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Excellents papas!

Pour la première fois au Québec, une étude s’intéresse à l’engagement des pères gais adoptifs auprès de leurs enfants.

Par Pierre-Etienne Caza

1 février 2019 à 12 h 02

Mis à jour le 1 février 2019 à 12 h 02

Photo: Getty Images

Lors de la dernière scène de la populaire série télévisée Les Parent, diffusée en 2016, le père Louis-Paul, la mère Nathalie, et leurs trois garçons s’apprêtent à quitter la maison familiale lorsqu’ils croisent les nouveaux propriétaires. «Je vous présente mon conjoint Richard et nos filles Delphine, Jeanne et Clarence», lance le papa de la famille Guay. Ce clin d’œil sympathique faisait écho à une nouvelle réalité sociale. «Environ le tiers des enfants adoptés via les services d’adoption du CIUSSS Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal sont confiés à des pères gais. On évoque même un “Gayby boom”», affirme Éric Feugé (Ph.D. psychologie, 2018).

Dans le cadre de sa thèse, le doctorant s’est intéressé au degré d’engagement des pères gais adoptifs et à l’adaptation socio-affective de leurs enfants, une première au Québec. Les résultats de ses travaux ont été publiés l’an dernier dans les revues Psychology of Sexual Orientation and Gender Diversity et Attachment & Human Development.

Alors que les couples de femmes désirant un enfant utilisent surtout les cliniques de fertilité et la procréation assistée, les couples d’hommes se tournent vers l’adoption. «Sauf exception, l’adoption internationale est impossible pour les couples de même sexe, car aucun pays étranger ne l’autorise, précise Éric Feugé, qui enseigne la psychologie au Collège de Maisonneuve depuis une dizaine d’années. Heureusement, depuis l’adoption de la loi 84, en 2002, ils ont accès à l’adoption domestique.»

Ces couples d’hommes utilisent les services de la Banque mixte, qui traite les cas des enfants retirés à leurs parents par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Les motifs sont connus: incapacité à en prendre soin, mauvais traitements, abandon… «Cette banque a été créée dans les années 1980 pour éviter que les enfants subissent au fil des ans des placements multiples, ce qui avait contribué à l’émergence des enfants “Teflon”, qui n’arrivaient à s’attacher à personne», rappelle le chercheur.

Si les parents biologiques ont des vies chaotiques et ne peuvent pas faire la démonstration à un juge qu’ils ont les compétences pour reprendre leur enfant et s’en occuper convenablement, la famille qui l’a accueilli a de bonnes chances de s’en voir confier la garde.

L’engagement des pères

Pour sa thèse, menée sous la codirection des professeures Louise Cossette et Chantal Cyr, Éric Feugé a constitué un échantillon de 46 familles, soit 92 pères et 46 enfants âgés entre 1 et 9 ans. «Le premier volet visait à observer et à analyser le degré d’engagement et d’implication des pères gais auprès de leurs enfants, notamment quant à l’éducation et aux soins prodigués, puis à identifier les principaux déterminants de cet engagement», précise-t-il.

Dans la littérature portant sur les familles hétéroparentales, on observe une panoplie de déterminants liés à l’engagement du père et à la répartition des tâches parentales, autant sur le plan individuel (traits de personnalité, histoire de vie, sentiment de compétence comme parent), conjugal (la nature du partenariat entre les parents, la place laissée au père par la mère) que socioéconomique (les revenus, le temps passé au travail). «De manière générale, plus un parent a de ressources financières, moins il est impliqué auprès de son enfant, car il s’investit beaucoup dans le travail, note le chercheur. Le revenu est l’un des prédicteurs de l’engagement paternel, ce que notre étude a confirmé.»

Même si les pères gais ont un degré d’implication auprès de leurs enfants plus élevé que les pères hétérosexuels, les chercheurs ont noté qu’il existait tout de même un père «principal» et un père «secondaire», ce dernier étant souvent celui qui a le revenu le plus élevé.

Même si les pères gais ont un degré d’implication auprès de leurs enfants plus élevé que les pères hétérosexuels, les chercheurs ont noté qu’il existait tout de même un père «principal» et un père «secondaire», ce dernier étant souvent celui qui a le revenu le plus élevé. «Les pères rapportent néanmoins une grande équité dans le partage des tâches parentales», nuance Éric Feugé. Dans les cas où la répartition des tâches génère de l’insatisfaction, il s’agit d’un prédicteur de problèmes de comportement chez l’enfant.

