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Jusqu’au déclin: un succès Netflix

Le premier long métrage du diplômé Patrice Laliberté a été visionné 21 millions de fois durant les quatre semaines suivant sa sortie.

Par Pierre-Etienne Caza

11 septembre 2020 à 14 h 09

Mis à jour le 23 octobre 2020 à 10 h 10

Série Tête-à-tête
Rencontre avec des diplômés inspirants, des leaders dans leur domaine, des innovateurs, des passionnés qui veulent rendre le monde meilleur.

Le diplômé Réal Bossé est l’un des acteurs de la distribution de Jusqu’au déclin.Photo: Bertand Calmeau

Le thriller nordique Jusqu’au déclin, premier long métrage du réalisateur Patrice Laliberté (B.A. communication/création médias – cinéma, 2017) et premier film produit par Netflix au Québec, a été lancé le 28 février dernier, deux semaines avant le confinement. «C’est quand même bizarre que ce huis clos entre adeptes du survivalisme qui se retrouvent dans un camp d’entraînement isolé, en plein hiver, ait été écrit il y a quelques années. Je n’aurais jamais pensé que le sujet aurait une telle résonance à la sortie du film», observe avec amusement Patrice Laliberté.

Ni un tel succès: quatre semaines après sa sortie, le film avait été visionné 21 millions de fois. «Quand les gens de Netflix m’ont appelé pour m’annoncer ces résultats, ça m’a pris deux jours pour en saisir l’ampleur», confie le réalisateur. Doublé en 12 langues et sous-titré en une trentaine, le film a fonctionné au-delà des attentes de Netflix, précise-t-il fièrement.

Il faut dire que le scénario concocté par Laliberté et ses collègues Nicolas Krief et Charles Dionne est enlevant. Dès l’amorce du film, on est happé par le récit, qui progresse rondement sans temps mort (le film dure à peine 83 minutes). Les personnages sont bien dirigés et campés par des acteurs solides, dont Guillaume Laurin, Marie-Évelyne Lessard, Réal Bossé (B.A. art dramatique, 1991) et Marc-André Grondin. Ce thriller ne réinvente pas le genre, mais il constitue assurément un bon moment de divertissement.

Tourné avec un budget d’environ 5 millions de dollars près de Sainte-Agathe-des-Monts, en plein mois de janvier, Jusqu’au déclin ne simule pas le froid intense. «Pour les scènes de nuit, nous débutions le tournage à 16 heures, raconte Patrice Laliberté. Il faisait alors -28 degrés sur le plateau et on savait que la température allait encore descendre. Je lève mon chapeau à l’équipe, qui a été formidable malgré ces contraintes.» La direction photo de Christophe Dalpé (B.A. communication/cinéma, 2011) joue d’ailleurs avec brio sur le contraste entre le noir d’encre de la nuit glaciale et la luminosité aveuglante des somptueux paysages diurnes.

Du court au long métrage

Patrice Laliberté durant le tournage de Jusqu’au déclin, son premier long métrage.
Photo: Bertrand Calmeau

Patrice Laliberté pensait que sa carrière avait définitivement pris son envol avec Viaduc / Overpass, un court métrage réalisé en 2015 qui a fait le tour des festivals de la planète, obtenant quelque 70 sélections et remportant une dizaine de prix, dont le Prix Écrans canadiens du meilleur court métrage dramatique au Festival international du film de Toronto. «Ce film m’a permis de voyager pendant deux ans d’un festival à l’autre», se rappelle-t-il. Par la suite, le jeune réalisateur a toutefois connu une traversée du désert durant laquelle tous ses projets ont été refusés par les organismes subventionnaires… y compris l’idée de Jusqu’au déclin. «Je n’étais pas certain de pouvoir ou même de vouloir poursuivre une carrière en cinéma», se souvient-il.

Mais l’idée de Jusqu’au déclin le tiraillait à un point tel qu’il a décidé d’écrire le scénario avec ses comparses même sans aucune aide financière. «Je me suis aperçu que c’était un formidable outil pour la suite des choses: avoir un scénario complet à présenter est beaucoup plus utile qu’une simple idée», analyse-t-il avec le recul.

