Candidate à la maîtrise en études littéraires à l’UQAM et diplômée en histoire de l’Université Paris VIII, Diane Gistal est la commissaire invitée de l’exposition virtuelle Respiration. Présentée par la Galerie de l’UQAM, cette exposition explore la portée symbolique et politique de l’action de respirer pour les communautés noires. Elle constitue le premier des cinq volets du projet QUADrature (voir encadré).
«C’est la Galerie qui m’a proposé d’être commissaire, en collaboration avec sa directrice, Louise Déry, et les membres de l’équipe Anne Philippon et Philippe Dumaine, explique Diane Gistal. J’ai eu carte blanche pour concevoir l’exposition, dont la thématique est indissociable de l’actualité récente aux États-Unis, marquée par les violences policières contre des membres de la communauté afro-américaine. Elle est aussi le fruit d’une réflexion qui remonte avant l’explosion des manifestations antiracistes un peu partout dans le monde.»
Quatre artistes montréalaises et montréalais d’ascendance africaine participent à l’exposition. Leurs œuvres révèlent non seulement la portée politique de l’action de respirer, mais la subliment en évoquant des silences, des hésitations, des soupirs. Respiration présente, entre autres, une peinture de Marie-Danielle Duval, qui a suivi des cours en arts visuels et médiatiques à l’UQAM, des vidéos de Moridja Kitenge Banza ainsi que des photos réalisées par Siaka S. Traoré et Marie-Laure S. Louis, doctorante en études et pratiques des arts à l’UQAM.
«Ces artistes émergents proposent des œuvres qui expriment des postures différentes, note l’étudiante. Portées par un souci esthétique et poétique et explorant librement la thématique de la respiration, les œuvres n’ont pas toutes un caractère politique ou revendicateur. Certaines abordent la thématique sous l’angle du bien-être et du plaisir, d’autres sous celui de la fatigue et de l’épuisement.» En raison de son caractère virtuel, l’exposition comporte une dimension expérimentale. «Même dans ce contexte, il est possible d’avoir des liens forts avec des œuvres, peu importe leur support», affirme Diane Gistal.
Un épuisement globalisé
L’exposition témoigne d’une sorte d’épuisement globalisé, d’une exténuation face au racisme, lequel se manifeste non seulement aux États-Unis, mais partout ailleurs, y compris au Québec, souligne la commissaire. «Le concept de l’exposition m’est venu en errant dans les rues de Montréal. C’est comme si j’avais pris conscience, moi qui suis d’ascendance africaine, que l’action de respirer m’interpellait de manière profonde.»
Évidemment, tout individu n’est pas constamment dans un état d’hyper-conscience de sa respiration. «Cette action semble si banale, si naturelle, si dépourvue de signification, observe Diane Gestal. Et pourtant, le souffle peut être suspendu ou aboli, de manière symbolique ou réelle, sous le poids d’une force extérieure particulièrement violente. C’est le cas du racisme, qui renvoie à une réalité écrasante et étouffante. C’est en ce sens que l’action de respirer peut être associée à un geste politique de résistance et de résilience.»
Le projet QUADrature
L’exposition Respiration se déroule du 11 septembre au 10 octobre et son vernissage en ligne aura lieu sur ZOOM le jeudi 10 septembre, à 17 h. Cette exposition représente le premier volet du projet virtuel QUADrature, qui sera présenté par la Galerie de l’UQAM tout au long de la saison 2020-2021. Le commissariat du projet sera successivement assuré par Diane Gistal, Ariane De Blois, le Musée d’art actuel / Département des invisibles et Bénédicte Ramade. La Galerie s’est associée à LOKI, studio de design montréalais travaillant à l’intersection du design graphique, de la production culturelle et du changement social.
QUADrature est inspiré de la pièce Quad (1980), de Samuel Beckett, écrite pour la télévision et mettant en présence quatre interprètes anonymes qui parcourent une scène quadrangulaire en effectuant, sans se toucher, différents trajets. Dans cette pièce, de facture dépouillée et abstraite, les interprètes portent de longues tuniques à capuchons couvrant leur visage.
L’œuvre de Beckett offre une impressionnante résonnance avec la pandémie mondiale actuelle. Du côté de Quad: un écran télévisuel, un confinement à une surface précise, des visages dissimulés et la répétition de parcours. Du côté de la pandémie: des écrans numériques, le port de couvre-visages, des promenades routinières restreintes à des secteurs précis, la distanciation et l’absence de contacts physiques.
Comparer le Québec et les États-Unis?
Jusqu’à quel point peut-on faire un parallèle entre la réalité québécoise et la ségrégation, la discrimination et la violence dont souffre encore la population noire aux États-Unis? Des phénomènes qui, malheureusement, font partie des expériences historiques ayant contribué à façonner la mentalité, la culture ainsi que les institutions sociales, économiques et politiques américaines.
«Ma démarche ne consiste pas à comparer les douleurs, les souffrances ou les formes de discrimination selon les pays, remarque la commissaire. Mais chaque fois que l’on se penche sur les manifestations du racisme au Québec, on nous renvoie à un ailleurs, en particulier à la situation aux États-Unis, qui serait bien pire. Ce type de discours empêche le débat sur ce qui se déroule sous nos yeux, dans notre propre société. Que l’on vive aux États-Unis, au Canada ou en Europe, le racisme nous concerne tous.»
Une approche pluridisciplinaire
Dans le cadre de ses recherches à la maîtrise en études littéraires, Diane Gistal s’intéresse aux lieux de mémoire dans le roman haïtien. Quant à son approche curatoriale, elle se caractérise par le dialogue entre les arts visuels, la littérature et les sciences humaines. L’étudiante a été commissaire des expositions Subalternes (CDEx, 2019) et Je sais pourquoi l’oiseau chante en cage (Fonderie Darling, Centre culturel Georges-Vanier et CDEx, 2020). Elle a fondé l’organisme Nigra Iuventa, dédié à la promotion de l’histoire et des cultures afrodescendantes et africaines à travers les arts visuels et médiatiques.
«L’aventure de Nigra Iuventa a débuté en 2015 lorsque nous avons programmé la première édition du Mois de l’histoire des Noirs à l’UQAM, rappelle l’étudiante. Depuis, nous offrons une plateforme aux artistes noirs, qui demeurent sous-représentés dans le milieu des arts visuels, et nous proposons aux Montréalais des activités – expositions, projections, discussions – autour de thématiques liées à la condition noire.»