Au Québec, la violence dans les relations amoureuses, qu’elle soit psychologique, physique ou sexuelle, touche plus de 50 % des jeunes âgés de 14 à 18 ans. Dans le but de contrer ce phénomène, la professeure du Département de sexologie Martine Hébert bâtira un programme de prévention et de promotion de relations amoureuses égalitaires et harmonieuses destiné aux élèves de secondaire 3 et 4. Ce projet a reçu un appui de plus d’un million de dollars de l’Agence de santé publique du Canada.
Intitulé «Promouvoir des parcours amoureux positifs chez les jeunes», le programme se déploiera jusqu’en 2023. Il comporte trois volets: une formation pour les intervenants scolaires (enseignants, psycho-éducateurs, animateurs pédagogiques), des ateliers destinés aux élèves et à leurs pairs aidants ainsi que des outils d’intervention destinés aux parents; une évaluation des impacts du programme; des activités de transfert et de diffusion des connaissances grâce, notamment, à la mise en ligne d’un site web. Le programme sera implanté dans trois écoles de la région de Montréal et dans deux écoles de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de manière à rejoindre près de 1 125 élèves, incluant les pairs, quelque 80 intervenants scolaires et plus d’une cinquantaine de parents.
Ce projet s’inscrit dans le prolongement de l’Enquête sur les parcours amoureux des jeunes (PAJ), menée auprès 8 000 élèves de secondaire 3, 4 et 5 dans 34 écoles du Québec, pour laquelle la professeure avait reçu, en 2010, près de 2 millions de dollars des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). «Cette enquête a permis, entre autres, de documenter la prévalence de la violence dans les relations amoureuses, d’identifier les facteurs de risque, puis de développer des partenariats avec plusieurs organismes», explique Martine Hébert.
L’idée de développer un nouveau programme a émergé des collaborations avec les organismes partenaires, dont la Fondation Tel-jeunes, qui offre des services d’aide de première ligne aux jeunes et aux parents. «Rares sont les programmes qui visent simultanément les jeunes, leurs parents et les intervenants scolaires, note la chercheuse. Nous conjuguerons l’expérience terrain de nos partenaires et l’expertise issue de l’enquête PAJ.»
Une période d’apprentissage
L’adolescence constitue une période d’apprentissage, y compris en matière de relations amoureuses, rappelle Martine Hébert. «Les premières relations amoureuses contribuent à la formation de l’identité, à la découverte de l’intimité ainsi qu’à l’épanouissement affectif et sexuel. On doit aussi y apprendre à gérer des déceptions et à négocier des conflits.» Cependant, tous les jeunes ne sont pas outillés pour relever ces défis et tous ne bénéficient pas du soutien dont ils auraient besoin. «Ceux qui ont vécu durant l’enfance une forme ou une autre de violence ou qui ont été exposés à des modèles relationnels toxiques sont davantage à risque de subir de nouveaux épisodes de violence à l’âge adulte, même si ce n’est pas une fatalité», indique la professeure.
En contexte amoureux, la violence psychologique est la plus répandue. La violence sexuelle, quant à elle, touche 20,3 % des filles et 5,7 % des garçons. «Sans surprise, les filles sont plus susceptibles de vivre plusieurs formes de violence et de subir des blessures physiques, remarque la professeure. Des études récentes ont aussi mis en lumière la cyberviolence qui, par l’entremise des réseaux sociaux, se manifeste par des formes de contrôle, de harcèlement et de traque du partenaire.»
Selon Martine Hébert, le développement d’approches préventives efficaces dès l’adolescence est prioritaire afin de briser le cycle de la violence, lequel a de multiples conséquences sur la santé physique et mentale: faible estime de soi, problèmes de concentration à l’école, anxiété, dépression, pensée suicidaires, etc.
Découvrir la vie amoureuse
Avant d’intervenir sur la question de la violence, des ateliers animés par des formateurs de Tel-jeunes seront offerts aux jeunes afin de créer des lieux de parole, de les accompagner dans leur découverte de la vie amoureuse et de les soutenir dans l’acquisition de nouvelles connaissances, d’attitudes et de comportements. Des ateliers seront aussi destinés à des pairs aidants, en vue de miser sur le réseau naturel de soutien entre les jeunes.
«Le contenu des ateliers s’arrimera aux objectifs du programme ministériel d’éducation à la sexualité, actuellement déployé dans les écoles, souligne la professeure. L’accent sera mis sur les bénéfices d’une relation amoureuse basée sur la confiance et le respect de l’autre, sur les différences de perception entre filles et garçons, sur l’importance de gérer sainement les conflits, sur la reconnaissance des manifestations de violence et sur la recherche de solutions pour y mettre fin.»
Les stratégies pédagogiques devront être variées et fidèles aux réalités que vivent les jeunes. «Nous miserons sur les outils numériques, les vidéos, les jeux de rôle et les mises en situation afin que les jeunes apprennent à exprimer leurs besoins et leurs limites, tout en respectant celles du partenaire», observe Martine Hébert.
Outiller le personnel scolaire et les parents
La professeure et les membres de son équipe détermineront les thèmes de formation sur la base des besoins des intervenants en milieu scolaire. «Plusieurs d’entre eux ne se sentent pas suffisamment outillés pour accompagner les jeunes dans leur développement, particulièrement lorsqu’il est question de vie amoureuse et affective, de sexualité et de violence, relève la chercheuse. Nous savons aussi que les parents sont préoccupés par la vie affective de leurs adolescents.» Dans son rapport d’activités 2017-2018, Tel-jeunes soulignait qu’il avait reçu quelque 10 400 appels de parents, dont plusieurs concernaient la thématique des relations amoureuses.
«Nous avons du temps devant nous pour nous asseoir avec nos partenaires afin de bâtir ensemble le programme, ce qui est rare et précieux, dit Martine Hébert. Nous pouvons nous appuyer sur des sondages menés auprès des parents et sur plus de 300 témoignages de jeunes recueillis par Tel-jeunes.»
En plus de Tel-jeunes, plusieurs autres organismes comptent parmi les partenaires de l’équipe de recherche, dont les ministères de la Santé et des Services sociaux et de la Famille, l’Institut national de santé publique du Québec, des commissions scolaires, la Direction régionale de santé publique du CIUSS du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal, le Conseil québécois LGBT et la Fondation Marie-Vincent.