COVID-19: tous les articles
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Avant la pandémie, les enfants fréquentant une école privée passaient en moyenne 3,8 heures par semaine sur Internet pour faire leurs devoirs scolaires, contre 2 heures pour ceux des écoles publiques. Les écoles privées étaient aussi plus nombreuses à demander aux parents d’acheter des ressources (applications, logiciels) ou du matériel numérique (tablettes tactiles, ordinateurs portables). Enfin, elles utilisaient davantage les technologies numériques pour communiquer avec les parents, facilitant la relation école-famille. Ces données sont tirées de l’article «Il est plus que temps de prendre au sérieux les inégalités numériques et scolaires», paru récemment sur le site La Conversation, sous la plume du professeur du Département de didactique des langues Simon Collin.
«La fermeture des écoles provoquée par la crise sanitaire a contribué à mettre en relief les inégalités numériques et scolaires, alors que les écoles, les élèves et leurs familles ont fait l’expérience du tout en ligne», constate le professeur, qui est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’équité numérique en éducation. «Advenant de nouvelles fermetures, ces inégalités pourraient s’exacerber cet automne puisque les écoles privées détiennent une longueur d’avance sur les écoles publiques en matière d’apprentissages réalisés durant le confinement.»
Selon Simon Collin, la pandémie a mis à mal l’archétype d’une jeunesse hyperconnectée utilisant quotidiennement les nouvelles technologies numériques et développant par le fait même de nouvelles manières d’être, de faire et d’apprendre. «Avec la fermeture des établissements scolaires, la relation pédagogique est devenue entièrement dépendante des technologies, de celles présentes dans les foyers plutôt que dans les écoles, note le chercheur. Cela a mis en lumière le fait que plusieurs familles disposent de ressources limitées par rapport à d’autres.»
Mesures gouvernementales
Depuis le début de la pandémie, les provinces au Canada ont adopté différentes mesures afin d’assurer la continuité pédagogique en ligne pour les élèves. L’Ontario, par exemple, a pris les devants dès la fermeture des établissements en dotant les élèves qui en avaient besoin d’équipements informatiques et en ouvrant les réseaux Wi-Fi des écoles pour pouvoir s’y connecter de l’extérieur.
Au Québec, toutefois, le ministère de l’Éducation a manqué d’ambition et n’a pas été suffisamment proactif, soutient le professeur. «Les consignes transmises aux écoles consistaient à prendre contact avec les familles des élèves pour éviter que ces derniers ne décrochent. Il aurait fallu s’assurer que davantage de foyers disposent d’équipements technologiques adéquats, quitte à fournir des ressources supplémentaires dans les milieux plus défavorisés. Les élèves des écoles privées ont pu ainsi continuer de progresser plus facilement dans le curriculum scolaire, tandis que d’autres, dans les écoles publiques essentiellement, ont vécu des ruptures importantes.»
Inégalités sociales et numériques
Les inégalités numériques sont tributaires des inégalités socio-économiques, tient à rappeler Simon Collin. «Les familles les plus défavorisées sont davantage confrontées à des ruptures d’abonnement à Internet en cas de coup dur financier, de sorte que leur connexion est plus discontinue.» Ces familles sont aussi plus nombreuses à accéder à Internet seulement au moyen d’un téléphone intelligent. «Les apprentissages à la maison, qui reposent de plus en plus sur le recours aux technologies, en sont directement affectés», observe le chercheur.
Favoriser l’accès le plus large possible aux technologies numériques est certes essentiel, mais cela ne permet pas toujours de remédier à d’autres types d’inégalités. «Il ne suffit pas d’un coup de tablette magique, dit Simon Collin. À équipement égal, les inégalités numériques continuent de se manifester sur le plan des usages, des compétences et des représentations.»
On sait qu’une grande majorité d’adolescents partage un petit lot d’usages relatifs à la communication et à la consommation médiatique (TikTok, Snapchat, YouTube). «Certains jeunes développent en outre des usages de plus en plus différenciés et complexes, éducatifs notamment, comme la recherche documentaire, et sont capables de se servir des technologies pour atteindre des objectifs particuliers», remarque le chercheur.
Les parents jouent un rôle important pour que leurs enfants développent un rapport non seulement ludique, mais éducatif aux technologies. «Dans certains milieux, l’utilisation d’outils numériques pour faire les devoirs à la maison constitue un réflexe presque naturel, indique Simon Collin. Sur le plan des représentations, les enfants qui voient leur mère ou leur père travailler régulièrement avec un ordinateur à la maison comprendront que cet outil peut être utilisé pour d’autres usages que le jeu et qu’il auront peut-être envie de découvrir.»
Un choix de société
À court terme, que peut-on faire concrètement pour réduire les disparités en termes numériques entre les écoles et les élèves? On sait que le Québec s’est doté d’un nouveau plan d’action portant sur le numérique en éducation, qui comporte des moyens financiers pour acheter des équipements et assurer la formation des enseignants. Mais est-ce suffisant?
«Aujourd’hui, nous ne savons pas dans quelle mesure les jeunes maîtrisent les technologies numériques lorsqu’ils terminent leur secondaire, dit le chercheur. Ce qui manque, présentement, c’est un programme spécifique permettant à tous les élèves d’acquérir, du début jusqu’à la fin du secondaire, des compétences numériques, que celles-ci soient techniques, méthodologiques – comment faire une recherche documentaire, par exemple – ou éthiques, pour comprendre les implications des usages du numérique dans notre société.» En d’autres termes, des compétences transversales qui seront utiles dans les autres matières. «Si on ne s’engage pas dans cette voie, les jeunes développeront des compétences de manière inégale selon le milieu social et scolaire dans lequel ils évoluent.»
Il est temps aussi que ces enjeux soient envisagés à moyen et long terme, croit Simon Collin. «La lutte contre les inégalités numériques et scolaires constitue un choix de société. C’est avant tout une question de courage, de volonté et d’efforts politiques, éducatifs et sociaux portés par une vision équitable de l’éducation. C’est à ce prix-là que nous prendrons au sérieux les inégalités.»