Au cours des 15 dernières années, le nombre d’élèves allophones n’a cessé d’augmenter sur le territoire montréalais, au point où des écoles primaires accueillent aujourd‘hui plus de 9 enfants sur 10 dont la langue maternelle n’est ni le français ni l’anglais. Afin de maintenir les acquis scolaires en français de ces jeunes élèves et de favoriser leur intégration socioculturelle, le Centre lasallien, un organisme communautaire du quartier Saint-Michel, à Montréal, a mis sur pied l’été dernier le camp des PROS (P pour plaisir, R pour réussite, O pour opportunités et S pour Services). Malgré la pandémie, ce camp éducatif a réuni, durant cinq semaines, quelque 39 jeunes allophones nouvellement arrivés au Québec, issus de classes d’accueil du primaire et du secondaire.
«Le camp visait à répondre à des préoccupations exprimées par des directions d’écoles du quartier Saint-Michel concernant la difficulté pour bon nombre d’élèves allophones de maintenir leurs acquis en français durant le congé estival, entraînant ainsi un cumul de retards dans les apprentissages scolaires», explique la professeure du Département d’éducation et formation spécialisées Gina Lafortune, qui a accompagné le Centre lasallien dans la mise sur pied du camp. «Au cours de l’été, poursuit-elle, les parents, dont plusieurs ne parlent pas français, peuvent difficilement soutenir leurs enfants et n’ont pas toujours les moyens de payer un tuteur pour les aider à combler leurs retards.»
Abritant plusieurs familles défavorisées, Saint-Michel est l’un des huit arrondissements du Grand Montréal ayant la plus forte proportion (73,7 %) d’élèves issus de l’immigration. «Leurs besoins en francisation sont criants, observe Gina Lafortune. Regroupés dans des classes d’accueil, leur niveau de maîtrise de la langue varie selon leur parcours migratoire et leur cheminement scolaire antérieur. Certains jeunes, par exemple, ont vécu dans des camps de réfugiés où la scolarisation était sommaire, alors que d’autres sont arrivés au Québec avec des troubles d’apprentissage souvent non diagnostiqués, complexifiant ainsi leur transition vers une classe régulière.»
La professeure connaît bien les réalités des élèves issus de l’immigration ainsi que le quartier Saint-Michel, où elle entretient, depuis plus de 10 ans, des liens avec plusieurs écoles et organismes communautaires. Elle mène actuellement une recherche, en collaboration avec le Centre lasallien, qui permettra de documenter l’expérience du camp. «Je participe depuis deux ans aux rencontres de la table de concertation de l’école Louis-Joseph-Papineau, qui réunit des organismes communautaires du quartier. C’est dans ce cadre que j’ai rencontré le responsable du Centre lasallien, qui m’a parlé du projet de camp. Puis, j’ai pris contact avec le Service aux collectivités de l’UQAM pour obtenir son soutien à un projet de recherche visant à évaluer les effets du camp sur les jeunes.»
Éducatif et ludique
Le camp des PROS proposait des activités pédagogiques à caractère ludique, axées sur les arts (théâtre, peinture, musique, cirque), le patrimoine (visite au musée, exploration des ressources communautaires du quartier) ainsi que le sport et les technologies. Le défi consistait à intégrer une dimension éducative dans ce type d’activités, qui permette d’enrichir le vocabulaire des jeunes et de développer leurs habiletés en lecture et en écriture du français.
«Nous avons travaillé à la fois la langue orale et écrite, souligne Gina Lafortune. À travers la réalisation et le montage d’une vidéo, les jeunes pouvaient se filmer en racontant une histoire. D’autres devaient préparer des plats à partir de recettes de cuisine, ou rédiger les consignes d’un jeu d’équipe. Dans le cadre d’une autre activité portant sur les contes du Québec et d’ailleurs, les enfants se sont amusés à mimer et à mettre en scène certaines expressions.»
