COVID-19: tous les articles
Toutes les nouvelles entourant la COVID-19 et les analyses des experts sur la crise sont réunies dans cette série.
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«C’est pas le moment d’échanger nos fluides biologiques», déclarait avec une pointe d’ironie le directeur général de la santé publique du Québec Horacio Arruda au début de la pandémie, en mars 2020. Depuis, avec les mesures de confinement, les couples vivant sous le même toit ont fait l’expérience d’une proximité parfois étouffante pendant que les autres apprenaient à conjuguer la relation à distance et que les célibataires, eux, devaient souvent se contenter de flirts virtuels. Après presque 12 mois de crise sanitaire, comment va l’amour? «Nous ne disposons pas encore d’études sérieuses concernant les impacts de la pandémie sur les relations amoureuses», note le doctorant en sociologie Noé Klein (M.A. sociologie, 2020), dont le projet de thèse, mené sous la direction de la professeure Chiara Piazzesi, porte sur la construction des relations de couple en fonction des différents modèles amoureux qui existent dans la société.
Chercher l’âme sœur sur le web
Chez plusieurs célibataires à la recherche de l’âme sœur, le moral en prend un coup. Entre le confinement, le couvre-feu, la crainte de contracter le virus et les lieux de socialisation qui se font rares, le romantisme a la vie dure. Heureusement, les applications de rencontre en ligne, comme Tinder, Bumble ou Grindr, permettent de ne pas renoncer complètement à l’idée de rencontrer la personne de ses rêves.
«Dès le mois de mars 2020, Tinder avait déjà enregistré son plus haut taux de fréquentation depuis sa création, rappelle Noé Klein. On a assisté à un grand mouvement collectif d’utilisation des applications de rencontre, dont l’objectif est d’abord d’entrer en contact avec d’autres personnes afin de rompre la solitude. Ces sites ont continué d’occuper une place importante car les occasions de faire des rencontres impromptues et de nouer des liens devenaient moins fréquentes.»
Les usages des applications en ligne se sont toutefois modifiés, observe le doctorant. «À l’heure de la pandémie, le but est moins d’avoir un contact physique à court terme que d’engager une discussion. On prend davantage son temps pour connaître l’autre et on a des conversations plus approfondies, ce qui aide à faire des choix, à s’assurer de vraiment apprécier une personne avant de lui donner un rendez-vous.» Certains sites offrent même, gratuitement, la possibilité de se voir par vidéoconférence, y compris quand on habite à l’autre bout du monde, de rencontrer l’autre par des jeux en ligne ou en faisant des visites virtuelles de musée.
La crise sanitaire a aussi fait naître, dit-on, de nouvelles tendances sur le web, comme le zumping (contraction des mots Zoom et dumping). C’est ainsi que le quotidien britannique The Guardian a qualifié le phénomène consistant à larguer son partenaire sur Zoom pour éviter l’épreuve de la séparation en face à face. Il y a aussi le corona cuffing, dont le but est de se mettre rapidement en couple par peur d’être seul, quitte à revoir à la baisse ses exigences, ou encore l’apocalypsing, soit le fait d’idéaliser la personne que l’on souhaite rencontrer et d’envisager la relation avec elle comme si c’était la dernière.
Le contexte pandémique risque-t-il d’exacerber la colonisation technologique de l’espace intime? «Oui, répond Noé Klein. Ce ne sont plus seulement les applications de rencontre en ligne qui sont mobilisées pour établir des relations à distance. En Argentine, par exemple, le gouvernement a invité les personnes en couple qui ne vivent pas ensemble à partager leur intimité au moyen de la vidéo ou de textos. Toutes les technologies de communication sont mises au service du lien intime que l’on essaie de préserver malgré les circonstances, gagnant ainsi en légitimité.»
Rencontres masquées
Les approches de séduction et la façon dont se déroulent les rencontres en personne se transforment aussi sous la pression de la pandémie. Caché derrière son masque, à deux mètres de distance, comment savoir si le charme opère. Que faire à la fin d’un rendez-vous? On s’enlace, on se fait la bise ou on se dit merci et à la prochaine? L’intérêt de continuer de se voir risque-t-il de s’émousser si on n’ose pas se rapprocher physiquement?
«On se demande moins, peut-être, si on a envie de se projeter dans une relation à moyen ou à long terme, dit le doctorant. D’autres questions surgissent. Dois-je faire confiance à cette personne, notamment sur le plan sexuel? Est-ce que je peux me permettre de prendre un risque? La dimension physique de l’intimité, toujours importante au début d’une relation amoureuse, est mise à mal. La spontanéité est comme anéantie, alors que l’on réfléchit à d’autres enjeux.»
Est-ce qu’il se pourrait que la pandémie remette au goût du jour une forme d’amour courtois ou, du moins, les anciennes façons de se courtiser en approchant l’autre dans la lenteur? «Les premiers rapports sexuels sont peut-être repoussés à un moment plus avancé de la relation, mais cela ne signifie pas que l’on revient à l’époque révolue où il fallait se fréquenter longuement et apprendre à se connaître avant d’avoir des rapports sexuels ou de s’engager dans une relation amoureuse», estime Noé Klein.
Couples confinés
Depuis le début du confinement, qui n’a pas entendu des histoires de ruptures parce que les couples passent maintenant plus de temps ensemble à la maison? La réalité est probablement plus nuancée. Certains partenaires vivent une plus grande complicité et s’appuient l’un sur l’autre, tandis que d’autres vivent des tensions particulières. C’est le cas des couples confrontés à de graves problèmes financiers dus au chômage, ou dont l’un ou les deux membres sont stressés, anxieux ou malheureux, autant de facteurs qui ne favorisent pas l’intimité et qui peuvent nuire à la libido.
«Les relations se détériorent ou au contraire se renforcent, tout dépend de la dynamique qui existe au sein de chaque couple, observe le doctorant. Des personnes peuvent être à l’aise dans le contexte actuel et d’autres se sentir étouffées. Quant aux couples dont les membres ne vivent pas sous le même toit, leurs rapports risquent moins d’être affectés dans la mesure où ils ont l’habitude de vivre une relation à distance.»
Enfin, poursuit Noé Klein, le confinement et le couvre-feu changent la donne pour les personnes qui privilégient les relations amoureuses ou sexuelles épisodiques et brèves ainsi que pour les adeptes du polyamour, lesquels se sentent obligés de faire des choix et de limiter le nombre de leurs partenaires.
Quoi qu’il en soit, si la pandémie chamboule nos relations intimes, Noé Klein croit qu’il est beaucoup trop tôt pour savoir si elle transformera les modèles amoureux existants. «Bien que la norme monogamique ait éclaté au cours des dernières décennies, l’idée qu’on ne peut pas être heureux ou épanoui en dehors du couple demeure encore bien vivante dans notre imaginaire, y compris chez les jeunes. On peut faire l’hypothèse que la culture du couple se renforce actuellement en servant de refuge dans un contexte pour le moins anxiogène. Par ailleurs, on peut aussi s’accommoder de relations occasionnelles, tout en conservant l’idéal de l’amour romantique. Chose certaine, la pandémie aura fait en sorte de confronter chaque individu à ses propres attentes à l’égard de l’amour.»