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L’évaluation en action communautaire

Une recherche partenariale nourrira la réflexion sur le futur Plan d’action gouvernemental en action communautaire.

Par Claude Gauvreau

19 octobre 2020 à 17 h 10

Mis à jour le 19 octobre 2020 à 17 h 10

Le rôle du secteur communautaire est appelé à croître au cours des prochanes années, ce qui signifie que les besoins en évaluation de ses interventions seront encore plus importants.Illustration: Getty/Images

Laboratoire d’innovations sociales depuis les années 1970, le mouvement communautaire au Québec s’appuie sur les principes de justice sociale, de participation citoyenne et d’autonomie organisationnelle afin de répondre à des besoins en matière de santé, de services sociaux et d’éducation que ni l’État ni le marché ne veulent ou ne peuvent satisfaire. Quelles sont, dans ce contexte, les pratiques évaluatives développées par les groupes communautaires concernant leurs actions?

Cette question est au centre d’une recherche partenariale visant à mettre à jour le portrait des pratiques d’évaluation dans les organismes communautaires au Québec. Les professeures du Département d’organisation et ressources humaines Sonia Tello-Rozas et Maude Léonard participent à cette recherche coordonnée par le Service aux collectivités de l’UQAM, qui implique également le Réseau québécois d’action communautaire, le Centre de formation populaire et Relais-Femmes, un organisme chapeautant plusieurs groupes de femmes. Le projet est financé par le ministère québécois du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale en vue de nourrir la réflexion entourant l’élaboration du nouveau Plan d’action gouvernemental en action communautaire, prévu pour 2021.

La recherche permettra de documenter les pratiques d’évaluation des organismes communautaires et d’identifier leurs besoins en cette matière, explique Sonia Tello-Rozas. «Nous souhaitons distinguer les pratiques d’évaluation entreprises par et pour les organismes communautaires et les exercices de reddition de comptes exigés par leurs bailleurs de fonds et leurs partenaires externes. À la différence de la reddition de comptes, l’évaluation doit être conçue comme un outil indispensable à la formulation de l’action, à sa mise en œuvre et à son amélioration afin qu’elle ait un effet sur la société.»     

Les résultats de la recherche seront utiles non seulement au gouvernement, mais aussi aux groupes communautaires, poursuit Lise Gervais (B.T.S., 1978), coordonnatrice du développement et de la liaison à Relais-femmes. «Que veut-on évaluer ? Comment doit se faire l’évaluation et par qui? Sur la base de quels critères? Voilà autant d’enjeux qui seront abordés dans la recherche», souligne la lauréate 2018 du prix Reconnaissance de la Faculté des sciences humaines.  

Une large consultation

En février 2019, le ministère québécois du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale a lancé une large consultation en vue d’élaborer d’un nouveau plan d’action gouvernemental en matière d’action communautaire. Par cette démarche, le gouvernement réitérait son engagement à offrir un meilleur soutien au mouvement communautaire.

«Les organismes communautaires attendent depuis longtemps que le gouvernement, dont le dernier plan d’action remonte à 2004, mette sa stratégie à jour, note Sonia Tello Rozas. La question des démarches d’évaluation au sein des organismes communautaires y occupera une place importante.»

Selon la professeure, le nouveau plan d’action représente un moment charnière pour le mouvement communautaire. «Les enjeux qui y sont associés concernent la reconnaissance de l’autonomie du mouvement communautaire et le type de soutien que l’État peut lui accorder. Important bailleur de fonds, le gouvernement québécois verse plus de 1 milliard de dollars à quelque 5 000 organismes communautaires.»

Mettre à jour les pratiques d’évaluation

La recherche partenariale vise à mettre à jour une étude intitulée «Analyse des pratiques d’évaluation dans les organismes communautaires», coordonnée par le Service aux collectivités et réalisée en 2005 par un groupe de chercheurs en collaboration avec  plusieurs groupes communautaires. Selon cette étude, les organismes communautaires étaient généralement favorables à l’évaluation parce qu’elle leur permettait d’assurer une meilleure qualité de services, de réfléchir à leur mission et à leurs valeurs, et de mieux rendre compte de leurs pratiques. Soucieux de préserver leur intégrité, les groupes voulaient, toutefois, avoir leur mot à dire sur le modèle d’évaluation appliqué à leurs actions.

En 2005, certains groupes communautaires exprimaient également une méfiance à l’égard de l’évaluation, craignant que celle-ci ne serve de mécanisme de contrôle pouvant menacer leur autonomie, au lieu d’être un outil de réflexion critique.

«Dans les années qui ont suivi, beaucoup de formation a été dispensée au sein des organismes communautaires, ce qui a contribué à atténuer la méfiance à l’égard des pratiques d’évaluation, observe Sonia Tello-Rozas. Aujourd’hui, il appartient aux milieux communautaires de relever le défi de faire de l’évaluation un levier pour l’amélioration de leurs pratiques.» Pour Lise Gervais, le réflexe de méfiance n’est pas totalement disparu. «L’évaluation comporte toujours une forme de jugement», dit-elle.

Les principaux obstacles rencontrés par les groupes communautaires pour évaluer leurs pratiques n’ont pas fondamentalement changé depuis 2005. «Le manque de ressources financières et humaines constitue l’obstacle majeur, influençant la motivation des groupes à s’engager dans l’évaluation», indique Sonia Tello Rozas. «Les organismes communautaires consacrent une grande part de leurs ressources à la course aux subventions pour assurer leur survie et manquent de temps pour évaluer leurs programmes d’activités, une démarche qui exige un  savoir-faire particulier», renchérit Lise Gervais.

Un nouvel écosystème

La recherche examinera le développement d’un nouvel écosystème d’évaluation dans le secteur communautaire. «Les Fondations philanthropiques privées développent des expertises en évaluation qu’elles souhaitent voir transférer dans les organismes qu’elles financent, remarque Sonia Tello-Rozas. On observe aussi la présence d’experts en évaluation, dont certains ont des liens avec le gouvernement et avec les fondations philanthropiques, qui accompagnent les organismes communautaires.»

Il est arrivé par le passé que des fondations philanthropiques imposent leurs propres grilles d’évaluation, note Lise Gervais. «Avec le temps, elles ont pris conscience que cela ne collait pas nécessairement à la réalité du mouvement communautaire, particulièrement diversifiée et complexe. La recherche permettra de voir dans quelle mesure la pensée des fondations a évolué à ce chapitre.»   

L’équipe de recherche est actuellement dans une phase de cueillette de données quantitatives et qualitatives. Elle prévoit organiser des groupes de discussion avec des représentants des groupes communautaires, des bailleurs de fonds et des experts accompagnateurs. «L’objectif est de mieux comprendre les rapports entre ces groupes d’acteurs ainsi que leur vision et leurs attentes», dit Sonia Tello-Rozas.

Plusieurs questions continuent de se poser en 2020, que ce soit sur les besoins des organismes communautaires en matière de pratiques d’évaluation, sur le rôle des bailleurs de fonds et des spécialistes en évaluation ou sur l’écosystème d’évaluation. Chose certaine, avec l’aggravation de problèmes sociaux liés à la pauvreté et à l’exclusion, le rôle du secteur communautaire est appelé à croître au cours des prochaines années, ce qui signifie que les besoins en évaluation de ses interventions seront encore plus importants, soutient Lise Gervais. «On le voit bien dans le contexte actuel de crise sanitaire. Le premier ministre Legault a déclaré que les portes des groupes communautaires devaient rester ouvertes parce que l’on compte sur eux pour répondre à des besoins urgents, ceux de populations vulnérables notamment, et pour assurer une cohésion sociale.»