La forme physique et l’apparence athlétique ont traditionnellement été associées à un régime riche en viande et en produits d’origine animale. Pour devenir l’homme le plus fort du monde à la fin du 19e siècle, Louis Cyr consommait 10 livres de viande rouge par jour. Usain Bolt, le coureur le plus rapide sur la planète, mangeait une centaine de croquettes de poulet par jour en préparation des Jeux olympiques de Beijing, où il a remporté deux médailles d’or en 2008. Même dans la fiction, le boxeur Rocky Balboa buvait des shakes d’œufs crus et s’entraînait en frappant sur des carcasses de bœuf.
«Cette image de l’athlète, du culturiste ou du guerrier carnivore est profondément ancrée dans notre culture, souligne Antony Karelis, professeur au Département des sciences de l’activité physique. À l’opposé, les personnes végétaliennes sont généralement perçues comme étant plus faibles physiquement, moins aptes à la performance.»
Afin de déconstruire ce mythe, Antony Karelis et son équipe – le stagiaire postdoctoral Mauricio Garzon (M.Sc. kinanthropologie, 2010), le chargé de cours Guy Hajj Boutros (M.Sc. kinanthropologie, 2018) et l’étudiante au baccalauréat d’intervention en activité physique Marie-Anne Landry Duval (certificat en écologie, 2017) – ont comparé les performances physiques de 28 femmes végétaliennes à celles de 28 femmes omnivores. Les deux groupes possédaient des caractéristiques similaires sur le plan de l’âge – les femmes étaient toutes âgées entre 18 et 35 ans –, de l’indice de masse corporelle, du poids, du pourcentage de gras, du niveau d’activité hebdomadaire et des habitudes de vie – femmes non fumeuses et buvant peu d’alcool. L’étude a été publiée dans la revue European Journal of Clinical Nutrition.
Les résultats ont démontré que les végétaliennes ont une capacité cardiovasculaire maximale (VO2 max) et une endurance plus élevées que les omnivores. «Elles performaient mieux, tant dans les sprints que dans les exercices de longue durée», précise le professeur. Quant à la force musculaire, les chercheurs n’ont pas noté de différence significative, que ce soit au niveau des jambes ou du haut du corps.
Cette étude est la première qui cible spécifiquement les liens entre l’alimentation végétalienne, le VO2 max, l’endurance et la force musculaire, indique Antony Karelis. «Des recherches antérieures avaient été réalisées auprès d’une population hétérogène – végétaliens, lacto-végétariens et ovo-lacto-végétariens. Ces études avaient aussi démontré que les personnes qui ne mangeaient pas de viande n’étaient pas désavantagées sur le plan de la force physique.»
Glycogène et antioxydants
Si ces résultats vont à l’encontre de la croyance populaire, ils peuvent s’expliquer par la composition des aliments, estime Antony Karelis. «Les personnes végétaliennes mangent généralement plus de glucides que les omnivores, ce qui augmente le glycogène musculaire, et par conséquent l’endurance. Les antioxydants naturels, présents en plus grande quantité dans l’alimentation végétalienne, diminuent quant à eux l’inflammation.»
On associe souvent le régime végétalien à des carences en protéines, en fer, en calcium et en vitamine B12 et D. Selon le professeur, l’important est d’avoir une alimentation variée et de qualité. «Tant que l’ensemble des nutriments sont présents dans le régime adopté, les personnes végétaliennes ne sont pas désavantagées sur le plan de la performance.»
Se décrivant lui-même comme flexitarien – une personne qui réduit sa consommation de viande sans l’abandonner complètement –, Antony Karelis aborde régulièrement les bienfaits du véganisme dans son cours Activité physique, alimentation et santé. «Je donne souvent en exemple des animaux herbivores comme l’éléphant et le cheval, qui n’ont pas besoin de manger de viande pour avoir une grande force physique. Si c’est vrai dans la nature, ce doit être possible pour les humains aussi.»
Changement de mentalité
Le mythe de l’athlète carnivore est remis en question depuis quelques années. L’ultramarathonien Scott Jurek, le champion de course automobile Lewis Hamilton et l’acteur Arnold Schwarzenegger comptent parmi les adeptes du véganisme. «Le documentaire The Game Changers (2018) vante aussi les bienfaits d’une alimentation végétalienne pour les athlètes», mentionne Antony Karelis.
Le professeur est conscient que cette première étude sur les liens entre l’alimentation végétalienne et la performance physique était limitée à une certaine catégorie de la population. «Nous avons ciblé les jeunes femmes parce que ce sont elles qui adoptent le véganisme en majorité, dit le professeur. Nous aimerions élargir l’étude aux hommes ou à des femmes de plus de 35 ans. Mais il n’y a aucune raison de croire que les résultats seraient différents pour ces groupes.»
Selon Antony Karelis, la pandémie actuelle pourrait amener un changement de mentalité dans la population. «L’alimentation végétalienne est bénéfique pour la santé, pour l’environnement et pour la protection des animaux, dit-il. Si c’est bon aussi pour la performance physique, il n’y a pas de raison de ne pas encourager ce mode de vie.»