La société montréalaise de solutions de paiement électronique Nuvei a fait une entrée spectaculaire à la Bourse de Toronto, le 15 septembre dernier. L’entreprise a amassé plus de 800 millions de dollars US de capitaux, portant sa valorisation à 6,6 milliards. «L’introduction en bourse, ou IPO dans le jargon financier (pour Initial public offering), est une étape importante dans le développement d’une entreprise», affirme Maher Kooli. Le professeur du Département de finance de l’ESG UQAM se réjouit pour cette entreprise québécoise, tout en observant par ailleurs que les sociétés d’ici sont peu nombreuses à oser l’aventure boursière.
Voir son entreprise cotée en bourse comporte de nombreux avantages, explique le spécialiste. «Cela apporte de nouvelles liquidités, de même qu’une notoriété et une visibilité permettant de retenir les talents et d’attirer des cadres supérieurs. Cette démarche permet aussi d’entamer une série de fusions/acquisitions assurant la croissance de l’entreprise à moyen et long terme.»
Pourtant, au cours des 10 dernières années, Maher Kooli a noté une baisse du nombre d’introductions en bourse en Amérique et en Europe. «Les jeunes entreprises en croissance préfèrent opter pour des opérations de fusions et acquisitions plutôt que de s’inscrire en Bourse», explique-t-il. Environ 90 % des IPOs sont effectuées par des entreprises du secteur des technologies et la majorité provient d’Asie, ajoute-t-il.
Selon le professeur, la proportion d’entreprises québécoises inscrites en bourse ne correspond pas au poids des entreprises d’ici dans l’économie canadienne. «Le nombre de sociétés québécoises inscrites à la Bourse de Toronto représente 7 % de toutes les inscriptions canadiennes, alors que l’économie québécoise compte pour environ 20 % de l’économie canadienne, observe-t-il. En comparaison, 40 % des inscriptions canadiennes proviennent de l’Ontario, 30 % de la Colombie-Britannique et 10 % de l’Alberta.»
Plusieurs entreprises québécoises pourraient tenter leur chance, observe-t-il, notamment dans les secteurs de l’innovation technologique, des sciences de la vie et des ressources naturelles et minières.
Pas pour toutes les entreprises
Même s’il déplore que peu d’entreprises québécoises osent faire le saut en bourse, Maher Kooli reconnaît qu’elles ne sont pas toutes taillées pour cela. «Je ne le recommande pas aux petites entreprises, dit-il. Le processus, qui requiert le travail de plusieurs avocats et représentants d’institutions financières, est long et coûteux. Il faut divulguer son plan d’affaires et certaines compagnies peuvent être frileuses à l’idée de dévoiler certaines informations stratégiques.» Sans compter qu’une fois l’IPO effectuée, il faut s’engager à partager ses résultats financiers de manière périodique. «Pour plusieurs entrepreneurs, il s’agit de contraintes et d’irritants qui n’en valent pas la peine», estime-t-il.
Pour attirer davantage d’entreprises, il faudrait proposer des méthodes alternatives d’inscription en bourse permettant de réduire les coûts directs, affirme Maher Kooli. «En amont, la culture entrepreneuriale doit évoluer. Il faut amener les entrepreneurs à privilégier des objectifs de croissance et de développement à long terme. C’est seulement ainsi que les entreprises en démarrage pourront devenir des géants dans leur secteur respectif.»
Un travail d’équipe
Les entreprises qui tentent le coup et qui réussissent leur introduction en bourse sont bien épaulées, a constaté le professeur dans ses recherches antérieures. «Il s’agit d’un travail d’équipe. La plupart du temps, le fondateur de l’entreprise et ses proches collaborateurs entretiennent un lien étroit avec des investisseurs institutionnels et/ou privés, comme les fonds de capital de risque.»
Dans le cas de Nuvei, par exemple, le fondateur Philip Fayer et son équipe ont été soutenus par la Caisse de dépôt et placement du Québec et par le fonds de capital de risque Novacap. «La réputation et l’expérience des spécialistes en capital de risque influencent grandement le succès des processus d’IPO ou de fusion/acquisition, souligne Maher Kooli. Or, avec un joueur comme la Caisse de dépôt et placement, le Québec a les moyens d’effectuer plus d’IPOs.»
Tourné vers l’avenir
Nuvei, précise Maher Kooli, est un bon exemple d’entreprise qui aurait pu être rapidement vendue au plus offrant, car ses solutions de paiement électronique sont susceptibles d’intéresser plusieurs concurrents sur la planète, surtout en temps de pandémie. «Je ne pense pas que le fondateur regrettera d’avoir introduit son entreprise en bourse, car cela lui donnera accès à des leviers pour s’implanter encore plus solidement à l’échelle internationale», analyse-t-il.
La somme amassée lors de l’IPO de Nuvei servira à payer les dettes contractées auprès de ses investisseurs initiaux, a annoncé son fondateur. «Il y a fort à parier qu’on récompensera les employés avec des options d’achat d’actions», prédit Maher Kooli.
Alors, quelle sera la prochaine entreprise québécoise à se lancer en bourse?