L’autre volet du camp visait à prévenir l’isolement des jeunes et à développer leur sentiment d’appartenance à la communauté. Certains ont découvert les ressources offertes par la bibliothèque de leur quartier, alors que d’autres ont visité le marché public Jean-Talon en compagnie d’un guide touristique qui leur a raconté son histoire. «Pour la plupart des jeunes, le camp représentait une occasion unique de socialiser, surtout que, pandémie oblige, plusieurs d’entre eux n’avaient pratiquement pas quitté leur foyer depuis trois mois, indique la professeure. Les liens qui se sont tissés devraient perdurer puisque des élèves ayant terminé leur primaire se retrouvent ensemble au secondaire cet automne.»
Les défis de l’intégration
– À la rentrée scolaire 2018-2019, la proportion d’élèves allophones du primaire et du secondaire à Montréal était de 43 %, surpassant celle d’élèves dont la langue maternelle est le français et l’anglais.
– L’apprentissage de la langue d’enseignement, l’isolement social et les difficultés de leurs parents à se trouver un emploi représentent les trois principaux problèmes auxquels ces jeunes sont confrontés.
– Bien que certains élèves allophones maîtrisent le français et peuvent poursuivre leur scolarité en classe régulière, d’autres en ont une connaissance insuffisante. Le temps et les efforts consacrés à l’apprentissage de la langue d’enseignement entraînent des retards scolaires et de faibles performances dans les autres matières.
Présente sur le terrain
Présente sur le terrain, Gina Lafortune a observé le déroulement du camp, tout en échangeant avec les intervenants et les jeunes. Des groupes de discussion réunissant des élèves ont été créés pour connaître leur appréciation du camp. «De cette façon, nous serons mieux armés pour faire une évaluation plus formelle des activités en prévision de la deuxième édition du camp l’été prochain, remarque la chercheuse. Nous devrions également avoir les profils des besoins des jeunes qui y participeront, ce qui a été impossible cette année.»
Gina Lafortune s’intéressera plus spécifiquement à 24 jeunes, filles et garçons, provenant de deux écoles primaires et d’une école secondaire. «À l’aide d’une grille d’observation, je veux dégager les principales caractéristiques des activités et identifier lesquelles ont eu le plus d’impact sur le maintien et la progression des acquis en français oral et écrit ainsi que sur l’intégration socioculturelle: prises de parole et aisance, fréquence d’interactions avec les pairs et les intervenants, initiative et autonomie, etc.»
Ce qui a le plus frappé la professeure, c’est à quel point le camp a permis de briser l’isolement des jeunes. «Étant au Québec depuis peu de temps, six mois pour certains, deux ou trois ans pour d’autres, ces jeunes n’ont pas beaucoup d’amis. Le camp leur a permis de nouer des liens entre eux et de garder un contact avec le Centre lasallien. Des responsables du Centre m’ont d’ailleurs raconté que, depuis la rentrée scolaire, des élèves ayant participé au camp étaient venus les voir après l’école.»
Potentiel de rayonnement
La professeure et les responsables du Centre lasallien ont aussi pour objectif que l’expérience du camp serve à des écoles et organismes communautaires et scolaires dans d’autres quartiers de Montréal. Une vidéo a déjà été réalisée pour faire connaître le projet et une boîte à outils sera bientôt conçue.
En plus de l’école secondaire Louis-Joseph Papineau et des écoles primaires du quartier Saint-Michel, le projet a suscité l’intérêt d’autres organismes scolaires, comme le Réseau Réussite Montréal, Une école montréalaise pour tous et le Centre de services scolaires de Montréal (CSDM). Dans le quartier Saint-Michel, le projet a reçu l’appui de la table Vivre Saint-Michel en santé avec son volet de réussite éducative, de la Direction régionale de santé publique (Montréal), de Centraide et de la Tohu, qui a offert des ateliers d’art du cirque au camp.
«L’un des aspects les plus intéressants du camp des PROS est la consolidation du lien écoles-familles-communauté, souligne Gina Lafortune. Des écoles du quartier ont d’ailleurs demandé au Centre lassalien comment elles pouvaient donner un coup de main pour la poursuite du camp l’été prochain.»