Le chercheur s’est intéressé à une autre variable en lien avec l’engagement: le rôle de genre, c’est-à-dire à quel point un parent endosse, dans son concept de soi, des rôles dits féminins ou masculins. «Bien sûr, il s’agit de stéréotypes sexuels, de construits culturels arbitraires, mais nous trouvions intéressant d’analyser comment le parent se considère en termes de personnalité et de voir si cela a un impact sur son degré d’engagement auprès de son enfant», explique Éric Feugé.

Le chercheur a ainsi évalué à quel point chaque parent démontrait une personnalité plus ou moins androgyne, endossant à la fois des traits féminins – tendre, compréhensif, compatissant, chaleureux – et masculins – compétitif, analytique, aimant le risque. Les résultats indiquent qu’une forte proportion des pères gais endosse des rôles «féminins» et que ce degré de féminité est également un des prédicteurs de l’engagement paternel.

L’attachement des enfants

Le deuxième volet de sa thèse portait sur l’attachement des enfants. Pour cette partie de l’étude, l’équipe de recherche, qui comptait une dizaine de personnes, est allée rencontrer 34 familles (68 pères et 34 enfants âgés entre 1 à 6 ans) à domicile, pour réaliser une entrevue, mais aussi pour filmer des séquences de jeu et un moment de collation. «Lorsqu’un enfant “sécurisé”, c’est-à-dire sans problème d’attachement, est en situation de stress ou de détresse, il cherche le contact avec sa figure d’attachement et va vers elle pour se faire réconforter, explique Éric Feugé. Une fois réconforté, il peut retourner explorer son environnement et poursuivre ses apprentissages. C’est ce que nous avons voulu observer.» Ce faisant, on a mesuré trois variables: la sécurité d’attachement de l’enfant, la sensibilité des pères, et les problèmes de comportement de l’enfant.

«Nous avons montré un lien fort entre la sensibilité des pères et la sécurité d’attachement de l’enfant. Et la qualité de ce lien tient à la présence et à l’implication des pères.»

Éric Feugé

Diplômé du doctorat en psychologie

Dans la littérature scientifique, le principal prédicteur de la sécurité d’attachement des enfants est la sensibilité de la mère, c’est-à-dire sa capacité à décoder les signaux de l’enfant, à reconnaître ses besoins, mais surtout à y répondre de façon adéquate dans un laps de temps suffisamment bref. «Selon les études auprès des couples hétérosexuels, la sensibilité du père est très faiblement corrélée à la sécurité d’attachement de l’enfant à son égard. C’est pourquoi certains chercheurs affirment que les mécanismes d’attachement entre un enfant et son père fonctionnent différemment», observe Éric Feugé.

On dit souvent que le mode d’interaction des pères avec leur enfant est différent de celui des mères et qu’il passe davantage par le jeu physique. «Un père et une mère auraient donc des fonctions différentes et cela tiendrait à la biologie, dit le chercheur. C’est une idée que nous souhaitions réfuter et nous y sommes parvenus: nous avons montré un lien fort entre la sensibilité des pères et la sécurité d’attachement de l’enfant. Et la qualité de ce lien tient à la présence et à l’implication des pères.»

Il n’y a pas de différence de sensibilité entre les pères gais et les mères hétérosexuelles de la population normative, poursuit-il. «Cela vient tordre le cou à cette idée que la sensibilité est féminine, comme si un homme ne pouvait pas être sensible et chaleureux envers son enfant.» Ce lien sécurisant avec ses parents, ajoute-t-il, rend l’enfant plus disponible aux apprentissages et facilite le développement de ses compétences socio-affectives.

Le chercheur a également observé que les problèmes de comportement peuvent se résorber quand le parent est sensible et possède les compétences parentales adéquates. «Nous avons noté un très bas niveau de troubles de comportement chez les enfants, comparable au niveau des enfants adoptés par des parents hétérosexuels de la population normative.»

Depuis le début de son projet de recherche, il y a sept ans, Éric Feugé a assisté à la multiplication d’études sur les pères gais. «Notre recherche montre que le protocole de sélection de la Banque mixte mis en place par les Centres jeunesse, qui comporte une longue évaluation psychosociale, fonctionne bien, car les pères gais sont d’excellents parents!», conclut-il.