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Amoureux tardif, Tanguy en puissance!

Les adolescents n’entrent pas tous dans la sphère amoureuse au même moment ni au même rythme.

Par Pierre-Etienne Caza

11 février 2020 à 8 h 02

Mis à jour le 13 février 2020 à 14 h 02

Illustration: Amélie Tourangeau

Le cheminement amoureux n’est pas le même pour tous les adolescents. «Certains vivent leur première relation très tôt, d’autres plus tardivement. Il y en a qui s’investissent déjà dans une relation à long terme, tandis que d’autres préfèrent changer souvent de partenaire amoureux», illustre Stéphanie Boisvert (Ph.D. psychologie, 2018), dont la thèse portait sur les cheminements amoureux entre l’âge de 16 et 24 ans.

L’émergence de l’âge adulte intéresse de plus en plus de chercheurs à travers le monde. «Il s’agit d’une période formatrice où l’on explore les possibilités académiques, professionnelles… et amoureuses», affirme la chercheuse, qui a effectué sa thèse sous la direction du professeur François Poulin, lequel suit depuis plusieurs années une importante cohorte d’adolescents et de jeunes adultes.

Chaque année, de 16 ans jusqu’à 24 ans, les 281 jeunes de son échantillon ont identifié leur(s) partenaire(s) amoureux des 12 derniers mois (ils devaient être en couple depuis au moins un mois). «On leur a demandé le nombre de partenaires ainsi que le nombre d’années en couple pour chacun», précise la chercheuse.

Après analyse, Stéphanie Boisvert a dégagé une typologie des cheminements amoureux: tardif (11,7 %), sporadique (21 %), long terme (48,4 %), fréquent (14,6 %) et intense (4,3 %). «C’est la première fois que le cheminement “intense” est défini dans la littérature, note-t-elle. Contrairement aux études antérieures, nous demandions le nom de chaque partenaire. Nous avons donc pu observer que les personnes de ce groupe ont beaucoup plus de partenaires que les autres, soit environ 11 à 12 pour la période étudiée.»

Stéphanie Boisvert

Fait intrigant, il y avait plus de filles dans ce nouveau groupe. Pourquoi ? «La question a été soulevée lors de ma soutenance de thèse, raconte Stéphanie Boisvert. Il semble que les filles qui veulent multiplier les partenaires sexuels le font sous couvert d’une relation amoureuse. Cela nous indique qu’encore aujourd’hui, il serait plus acceptable socialement pour les garçons que pour les filles de multiplier les aventures sans engagement amoureux.»

Une autre différence de genre a été observée dans le groupe tardif, où l’on retrouve plus de garçons. «En moyenne, ceux-ci vivent leur première relation amoureuse à 20 ans, alors que pour tous les autres cheminements, la première relation amoureuse survient à 16 ans, souligne la chercheuse. Ces amoureux tardifs ne connaissent qu’un seul partenaire et la relation dure environ deux ans.»

Les individus du groupe sporadique, tout comme ceux du profil long terme, ont en moyenne trois partenaires amoureux entre 16 et 24 ans. «La différence est que les premiers sont en couple pendant 5 des 9 années en moyenne, tandis que les seconds, plus impliqués, sont en relation pendant 8 ans, précise Stéphanie Boisvert. Les individus du profil fréquent sont aussi très impliqués amoureusement: ils ont en moyenne 7 partenaires différents pendant 8 ans.»

Habiletés sociales à 12 ans

Au début de l’enquête menée par le professeur Poulin, on a questionné les jeunes, à l’époque âgés de 12 ans, à propos de leurs relations familiales et amicales – conflit avec les parents, appréciation par les pairs, retrait social, capacité à nouer des amitiés et relations avec des jeunes de l’autre sexe. «Plus les jeunes se démarquaient à 12 ans par des facteurs positifs sur le plan social, plus ils sont impliqués dans la sphère amoureuse quelques années plus tard, révèle Stéphanie Boisvert. Ainsi, les sujets  “intenses”, par exemple, avaient plus de conflits avec leurs parents à 12 ans, mais ils étaient appréciés par leurs pairs et avaient de la facilité à nouer des relations avec des jeunes de l’autre sexe.» À l’inverse, les individus arrivés tardivement dans la sphère amoureuse étaient plus retirés socialement à 12 ans, ils étaient moins appréciés par leurs pairs et ils affirmaient avoir plus de difficultés à nouer des amitiés avec le sexe opposé.

Des impacts à 25 ans?

Pour le deuxième article constituant sa thèse, la chercheuse a observé ce qui se passait dans la vie de ses sujets à 25 ans, en lien avec leur cheminement amoureux antérieur. «Les résultats révèlent que les cheminements amoureux entre 16 et 24 ans sont associés au rythme avec lequel les jeunes traversent les étapes liées à l’émergence de l’âge adulte, notamment devenir indépendant et être parent, dit Stéphanie Boisvert. Ainsi, les tardifs sont plus nombreux à demeurer chez leurs parents à 25 ans et à être encore aux études.»

Les individus du profil long terme sont plus nombreux à avoir quitté le domicile familial. Le groupe qui travaille le plus d’heures par semaine est celui des intenses… qui sont également plus nombreux à être parents à 25 ans. «Quand on sait que l’âge moyen de la maternité pour un premier bébé au Québec est de 29 ans, c’est surprenant, relève la chercheuse. Donc, plus on change de partenaire amoureux à l’adolescence et au début de l’âge adulte, plus on s’expose à avoir des enfants jeunes!»

Les chercheurs ont été étonnés de constater qu’il n’y avait aucune association significative entre les différents cheminements amoureux entre 16 et 24 ans et la qualité de la relation amoureuse et de l’engagement ressenti en couple à 25 ans. «Cela coupe l’herbe sous le pied à ceux et celles qui aiment se plaindre de leur malchance dans leur cheminement amoureux pour expliquer la piètre qualité de leur relation», note en riant Stéphanie Boisvert.

La cohorte étudiée a atteint 30 ans l’été dernier et une nouvelle collecte de données a eu lieu. «Je compte m’impliquer dans la suite de l’étude car le sujet me passionne», conclut Stéphanie Boisvert, qui est aujourd’hui psychologue en pratique privée et maman d’une petite fille de 8 mois.