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Une humaniste derrière la caméra

La diplômée Catherine Proulx a fait son chemin dans l’univers du documentaire télé en misant sur une approche d’une grande sensibilité.

Par Pierre-Etienne Caza

23 octobre 2020 à 9 h 10

Mis à jour le 28 novembre 2022 à 14 h 39

La réalisatrice Catherine Proulx, que l’on voit ici dans une scène du documentaire Trafic portant sur l’exploitation sexuelle des jeunes filles.

En ces temps de COVID, De garde 24/7 (jeudi 20 h, à Télé-Québec), un docuréalité sur le personnel soignant de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, apparait comme l’une des émissions les plus pertinentes de la télé québécoise. La diplômée Catherine Proulx (B.A. communication/journalisme, 2006) fait partie des réalisatrices de cette série. La jeune femme, qui roule sa bosse depuis une quinzaine d’années dans le milieu du documentaire, n’en est pas à son premier sujet chaud. Son premier film, réalisé alors qu’elle avait à peine fini son bac, faisait pénétrer le spectateur dans un pénitentier fédéral, à la rencontre de prisonniers condamnés à de lourdes peines. Trafic, son plus récent projet, porte sur l’exploitation sexuelle des mineures.

«La confiance que nous accordent les gens que nous filmons en nous donnant accès à leur réalité constitue le nerf de la guerre lorsqu’on tourne des documentaires comme ceux-là», affirme la réalisatrice, qui a accepté de nous parler de son parcours.

Une première carte de visite

Catherine Proulx n’avait jamais véritablement envisagé de devenir réalisatrice de documentaire avant de se retrouver au pénitencier fédéral Archambault, à Sainte-Anne-des-Plaines, en compagnie de sa collègue de promotion Karine Dubois (B.A. communication/journalisme, 2006). «Le responsable des loisirs de la prison cherchait des bénévoles pour réaliser des capsules vidéo mettant en scène des détenus purgeant de longues sentences afin de montrer aux jeunes comment se déroule la vie en prison, se rappelle-t-elle. Nous lui avons plutôt proposé de faire un documentaire et il a accepté!»

Sans budget et en se débrouillant avec leurs propres équipements, elles réussissent à scénariser, tourner et monter leur premier documentaire. Leur ancien collègue Charles-Robert Giguère (B.A. communication/journalisme, 2007; M.A. histoire, 2018) est à la direction photo et elles ont la chance d’obtenir quelques conseils d’aiguillage du producteur Marcel Simard (décédé en 2010).

«Je ne cherche pas la confrontation ni la polémique. Je veux découvrir l’univers des personnes auxquelles je donne la parole.»

Sorti en 2008, Un trou dans le temps a été sélectionné parmi les coups de cœur aux Rencontres internationales du documentaire de Montréal, et il a été  diffusé à RDI. Le documentaire s’intéresse à six détenus condamnés à des peines de 10, 20 ou 30 ans, lesquels témoignent de leur expérience du milieu carcéral. «Ils savent qu’ils vieilliront seuls et qu’au terme de leur sentence, beaucoup de gens les auront oubliés», souligne cette réalisatrice de proximité à l’approche résolument humaniste.

«Je ne cherche pas la confrontation ni la polémique, précise-t-elle. Je veux découvrir l’univers des personnes auxquelles je donne la parole. Pour les détenus, par exemple, il ne s’agissait pas de refaire leur procès ou de les dépeindre en victimes ou en monstres. Il s’agissait simplement de les laisser me montrer leur quotidien.»

En télé et en cinéma, le premier projet est important, note la réalisatrice. «Nous avions désormais une carte de visite, une crédibilité pour nous lancer dans d’autres projets.»

Cabaret et système judiciaire

Désirant se perfectionner, Catherine Proulx s’inscrit à l’INIS, où elle obtient, en 2010, un diplôme en réalisation documentaire. L’un de ses projets d’études débouche sur le court-métrage Le dernier cabaret. «Il s’agissait d’une rencontre avec des drag queens et des artistes de variétés du Cléo, le cabaret au-dessus du Café Cléopâtre», raconte-t-elle.