Au printemps 2018, une amie le convainc de participer à l’appel de projets de Netflix organisé à Montréal. «Netflix a reçu 1200 propositions», souligne Patrice Laliberté. Il ne croit pas beaucoup en ses chances, mais lui et ses collègues sont convoqués en entrevue. Ils se retrouvent entourés de producteurs en veston-cravate. Contre toute attente, la représentante de Netflix adore leur scénario de thriller nordique.

L’éléphant dans la pièce (ou dans l’écran)

C’est Couronne Nord, la boîte de production qu’il a fondée avec ses amis Guillaume Laurin et Julie Groleau, qui a obtenu le financement pour produire Jusqu’au déclin. Patrice Laliberté en est évidemment ravi. Que pense-t-il des critiques qu’a essuyées la ministre Mélanie Joly pour avoir conclu une entente de 500 millions de dollars avec Netflix en 2017 ? «Est-ce que cette entente était la meilleure possible? Je ne sais pas, dit-il, mais, ultimement, il faut regarder les choses pour ce qu’elles sont: Netflix finance du contenu régional en langue originale, ce que ne fait pas Amazon, ni Disney. Cet argent investi ici permet à nos créateurs et à nos artisans de travailler et de faire rayonner notre culture à l’échelle planétaire.»

Depuis le début de la pandémie, les cinéphiles se sont tournés en masse vers les services de visionnement en ligne, poursuit le réalisateur. «La réalité cinématographique était déjà en transformation. Ce changement va s’accentuer et ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Ce déplacement du grand écran – que j’adore! –  vers d’autres plateformes ne diminue pas la qualité de l’expérience. Je n’ai jamais vu de films de Bergman au cinéma et cela ne m’a pas empêché d’apprécier son œuvre. Les classiques, je les ai presque tous vus sur une télévision ou un écran d’ordinateur.»

La suite des choses

D’ailleurs, le prochain film de Patrice Laliberté, intitulé Très belle journée, a été filmé avec un téléphone cellulaire (et un budget beaucoup plus modeste que Jusqu’au déclin). «Il s’agit d’un film néo-noir sur le mal de vivre, mettant en scène un conspirationniste solitaire (Guillaume Laurin) qui rencontre sa nouvelle voisine instagrammeuse (Sarah-Jeanne Labrosse)», révèle le réalisateur. Comme le thème principal de Jusqu’au déclin, ce nouveau projet, pourtant écrit il y a quelques années, semble à nouveau mettre le doigt sur un phénomène exacerbé depuis quelques mois. Il faut croire que son créateur a le pif pour cerner des enjeux de société en émergence.

Y aura-t-il une autre association avec Netflix? «Le dialogue demeure ouvert, affirme Patrice Laliberté. Ce qui est certain, c’est que le succès de Jusqu’au déclin me permet aujourd’hui d’obtenir plus facilement des rencontres avec des producteurs, autant ici qu’à l’étranger.» Une carrière à suivre!

La marque UQAM

Patrice Laliberté a bien failli ne jamais obtenir son diplôme de l’UQAM. «J’ai amorcé mon bac en 2007, mais après trois ans, j’ai multiplié les expériences de travail, même si je n’avais pas complété mon cursus en entier, raconte-t-il. Je suis retourné en classe pour clore la boucle, 10 ans plus tard, car je trouvais ça important de compléter le programme.»

Le jeune réalisateur dit avoir adoré sa formation à l’École des médias. «Je suis un pur produit de l’UQAM, affirme-t-il. On m’a inculqué une façon de voir et de faire du cinéma très groundée, axée sur l’importance de mettre de l’avant de bonnes histoires qui posent un regard critique sur la société. Et puis le programme est ancré dans la pratique: on tourne sans arrêt et on a la chance de toucher à tout, à chacune des étapes de la production d’un film.»