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Carte interactive de la forêt urbaine

C’est la première fois au monde qu’un outil permet le suivi de tous les arbres d’une section de forêt urbaine.

Par Pierre-Etienne Caza

18 juin 2020 à 13 h 06

Mis à jour le 22 septembre 2022 à 15 h 32

Après un travail de terrain minutieux impliquant de nombreux relevés et mesures, Alain Paquette et les étudiantes de son laboratoire dévoilent le nouvel outil de suivi de la forêt urbaine autour du Complexe des sciences Pierre-Dansereau. «Cette carte interactive inventorie les 1567 arbres présents sur le territoire de la placette permanente que nous avons établie l’an dernier, laquelle fait environ un kilomètre carré, précise le professeur du Département des sciences biologiques. En quelques clics, on peut identifier un arbre en particulier et consulter plusieurs informations à son sujet.»

Dans le jargon de la foresterie, une placette-échantillon permanente est une unité d’échantillonnage qui permet de suivre la croissance individuelle de chaque arbre. Il en existe des milliers dans la forêt québécoise. Ces placettes font l’objet d’un suivi et constituent une source d’information sur la croissance et l’évolution des forêts. Dans le cadre du projet d’Alain Paquette, le concept a été appliqué à la forêt urbaine. La carte interactive a été créée par la candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement Margaux Dubé, en collaboration avec l’agente de recherche Elyssa Cameron.

Arbres publics, institutionnels et privés

C’est la première fois au monde qu’une telle initiative de suivi de la forêt urbaine est mise sur pied, note fièrement le professeur, qui est également chercheur au Centre d’étude de la forêt (CEF). «Plusieurs villes possèdent un inventaire de leur forêt urbaine, mais, dans tous les cas, cela se limite aux arbres dont la ville est responsable, soit moins de 50 % de l’inventaire réel. Ça ne permet pas d’obtenir un portrait global.»

En plus de la Ville de Montréal, l’équipe d’Alain Paquette a contacté tous les propriétaires, autant institutionnels (comme la Place des Arts) que résidentiels, afin d’obtenir la permission de fouler leur terrain et de récolter des données. «Nous avons même eu accès à la cour intérieure d’un consulat qui se trouve dans le périmètre étudié, sous la surveillance étroite des employés», raconte le chercheur.

Photo: Nathalie St-Pierre

Les étudiants stagiaires Kaila Langille, Diane Robach, Maxime Célérier et Maxime Kozyra ainsi que l’étudiante au baccalauréat en biologie en apprentissage par problèmes Marianne Roxbourgh-Lepage et la candidate à la maîtrise en biologie Alex-Anne Couture ont effectué les relevés sur le terrain, identifiant les espèces d’arbres et mesurant leur diamètre et leur hauteur. La diplômée au DESS en systèmes d’information géographique Eugénie Morasse Lapointe, l’étudiant au baccalauréat en géographie Louis Quintal et le doctorant Jean-François Prieur ont utilisé la télédétection par laser pour repérer et mesurer la taille des cimes, qui est utile pour calculer les services écosystémiques rendus par chaque arbre.

La carte révèle que sur les 1567 arbres inventoriés, 594 appartiennent à la Ville de Montréal. «La forêt urbaine privée, qui inclut le résidentiel, l’institutionnel et le commercial, constitue donc un peu plus de 60 % de l’inventaire», note le professeur.

Les espèces dominantes

Comme c’est souvent le cas dans les villes du nord-est de l’Amérique du Nord, il y a trois espèces dominantes à Montréal: l’érable de Norvège, l’érable argenté et le frêne de Pennsylvanie. «Avant d’être décimé par l’agrile, le frêne constituait le cinquième de la canopée à Montréal», précise Alain Paquette.

Photo: Nathalie St-Pierre

Les six espèces dominantes sur le territoire de la placette sont le févier d’Amérique (157 individus), l’érable à Giguère (147) – «Une espèce souvent ignorée dans les inventaires, puisque rarement plantée, note le spécialiste. Elle s’installe naturellement partout… même dans les fissures de l’asphalte!» –, le thuya occidental (127), le chicot du Canada (118), l’érable de Norvège (113) et l’érable argenté (107).

La surutilisation des érables est problématique, observe Alain Paquette. «L’érable de Norvège, qui constitue un peu plus de 20% de la canopée montréalaise, est une espèce exotique envahissante que l’on ne plante plus près des grands parcs, explique-t-il. Et l’érable argenté, une espèce indigène magnifique comme l’était le frêne, est immense et peu d’emplacements sont suffisamment vastes, en ville, pour lui permettre de croître à sa guise.»

Diversité et groupes fonctionnels

La prédominance d’un nombre limité d’espèces en milieu urbain est un enjeu important, comme on l’a vu par le passé avec les ormes et comme on le constate depuis quelques années avec le frêne. Il est toutefois possible de contrebalancer cela avec une approche basée sur un élément essentiel à toute forêt en santé: la diversité fonctionnelle. «On pense habituellement que la biodiversité se limite au nombre d’espèces sur un territoire donné, mais c’est plus complexe que cela, explique Alain Paquette. La distribution des abondances est extrêmement importante, mais, en plus, certaines espèces se ressemblent beaucoup et risquent de réagir de la même façon à un stress, comme un manque d’eau ou un insecte. Pour augmenter la résilience d’une forêt, il faut choisir des espèces qui réagissent différemment les unes des autres.»

Photo: Nathalie St-Pierre

Le postdoctorant Michaël Belluau, le stagiaire Tristan Lambry et le professeur Paquette ont identifié ce qu’ils ont appelé des groupes fonctionnels, c’est-à-dire des espèces d’arbres pouvant potentiellement réagir de la même façon aux différents stress. «Nous avons créé un outil d’aide à la décision pour aider les gens comme les élus et les horticulteurs des municipalités qui doivent sélectionner les espèces à planter, explique le chercheur. Il leur suffit de choisir des arbres dans différents groupes fonctionnels pour obtenir une forêt plus résiliente, un peu comme dans une stratégie de placements!» Alain Paquette a développé cette approche alors qu’il était postdoctorant au laboratoire du professeur Christian Messier, dont il est devenu le collègue.

Lorsqu’on consulte la fiche détaillée d’un arbre à partir de la carte interactive, on peut noter son groupe fonctionnel et se référer à ce concept très utile en aménagement de la forêt urbaine.

La carte montre que les forêts urbaines résidentielles, institutionnelles et publiques de la placette sont très différentes en composition et en diversité, poursuit le spécialiste. «C’est rassurant: les propriétaires privés, institutionnels et l’administration publique font des choix différents et, en conséquence, la forêt urbaine montréalaise est plus résiliente, car les espèces présentes sont complémentaires.»

Un suivi dans le temps

Cette placette permanente de suivi de la forêt urbaine sert d’ores et déjà à l’enseignement: en février dernier, des étudiants étaient sur le terrain par un froid glacial afin de mesurer des arbres. L’un des laboratoires du cours Écologie forestière sera consacré, chaque année, à remesurer une partie de l’inventaire, confirme Alain Paquette. «L’objectif ultime de la placette est d’observer, d’analyser et de mieux comprendre comment poussent tous ces arbres au fil du temps», conclut-il.