Dans le milieu du documentaire, les rencontres et les recherches effectuées pour un projet mènent souvent à d’autres idées, à d’autres productions. C’est ainsi que les recherches effectuées pour Un trou dans le temps ont amené la réalisatrice à développer le concept de Justice. En trois épisodes, la mini-série dresse le portrait de la justice telle que vécue par des «archétypes» du système judiciaire: un jeune contrevenant, une victime d’acte criminel et un ex-détenu.

Le dernier cabaret, tout comme Justice, ont été produits par Picbois Productions, la boîte fondée par son amie Karine Dubois.

Des médecins empathiques

Le rayonnement de ses projets lui a valu un appel de la maison qui produit De garde 24/7. «Quand on m’a contactée pour m’offrir de réaliser la deuxième saison [NDLR: qui se déroulait à l’hôpital Charles-Lemoyne], je me suis empressée d’accepter, se rappelle Catherine Proulx. J’avais vu quelques épisodes de la saison précédente et j’aimais beaucoup le traitement ainsi que les thèmes explorés.» Il n’a pas été difficile non plus de la convaincre de participer aux saisons 4, 5 et 6 en partageant le travail de réalisation avec d’autres collègues.

«Tous les médecins du Québec ne sont sans doute pas aussi empathiques que ceux que l’on voit dans l’émission, mais c’est un choix assumé par la production… et cela donne de la bonne télévision.»

Dans les chaumières québécoises, l’écoute et la gentillesse des médecins qui apparaissent dans De garde 24/7 font des envieux, Catherine Proulx en est bien consciente. «Tous les médecins du Québec ne sont sans doute pas aussi empathiques que ceux que l’on voit dans l’émission, reconnaît-elle, mais c’est un choix assumé par la production… et cela donne de la bonne télévision. D’autant plus que ce sont des médecins passionnés, capables de réfléchir sur leur travail.»

L’aisance avec laquelle l’ensemble du personnel soignant effectue son travail malgré la présence de la caméra ne la surprend guère. «La majorité de leur formation repose sur des exercices durant lesquels ils sont observés par leurs professeurs, rappelle-t-elle. Tant que l’équipe de tournage ne nuit pas à leur travail, cela ne les dérange pas.»

L’exploitation sexuelle vue autrement

Le plus récent projet de Catherine Proulx, Trafic, porte sur l’exploitation sexuelle des jeunes filles. «Nous avons eu un entretien avec un ancien proxénète et l’idée a germé de nous intéresser aux exploiteurs… puis aux clients. On n’entend à peu près jamais parler de ces derniers et pourtant, sans la demande, il n’y aurait pas d’exploitation sexuelle», souligne-t-elle. Avis aux cœurs sensibles : certains segments, dont celui où des clients demandent par téléphone à une fausse jeune fille mineure (personnifiée par une ancienne gérante d’agence d’escortes) ce qu’elle accepte de faire, sont particulièrement pénibles à écouter. Mais l’objectif est atteint: lever le voile sur une réalité taboue.

La réalisatrice réécoute une entrevue qu’elle a effectuée pour le documentaire Trafic.

Trafic a d’abord été conçu en balado. «C’était une forme que j’avais le goût d’essayer, notamment parce que les gens se livrent beaucoup plus lorsqu’il n’y a pas de caméra, et encore davantage si c’est sous le couvert de l’anonymat», indique la réalisatrice, qui a travaillé à ce projet avec Karine Dubois et le scénariste Martin Gagnon (B.A. communication, 2004). Par la suite, elle a transposé Trafic en documentaire télé avec le directeur photo Maxime Pilon-Lalande (B.A. communication, 2006), qui collabore aussi avec elle sur De garde 24/7.

Catherine Proulx travaille avec plusieurs diplômés de l’UQAM et son travail porte en quelque sorte la signature de sa formation initiale. «J’avais choisi le journalisme par intérêt pour les enjeux sociaux et cela ne s’est jamais démenti. Pendant le bac, la rédaction de nouvelles et de reportages m’a appris l’importance d’effectuer une bonne recherche en amont et de rédiger une histoire efficace. Cela me sert encore aujourd’hui», témoigne la réalisatrice, fille de l’ancien recteur Robert Proulx.