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Séduction, amour et intimité

La professeure Francine Duquet a conçu un outil d’éducation à la sexualité pour les jeunes de 12 à 17 ans.

Par Claude Gauvreau

21 septembre 2020 à 14 h 09

Mis à jour le 23 septembre 2020 à 10 h 09

Quels jeunes ne souhaitent pas éprouver le sentiment amoureux, ressentir cette fébrilité d’aller vers l’autre, cette soudaine légèreté, malgré la gêne, les doutes et les maladresses?
Photo: Getty/Images

«Quand il avait mon âge, mon père écrivait des poèmes à ma mère pour la séduire. Moi, franchement, j’imagine mal qu’un gars de 15 ans puisse m’en écrire.» Ce témoignage est issu de groupes de discussion avec des adolescentes et adolescents, qui ont inspiré la création de l’outil d’éducation à la sexualité Séduction, Sentiments amoureux et Intimité: quand ça nous transporte ou quand ça dérape conçu par la professeure du Département de sexologie Francine Duquet et son équipe, en collaboration avec le Regroupement des maisons des jeunes du Québec (RMJQ).

Cet outil didactique est destiné à des jeunes âgés de 12 à 17 ans. Ses objectifs?  Favoriser la compréhension des enjeux liés aux nouvelles réalités sociosexuelles qui touchent les jeunes au quotidien, développer une réflexion critique concernant l’impact d’Internet et des réseaux sociaux sur le vécu des jeunes quant à la séduction, aux rapports amoureux et à l’intimité et, enfin, créer une dynamique d’échanges autour de ces thèmes, tout en valorisant le respect de soi-même et des autres.

Les nouvelles réalités sociosexuelles renvoient aux conduites sexuelles des jeunes en lien avec l’utilisation des technologies de l’information et de la communication – sextos, égoportraits intimes, consommation de cyberpornographie – ou avec l’influence de la culture populaire et de certaines modes sexuelles, comme le bitchage, les fuckfriends ou certaines activités sociales sexualisées. «Il est important de prendre une distance critique à l’égard de certains messages associés à la sexualité qui sont véhiculés sur Internet, sans condamner globalement l’emploi des technologies, observe Francine Duquet. Ainsi, grâce aux réseaux sociaux, les jeunes gais et lesbiennes peuvent discuter et échanger entre eux en toute sécurité.»

L’outil didactique a été produit dans le cadre du projet partenarial Alterados: des relations interpersonnelles harmonieuses et des rapports égalitaires, réunissant le RMJQ, le Service aux collectivités de l’UQAM et le projet Outiller les jeunes face à l’hypersexualisation, dont la professeure est responsable. Financé par le Secrétariat à la jeunesse dans le cadre de la Stratégie d’action jeunesse du gouvernement du Québec, et accessible dans différentes régions du Québec, Alterados comprend un volet formation destiné aux intervenants jeunesse dans les Maisons de jeunes, les groupes communautaires et les milieux scolaires, de la santé et des services sociaux ainsi que des ateliers de sensibilisation pour les ados.

«Après avoir effectué une revue de la littérature, des groupes de discussion ont été formés avec des intervenants et des jeunes sur la question de la sexualité adolescente à l’ère d’Internet et un sondage en ligne a été réalisé auprès des intervenants, explique Francine Duquet. Puis, une recherche synthèse a analysé l’ensemble des résultats, ce qui a permis de dégager des pistes d’intervention, d’offrir de la formation et de concevoir l’outil didactique. Un outil qui tient compte de la réalité vécue par les intervenants et les jeunes.»

«Dans l’éducation à la sexualité, on aborde beaucoup les aspects préventifs associés à la sexualité et à sa commercialisation, comme c’est le cas avec la cyberpornographie. Mais on doit aussi parler du désir et du plaisir.» 

Francine Duquet

Professeure au Département de sexologie

Entre prévention et plaisir

Pour chacune des thématiques – séduction, rapports amoureux et intimité –, l’outil didactique comporte une dimension positive – quand ça nous transporte – et une autre plus critique – quand ça dérape –, qui réfère à certains risques. «Nous traitons de tous les aspects affectifs et relationnels, note la chercheuse. Dans l’éducation à la sexualité, on aborde beaucoup les aspects préventifs associés à la sexualité et à sa commercialisation, comme c’est le cas avec la cyberpornographie. Mais on doit aussi parler du désir et du plaisir. Quand on est adolescent, on a envie d’être amoureux, de vivre quelque chose de beau. Bref, on vise à ce que les jeunes comprennent mieux les éléments clés d’une relation amoureuse saine et épanouissante, et reconnaissent les pièges présents sur Internet et les réseaux sociaux.»

