Série En vert et pour tous
Projets de recherche, initiatives, débats: tous les articles qui portent sur l’environnement.
Photo: Exile on ONtario St
La crise sanitaire liée à la COVID-19 risque de compliquer la tâche des riverains, des municipalités et du ministère de la Sécurité publique qui, comme chaque printemps, surveillent attentivement les cours d’eau susceptibles de causer des inondations. «L’an dernier, les inondations au Québec et en Ontario ont coûté quelque 200 millions de dollars aux compagnies d’assurance», rappelle Mathieu Boudreault. Le professeur du Département de mathématiques travaille au développement d’outils de modélisation des risques et impacts financiers liés aux aléas climatiques, et plus particulièrement aux inondations. «L’objectif est de pouvoir offrir ces outils aux compagnies d’assurance et aux différents paliers de gouvernement afin qu’ils puissent planifier l’aide économique à long terme», précise-t-il.
Membre du Réseau Inondations intersectoriel du Québec (RIISQ), Mathieu Boudreault a développé de nombreuses collaborations de recherche au cours des dernières années. Dans le cadre de deux projets, l’Institut canadien des actuaires, la compagnie d’assurance Co-operators ainsi que la Casualty Actuarial Society lui ont octroyé près de 200 000 dollars pour deux années afin d’analyser l’impact des changements climatiques sur la tarification et la diversification du risque d’inondation au Canada et aux États-Unis.
Le partage des risques financiers
Plusieurs acteurs assument les risques financiers liés aux inondations: les sinistrés, les compagnies d’assurance, les municipalités, le gouvernement provincial et le gouvernement du Canada. «L’assurance pour les débordements de cours d’eau est un domaine encore embryonnaire au Canada, observe Mathieu Boudreault, et la question centrale est le partage des risques financiers. Elle consiste à déterminer qui paye pour quoi, mais pour cela, il faut des projections de coûts à long terme et des provisions budgétaires conséquentes.»
À la suite des inondations du printemps 2017, le gouvernement du Québec a financé les MRC afin qu’elles puissent mettre à jour la cartographie des zones inondables sur leurs territoires respectifs. «Ces cartes constituent l’outil de base dont je me sers comme actuaire afin d’effectuer des projections de coûts sur plusieurs années», explique le professeur, qui travaille localement avec différents acteurs du milieu de l’assurance, et au niveau international avec des gens du milieu de la réassurance.
L’assurance fonctionne sur la mutualisation et sur la diversification des risques, rappelle Mathieu Boudreault. «Quand les risques sont trop importants pour être assumés par une compagnie d’assurance locale ou nationale, celle-ci se réassure à l’international. Elle paye une prime à une grosse compagnie internationale de réassurance, qui assume le risque. Cette compagnie de réassurance diversifie ses opérations dans plusieurs pays pour différents types d’aléas climatiques.»
Une assurance inondation ?
Est-ce possible d’être assuré si on habite en bordure d’un cours d’eau à risque ? «Si la prime est abordable, la limite de couverture sera relativement basse. Parfois il s’agit d’un montant qui n’est même pas suffisant pour refaire un sous-sol au complet, souligne Mathieu Boudreault. Pour obtenir une couverture adéquate, il faudrait payer des primes hors de prix, voilà pourquoi plusieurs riverains ne peuvent plus être assurés pour les inondations.»
Les gens qui habitent en zone inondable ne peuvent donc pas être indemnisés par le seul secteur de l’assurance privé. «Si le risque n’est pas assurable, les sinistrés ont accès au programme d’aide financière du gouvernement du Québec, rappelle le chercheur. Lorsque la catastrophe est trop importante, c’est le gouvernement fédéral qui aide les provinces.» Le programme d’aide financière du ministère de la Sécurité publique possède aussi un volet pour aider les municipalités dont les infrastructures ont été endommagées, ajoute-t-il.
Le professeur vient de faire paraître dans La Conversation un article portant sur la réforme du programme d’aide financière annoncée en avril 2019 par le gouvernement du Québec, et plus spécifiquement sur les impacts financiers de la nouvelle mesure de limite à vie sur les inondations successives qui a été introduite. Désormais, après avoir touché une première indemnité, «le compteur sur la limite à vie démarre, écrit-il. Chacune des réclamations suivantes est alors déduite à partir de la limite de 100 000 dollars jusqu’à épuisement.» Lorsque cette limite est atteinte, une personne pourra décider de rester dans cette zone en assumant par la suite les risques, ou se prévaloir d’un dédommagement pour être relocalisée dans une zone non inondable.
Les discussions entourant les risques financiers liés aux inondations se poursuivent également sur la scène fédérale. L’automne dernier, le Parti libéral fédéral a évoqué la mise sur pied d’un programme national d’assurance inondation et le Bureau d’assurance du Canada a aussi un projet dans ses cartons. «L’idée est de déterminer un schéma de partage clair des risques financiers à long terme en tenant compte des prévisions actuarielles», résume le chercheur.
Les travaux de recherche de Mathieu Boudreault et de son équipe (comptant un postdoctorant, un doctorant, quatre candidats à la maîtrise et un stagiaire du baccalauréat en actuariat) se concentrent sur le partage des risques financiers lors des inondations, mais leur méthodologie pourrait aussi s’appliquer aux dommages causés par les feux de forêts ou même par les ouragans, de plus en plus nombreux à frapper l’Est du Canada, comme ce fut le cas de Dorian à la fin de l’été 2019.