Série COVID-19: tous les articles
Les nouvelles sur la situation entourant la COVID-19 à l’Université et les analyses des experts sur la crise sont réunies dans cette série.
Depuis le début du confinement décrété pour lutter contre la propagation de la COVID-19, jamais les services d’épicerie en ligne n’ont été aussi sollicités. Malheureusement, les clients se heurtent plus souvent qu’autrement aux ratés du système. «Même si ça fait des années que les épiciers se préparent au transfert des habitudes d’achat des consommateurs vers le web, ils ne pouvaient pas prévoir une telle explosion de la demande», remarque Sandrine Prom Tep, professeure au Département de marketing de l’ESG UQAM.
Dans la foulée de l’achat de Whole Foods par Amazon en 2017 et du succès grandissant des boîtes repas de type Goodfood et MissFresh, les épiceries québécoises ont accéléré le développement des services d’épicerie en ligne. Ces services connaissaient, avant l’éclosion de la pandémie, un accueil mitigé. On veut bien acheter une boîte de spaghetti sur le web, mais on préfère choisir de visu ses fruits et légumes. «On s’attendait à ce que ces services décollent d’ici deux à trois ans. Voilà pourquoi la stratégie des supermarchés était graduelle, précise Sandrine Prom Tep. On distribuait des coupons rabais pour inciter les gens à essayer le service, mais les attentes de croissance étaient modestes.»
Les réservations de billets d’avion et d’hôtels ainsi que les achats de billets de spectacles se font désormais pratiquement tous sur le web, rappelle la spécialiste du commerce électronique. «Dans l’industrie du vêtement, les achats en ligne représentent autour de 10 % des ventes. C’est ce jalon que l’on espérait atteindre cette année dans le domaine de l’épicerie en ligne, qui représente actuellement 3 % des ventes pour les grandes bannières.»
Infrastructure en évolution
Le processus de commerce électronique comporte deux composantes essentielles, explique Sandrine Prom Tep. «Il y a l’infrastructure informatique, laquelle comprend à la fois les serveurs de l’entreprise et l’interface utilisateur – le site web transactionnel – et la main-d’œuvre nécessaire à l’assemblage de la commande et à la livraison.»
Les serveurs des modules de commande en ligne des épiceries n’étaient pas conçus pour traiter autant de requêtes en même temps et c’est qui explique que plusieurs sites aient planté au cours des derniers jours. «Même si on ajustait rapidement la capacité de traitement informatique des requêtes, il manquerait de main-d’œuvre pour assembler les commandes et les livrer», note la chercheuse. Sans oublier un obstacle contextuel majeur: les mesures de distanciation sociale, qui compliquent grandement la tâche des employés dans les épiceries et qui empêchent de multiplier le nombre de commis sur le plancher.
Le président et chef de la direction de Metro, Éric La Flèche, a tenu des propos semblables lors de son passage à Tout le monde en parle le 29 mars dernier. Le grand patron de Metro a reconnu que la demande avait été «comme un tsunami» et que malgré l’embauche de plusieurs employés et livreurs, il était impossible de suffire à la demande.
Disparités selon les secteurs
Puisqu’il s’agit de son champ de recherche, Sandrine Prom Tep utilisait l’épicerie en ligne avant la crise de la COVID-19 et elle avait constaté des défaillances dans le système. «Une préposée qui assemblait ma commande m’a déjà appelée quatre fois de suite pour préciser mes demandes, alors qu’elle aurait pu appeler une seule fois à la fin de l’exercice, raconte-t-elle. C’est le genre d’irritants qu’il faut polir pour améliorer l’expérience client.»
Les épiceries du Québec ne possèdent pas encore les solutions optimales développées depuis quelques années par les géants du commerce électronique Amazon (États-Unis) et Alibaba (Chine). «Pour offrir un service efficace, il faut optimiser la chaîne logistique et cela ne sera possible qu’avec une mutualisation des entrepôts», estime Sandrine Prom Tep.
En matière de commerce électronique, la professeure a observé des disparités selon les secteurs. «J’ai acheté des vêtements auprès de plusieurs chaînes et les problèmes surviennent lorsque l’on doit retourner un produit. C’est parfois un véritable casse-tête! En revanche, la plupart des pharmacies offrent un service en ligne impeccable.»
La spécialiste remarque que les formules hybrides plaisent beaucoup aux consommateurs. «Les gens aiment commander en ligne et aller chercher ou pouvoir retourner le produit en magasin», précise-t-elle. Les solutions développées par les épiceries permettent ce type de formule.
Un changement de perception
La situation exceptionnelle que nous vivons présentement aura une influence durable sur les consommateurs, affirme Sandrine Prom Tep. «Dans un premier temps, on percevra un changement dans les perceptions et les attitudes envers le commerce en ligne, incluant l’épicerie en ligne. Des personnes qui y étaient farouchement réfractaires vont désormais y être favorables. Cette prédisposition se traduira, à long terme, par l’adoption de nouveaux comportements d’achat chez certains consommateurs.»
Est-ce à dire que nous ferons tous et toutes notre épicerie en ligne un jour, comme le prévoyaient il y a 25 ans les développeurs les plus convaincus du commerce électronique? «Bien sûr que non. Mais comme pour les réticences envers le télétravail, les opinions et les comportements en matière de commerce en ligne seront modifiés par la crise actuelle», conclut-elle.