Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.
Les journalistes ont parlé d’un «documentaire fascinant», d’un «portrait intimiste et touchant d’une famille», d’une «quête personnelle d’un fils qui cherche à redécouvrir une partie de la vie de son père, qu’il n’a pas connue». Réalisé par le diplômé Félix Rose (B.A. communication, profil télévision, 2010), le documentaire Les Rose, fruit de huit ans de recherches, nous fait revisiter les événements tragiques de la crise d’Octobre 1970 sous un jour nouveau.
Au moyen de nombreuses images d’archives et d’entretiens avec des membres de sa famille, Félix Rose se questionne, 50 ans plus tard, sur les raisons qui ont incité son père Paul et son oncle Jacques, membres de la cellule Chénier du Front de libération du Québec (FLQ), à commettre les actes ayant entraîné la mort tragique du ministre Pierre Laporte. Pour la première fois, Jacques Rose a accepté de s’exprimer sur le sujet. Grâce aux confidences de son oncle, aux traces précieuses laissées par son père et à la marque profonde laissée par sa grand-mère sur ses enfants, le diplômé ravive l’héritage d’une famille ouvrière québécoise. Ce faisant, il redonne à la crise d’Octobre 70 et à l’action du FLQ leur dimension sociale.
«On a très peu parlé de la crise d’Octobre du point de vue de ceux qui ont été au cœur de ces événements, c’est-à-dire des membres du FLQ, observe Félix Rose. En donnant la parole à mon oncle et en retraçant celle de mon père, j’ai voulu rendre compte des motivations derrière leurs actions.»
Présentement à l’affiche dans une vingtaine de salles au Québec Les Rose a été nommé, le mois dernier, meilleur documentaire canadien au 12e Festival international de cinéma et d’art de Percé. Il est disponible sur Club illico (dans son intégralité) depuis le 27 septembre.
Colère et révolte
Le cinéaste suit le fil de son histoire familiale depuis l’aïeul employé de la Redpath, à Saint-Henri, aux taudis de Ville Jacques-Cartier, des ateliers du Canadien National aux comités de citoyens de la fin des années 1960. Félix Rose évoque ainsi la misère sociale des années 1950 et 1960 dans laquelle étaient plongées de nombreuses familles ouvrières canadiennes-françaises, une misère qui nourrissait des sentiments de colère et de révolte.
«Mon film n’a pas un caractère militant, dit le diplômé. Mon but n’était pas de banaliser, encore moins de justifier, l’enlèvement de Pierre Laporte – un geste grave que je désapprouve –, mais de comprendre les facteurs tant sociaux qu’individuels ayant conduit à un tel événement.»
Selon Félix Rose, les conditions de travail exécrables, l’humiliation et la domination sociale et économique subies par les travailleurs québécois à cette époque ont constitué un élément déclencheur. «Avant de joindre les rangs du FLQ, mon père était déjà un militant qui se battait pour les plus défavorisés. La justice sociale était ce qui l’interpellait le plus. Pour lui, la voie démocratique était bloquée et les droits des gagne-petits étaient bafoués. Comme d’autres personnes de son âge, il croyait que l’indépendance du Québec apporterait une solution aux inégalités.»
Si la plupart des critiques du film ont été élogieuses, certaines voix discordantes se sont aussi fait entendre, soulignant le manque de distance critique du cinéaste à l’égard de son sujet et sa vision quelque peu romantique et idéalisée de la cellule Chénier. «Le portrait que je brosse est subjectif et je pense que c’est ce qui fait l’intérêt du film. Il ne pouvait en être autrement puisque je parle de mon père et d’autres membres de ma famille. Je ne crois pas que mon regard soit complaisant. En tout cas, je l’assume.»
Le regard des jeunes
Plusieurs jeunes ont assisté aux projections du documentaire de Félix Rose, qui a effectué une tournée de promotion dans différentes régions du Québec. «Certains sont venus me voir pour me dire qu’ils n’avaient jamais entendu parler de ce que racontait mon film. Pour moi, qui suis né en 1987, il était important de m’adresser aux gens de ma génération.»
Le diplômé avoue avoir été surpris par les réactions positives du public. «Compte tenu du caractère controversé de mon père, je m’attendais à des réactions plus polarisées, dit-il. Les gens ont compris que je n’avais pas cherché à en faire un héros, mais à mieux comprendre son parcours.»
Un devoir de mémoire
Le professeur du Département de sociologie Jacques Beauchemin (Ph.D. sociologie, 1992) croit que nous avons un devoir de mémoire concernant la crise d’Octobre. «Au-delà de l’événementiel, si spectaculaire soit-il, ce devoir consiste à mettre en lumière, avec explications à l’appui, ce qui a mené à cette crise. Le FLQ, ce n’est pas une bande de fous qui décide du jour au lendemain d’enlever des gens. Ce mouvement est l’un des produits d’un parcours historique marqué par l’oppression nationale et sociale des Québécois, laquelle persistait en 1970, malgré les progrès accomplis durant la Révolution tranquille.»
C’est cela qu’il faut transmettre aux jeunes générations, souligne le sociologue. «Le fait que la situation socio-économique dans laquelle se trouvent aujourd’hui les Québécois francophones soit bien meilleure que celle des années 1960 et 1970 ne constitue pas une raison pour tout oublier.»
Celui qui a été sous-ministre au sein du dernier gouvernement du Parti québécois (2012-2014) considère néanmoins qu’il reste peu de choses de la crise d’Octobre. «Aujourd’hui, la plupart des Québécois rejettent la violence politique. Par ailleurs, la cause de l’indépendance du Québec, principale motivation du FLQ, ne suscite plus la même ferveur. Il y a 50 ans, le discours qui cherchait à mobiliser pour la souveraineté en invoquant la misère sociale, le mépris envers la langue française et la culture québécoise ou l’absence de pouvoir des Québécois sur leur économie avait une résonance, voire une prise certaine. Ce n’est plus vraiment le cas de nos jours.»
Le dernier felquiste
Félix Rose a également coréalisé et coproduit Le dernier felquiste, une série documentaire de six heures, qui sera diffusée sur Club Illico à compter du 1er octobre prochain. Le dernier felquiste, c’est Mario Bachand, membre en vue du FLQ, qui a été assassiné à Paris, en 1971, dans des circonstances jamais élucidées.
Pourquoi revenir sur cet épisode? «Il s’agit d’un projet collectif. À Babel films, nous avions commencé à recueillir des témoignages de gens qui ont milité au sein du FLQ, de 1963 à 1972, parce que nous considérions qu’il était important d’enregistrer leur parole. Nous avons aussi travaillé avec les journalistes Antoine Robitaille, du Journal de Montréal, et Dave Noël, du Devoir, qui avaient en tête de parler de l’affaire Mario Bachand. Puis, nous nous sommes dit que nous pourrions raconter l’histoire du FLQ à partir de celle de Bachand, un felquiste de la première heure qui connaissait tous les réseaux de l’organisation.»
Le cinéaste et son équipe ont enregistré quelque 50 témoignages d’anciens felquistes. «Certains d’entre eux s’expriment pour la première fois en public. Il nous a fallu gagner leur confiance pour les convaincre de se confier devant la caméra», remarque le diplômé.
On peut voir ici la bande annonce de la série.