Mardi soir, début de session, fin du mois de septembre. La lumière tombe doucement sur la ville. Le cours Microprojet de design d’événements: événement urbain commence à 18 heures sur la place du métro Saint-Laurent. C’est l’un des lieux phares où les étudiantes et étudiants du programme de D.E.S.S. en design d’événements expérimentent depuis quelques années. Ces jours-ci, on peut y voir Ressac, une installation créée par quatre finissantes de l’an dernier.
Pandémie oblige, le chargé de cours de l’École de design Maxim Bonin (M.A. communication, 2018) doit faire preuve d’imagination pour transmettre la matière prévue au programme et aider la classe à faire avancer ses projets. Depuis le début de la session, il alterne entre des séances sur Zoom et des rencontres qui intègrent le mode présentiel. Ce soir-là, le cours se déroule en plein air, sur les lieux de présentation des projets, mais la moitié du groupe, en France, participe par l’intermédiaire de Zoom. Pour ces six personnes, la classe se terminera exceptionnellement à presque trois heures du matin!
«Ce cours est normalement programmé en matinée, nous rassure Maxim Bonin. Habituellement, les six personnes qui sont en France n’ont pas à se coucher aux petites heures du matin pour y assister.»
Doctorant en communication, le chargé de cours est aussi cofondateur de la coopérative de travail Le Comité, qui utilise le design dans une perspective de développement et d’intervention. À l’origine de la réflexion soumise à la classe en vue du projet, il y une question tirée du manifeste Reconstruire doucement, rédigé par Le Comité en réaction à la pandémie de COVID-19. «Cette crise vécue à l’échelle du globe pourrait-elle être le point de départ d’une transformation profonde de l’ensemble des sphères économique, politique, sociale et culturelle? (…) Nos milieux urbains pourraient-ils devenir les premiers viviers de cette grande mutation post-pandémique?»
Confinement/Déconfinement
Sur le thème «Confinement/Déconfinement», les quatre équipes du groupe doivent produire un projet de design dans l’espace urbain. «Je leur ai demandé d’explorer le thème en utilisant les concepts du temps et de l’espace en période de crise sanitaire pour ensuite proposer une expérience participative et/ou contemplative en milieu urbain la nuit, en plein hiver», explique le chargé de cours.
L’événement, d’une durée de deux semaines, sera conçu de manière à pouvoir être présenté physiquement et virtuellement et à tisser des liens entre Montréal et d’autres villes canadiennes ou à l’international.
Plusieurs lieux avaient été proposés à la classe, dont le terrain entourant l’édicule du métro Saint-Laurent, où se rejoignent ce soir-là les membres de la première équipe qui va présenter son projet. Comme chaque équipe regroupe des membres au Québec et en France, les deux étudiantes sur le terrain présentent leur projet avec leurs deux collègues qui interviennent par l’intermédiaire de Zoom.
Parmi les participants, il y aussi Morgan Legaré et Chloé Puquet, du Festival Art souterrain, qui feront partie du jury appelé à évaluer les travaux du groupe à la fin de la session. Comme certains projets pourraient être sélectionnés pour être réalisés dans le cadre du cours Production d’une exposition/d’un événement offert à la session d’hiver, ils sont doublement intéressés. En effet, on discute de la possibilité d’intégrer un de ces projets au prochain parcours d’Art souterrain à l’hiver 2021.
Proximité et distanciation
Le premier projet de la soirée a pour objectif de créer un sentiment de proximité dans l’espace public tout en respectant la distanciation sociale. Sur l’ordinateur portable d’une des étudiantes, on peut voir le moodboard (tableau montrant les différentes sources d’inspiration du projet) pendant qu’un des membres de l’équipe, en France, explique leur choix de matériaux et de couleurs. Comme il y a encore beaucoup de circulation sur le boulevard Saint-Laurent à cette heure-là, le bruit des camions enterre parfois la voix étudiante venue d’outre-mer. Mais on s’adapte! Après chaque intervention à distance, une des étudiantes de Montréal résume le propos pour ceux qui en auraient manqué des passages.
Après cette première présentation, le groupe prend le métro et se déplace vers le site choisi par la deuxième équipe, la place Victoria, avec son bel édicule Art nouveau offert à Montréal par la Ville de Paris, source d’inspiration pour l’équipe. La présentation est axée sur les notions de rêve et de voyage, mais aussi sur l’opposition entre la nature, qui a repris ses droits pendant le confinement, et l’urbanité.
Après chaque présentation, Maxim Bonin fait ses commentaires, suggérant des pistes. «Comment créer un moment de liberté éphémère en milieu urbain? Pour moi, c’est sur cette idée que vous devez vous concentrer, dit-il aux étudiantes du groupe. Cela doit vous amener à aborder la dimension politique du rapport à la ville.»
Le chargé de cours salue les étudiantes de l’équipe en France, pour qui il commence à se faire tard. À Montréal, la nuit est tombée sur la ville et le cours se poursuit sous les étoiles alors que le groupe marche vers la troisième station de la soirée, un espace devant le Palais des Congrès, en face de la place Jean-Paul Riopelle.
Liberté et mouvement
Le projet de la troisième équipe s’intéresse aussi au concept de liberté. «Que ce soit en France ou au Québec, le mouvement est devenu de plus en plus contrôlé pendant le confinement, observe l’une des étudiantes de l’équipe. Puis, avec le déconfinement les gens ont retrouvé une certaine liberté de mouvement, mais une nouvelle forme de contrôle s’est installée.»
Pour faire respecter la distanciation sociale, on a fait appel à la signalétique, qui a littéralement envahi l’espace public. Mais est-ce que les citoyens sont en mesure de respecter la distanciation sans toutes les interventions des designers qui les enjoignent de circuler dans un sens ou dans l’autre? L’installation proposée par l’équipe veut jouer avec la signalétique en détournant ses règles et ses codes.
La marche en temps de pandémie
La dernière présentation de la soirée a lieu non loin de là, de l’autre côté du Palais des Congrès, près de l’entrée du métro. L’équipe s’est intéressée à la marche en temps de pandémie. En France, la marche était contrôlée par les autorités: les gens n’avaient pas le droit de se déplacer sans raison valable à plus d’un kilomètre de leur lieu de résidence. Au Québec, au contraire, c’est une des seules activités qui permettait de s’évader un peu. Marcher redevenait une forme de liberté, par opposition à la marche routinière qui nous mène généralement du point A au point B, comme des automates.
Pour préserver une déambulation plus libre en mode déconfinement, les membres de l’équipe proposent une installation qui a pour but de briser le rythme de la marche. Cette installation prend la forme d’un carrousel, qui serait conçu de telle manière que les gens s’y assoiraient dos à dos, plutôt que face à face, évitant ainsi les risques de contagion.
Le chargé de cours fait ses derniers commentaires et répond aux questions sur les prochaines étapes de développement des projets. Il est maintenant temps de se dire «au revoir» pour celles qui sont encore sur place. Et «bonne nuit» pour les autres en France!