène et se dire féministe? C’est l’une des questions qui traversent la thèse de Sandrine Galand, professeure de littérature au collégial et chargée de cours à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF). Celle qui enseigne le cours Féminisme et culture populaire publie ce mois-ci aux Éditions du remue-ménage Le féminisme pop. La défaillance de nos étoiles, un essai inspiré de sa thèse. 

À l’origine de ce travail, un mot longtemps tabou, réapparu dans le discours public à l’époque de ses études. «Il n’y avait plus cette peur ou cette honte de déclarer quelque chose féministe, rappelle Sandrine Galand. Dans les entrevues de magazines, on commençait à demander aux stars si elles se définissaient comme féministes, à côté de questions sur leur objet fétiche ou leur sac à main.» 

Depuis le début du 21e siècle, le retour du féminisme dans l’espace public se voit de toutes sortes de manières. Les mobilisations féministes se multiplient, entre autres autour du mouvement #MeToo. En 2014, la méga vedette Beyoncé apparaît sur scène devant un fond noir où brille le mot «féministe» en lettres lumineuses géantes. Au Québec, Radio-Canada diffuse la série Les Simone, dont le titre est une allusion directe à Simone de Beauvoir, pionnière du féminisme. 

Passionnée depuis toujours de culture populaire, Sandrine Galand décide de consacrer sa thèse au phénomène du féminisme pop, en se concentrant sur un corpus de vedettes états-uniennes emblématiques de ce retour du féminisme dans l’espace public. «Des étoiles du monde du spectacle qui non seulement s’affirment féministes, mais qui développent une posture féministe à même leur image de marque», explique-t-elle. Des chanteuses comme Beyoncé ou Lady Gaga, mais aussi des actrices, scénaristes et humoristes telles que Lena Dunham (créatrice de la populaire série Girls) et Amy Schumer.

Certaines sont de véritables célébrités, d’autres sont un peu moins connues, mais toutes partagent la caractéristique d’écrire au «je». «Cette prise de position autobiographique était importante pour voir comment on peut être féministe dans cette industrie du spectacle qui fait tout pour qu’on ne se sente pas féministe», observe la chercheuse.

Sandrine Galand a étudié les célébrités de son corpus comme des objets culturels, en s’attardant non seulement à leurs productions, mais aussi à leur existence médiatique. «Ce qui dérange beaucoup avec l’idée du féminisme pop, c’est la question de savoir si ces stars sont d’authentiques féministes, observe la chercheuse. Comment accepter d’aimer ou de consommer les produits culturels de ces femmes-là tout en trouvant que parfois elles ne sont pas du tout féministes ou qu’elles font des faux pas?»

Une question qu’elle s’est posée elle-même, avoue Sandrine Galland, et qui ranime le vieux débat sur ce qu’est une bonne ou une mauvaise féministe. Pour la chercheuse, les stars qui se réclament du féminisme sont à la fois l’une et l’autre. «Elles vont réactiver ou porter les codes de l’univers médiatique hollywoodien – en se dénudant sur scène, par exemple –, mais il y a des choses chez elles qui viennent déstabiliser ces codes, les renverser, les remettre en question.»

Ce sont souvent des stars ingouvernables, qui échouent à être telles qu’on les voudrait, remarque Sandrine Galand. Ce qui l’a particulièrement intéressée, dans l’analyse de son corpus, c’est le glissement qui apparaît très souvent dans les performances ou l’existence de ces vedettes, ces «défaillances» évoquées dans son titre. «Oui, elles obéissent aux codes du spectacle, mais, en même temps, de façon consciente ou non, elles ont des écarts de conduite ou d’apparence, et il se produit ce que j’appelle un glitch, quelque chose qui n’est pas normal ou qui ne passe pas comme d’habitude.»

On le voit dans la parole humoristique, dit Sandrine Galand. On le voit aussi dans la façon dont Lena Dunham, «une personnalité clivante qui a su se faire détester autant par les féministes que par les anti-féministes», se présente sur le tapis rouge avec son corps atypique selon les normes d’Hollywood et un costume extravagant. «C’est la même chose avec le personnage qu’elle incarne dans Girls. On lui a délibérément créé une garde-robe mal coupée, avec des jupes trop courtes, trop serrées, qui créent des bourrelets et qui remontent.»

L’écart à la norme peut être contrôlé, comme dans la façon de montrer son corps à l’écran, mais il peut aussi être inconscient ou incontrôlé, dit la chercheuse. «C’est Lena Dunham, encore, qui se met le pied dans la bouche, comme cela lui arrive souvent. Dans un balado, par exemple, elle tient des propos maladroits sur l’avortement.»

Selon la chercheuse, il faut sortir de la dichotomie entre la bonne et la mauvaise féministe. «Oui, il y a des tensions, oui, il y a des contradictions dans le féminisme pop. Mais, au lieu de se demander si on est devant un féminisme authentique, il faut accepter de prendre acte de ces tensions. Le féminisme pop provoque ces conversations sur ce qui constituerait le critère pour identifier la “bonne” féministe. Parmi les féminismes, c’est ce qui le rend intéressant.»