L’outil présente la séduction comme un comportement normal qui transporte les jeunes à l’adolescence. Lorsqu’elle se manifeste par des compliments et des petits gestes attentionnées, ça peut donner des ailes. Mais ça peut aussi déraper quand le flirt se transforme en harcèlement ou en une approche strictement et rapidement sexuelle. «Le désir de plaire et de séduire contribue au développement des habiletés relationnelles des adolescents ainsi qu’à la construction de leur identité et de leur estime de soi, observe Francine Duquet. Les jeunes subissent beaucoup de pressions, notamment sur les réseaux sociaux où ils doivent toujours se montrer sous leur meilleur jour. Comment séduire l’autre quand on est timide ou quand on croit qu’on n’attire pas les regards?»

Quels jeunes ne souhaitent pas éprouver le sentiment amoureux, ressentir cette fébrilité d’aller vers l’autre, cette soudaine légèreté, malgré la gêne, les doutes et les maladresses? «À l’adolescence, on apprend à exprimer ses désirs et aussi ses insatisfactions et ses frustrations, remarque la professeure. Rompre avec élégance et respect représente parfois un véritable défi.»

Dans une relation amoureuse, il arrive un moment où l’on partage une plus grande intimité parce qu’on se sent bien et en sécurité avec l’autre. «Cet état de bien-être facilite le partage des sentiments, des émotions et des états d’âme, dit Francine Duquet. En même temps, les jeunes doivent être capables d’exprimer leurs propres limites, jusqu’où ils veulent aller, ce qui leur plaît ou les embarrasse, tout en considérant les limites de l’autre.»

À l’ère de MeToo

Les vagues de dénonciation sur les réseaux sociaux des cas de harcèlement et d’agressions sexuelles, essentiellement envers les femmes, ne laissent pas les jeunes indifférents.

«On ne peut pas éviter les questions soulevées par le phénomène MeToo», souligne la chercheuse. Comment et pourquoi ces dénonciations publiques ont-elles émergé? En quoi sont-elles liées aux carences du système de justice? Comportent-elles des risques? «En abordant ces questions, on amène les jeunes à comprendre la notion de consentement, le fait qu’on ne peut pas considérer l’autre comme un objet, que la séduction, les sentiments amoureux et l’intimité font partie intégrante d’une relation avec l’autre, une relation qui se construit progressivement afin de mieux connaître son partenaire.»

Pour Francine Duquet, l’intervention en éducation à la sexualité comprend trois éléments clés: la dignité, la bienveillance et la sécurité. «L’objectif est d’amener les jeunes à devenir des acteurs de changement dans la perspective d’établir des relations égalitaires entre les hommes et les femmes.»  

Activités pédagogiques

Afin de favoriser les échanges avec les jeunes autour de la séduction, des rapport amoureux et de l’intimité, l’outil didactique, qui se veut flexible, propose une série d’activités pédagogiques correspondant aux demandes des intervenants et des jeunes. Dans le cadre d’un quiz, des jeunes âgés de 12 à 15 ans, regroupés en équipes, sont invités à réagir à une série d’énoncés du type: Être en amour, qu’est-ce que c’est? Pour que quelqu’un s’intéresse à nous, faut-il avoir un corps parfait? Est-il plus facile de rencontrer quelqu’un sur les réseaux sociaux ou dans son entourage? Comment distinguer le flirt et le harcèlement?

Par ailleurs, des mises en situation sont offertes aux jeunes, qui en discutent en groupe. Une série de courtes vidéos, en lien avec la thématique choisie, sont aussi présentées. Pour chacune d’entre elles, des questions d’animation et des éléments de contenu à retenir sont proposés pour alimenter la discussion.

«On s’assure que les activités choisies tiennent compte de l’âge des participants et de la dynamique du groupe», indique Francine Duquet. Certaines questions du Quiz s’adressent davantage aux jeunes âgés de moins de 15 ans, alors que certaines mises en situation ou vidéos sont plutôt destinées à ceux âgés de 15 ans ou plus.

Depuis 2019, l’outil didactique a commencé à être diffusé auprès des intervenants dans le réseau des maisons de jeunes. «Nous avons déjà pu bonifier l’outil grâce aux commentaires des jeunes et des intervenants», conclut la professeure.