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Enfants et ados transgenres

Les jeunes en questionnement de genre ont besoin de ressources, de soutien et d’accompagnement adéquats pour s’épanouir.

Par Pierre-Etienne Caza

14 janvier 2019 à 10 h 01

Mis à jour le 14 janvier 2019 à 10 h 01

Photo: Getty Images

La Fondation Agnodice, spécialisée dans l’accompagnement des adultes transgenres ou en questionnement, existe depuis 10 ans en Suisse. La professeure du Département de sexologie Denise Medico, originaire de ce pays, a été associée à sa fondation et à son évolution. «Au cours des cinq dernières années, nous avons observé une hausse marquée des demandes de consultation de la part d’enfants et d’adolescents trans. Nous avons réorienté la mission de la fondation pour répondre à ces nouveaux besoins», révèle la professeure. Dans un article paru dans la Revue médicale suisse, la chercheuse et clinicienne dresse un état des besoins psychosociaux et des meilleures pratiques pour soutenir l’intégration et faciliter le mieux-être de ces jeunes et de leurs familles.

Denise Medico se réjouit que les tabous tombent peu à peu concernant les enfants et les adolescents transgenres, non binaires ou en questionnement, et que leurs parents n’hésitent plus à consulter des professionnels. «Cela dit, les structures de soins, les services et les législations varient énormément d’un pays à l’autre. La Suisse, par exemple, accuse des retards à plusieurs égards.»

Son article s’appuie sur des données recueillies dans divers pays, notamment au Canada et aux États-Unis. «Il existe encore peu de données, mais on estime la prévalence d’enfants et d’adolescents transgenres ou en questionnement autour du genre entre 0,7 % et 2,7 %», note la spécialiste, qui participe en ce moment à une étude internationale sur le sujet avec sa collègue Annie Pullen Sansfaçon, de l’Université de Montréal.

Accompagnement familial

On observe parfois des enfants âgés d’à peine trois ou quatre ans qui ne semblent pas vivre dans le bon corps, fait remarquer Denise Medico. Lorsqu’ils sont plus âgés, les parents décident parfois de consulter. «L’important, c’est de laisser votre enfant exprimer qui il est, conseille alors la spécialiste aux parents. Il ne faut pas le réprimer. C’est peut-être une phase d’exploration, on le saura quand il sera plus grand. Laissez-le explorer, il s’autodéterminera tout seul.»

«Les parents ont besoin de parler des obstacles qu’ils rencontrent et les jeunes, qui se sentent seuls au monde avec leurs questionnements, ont besoin de rencontrer d’autres enfants qui vivent les mêmes choses.»

denise Medico

Professeure au Département de sexologie

La chercheuse insiste sur l’importance d’accompagner à la fois le jeune et sa famille. «La famille est une source de soutien fondamentale lorsqu’elle est prête à défendre le jeune qui est en questionnement. Mais ses membres doivent eux aussi s’adapter pour comprendre ces nouveaux enjeux et cela peut bousculer la dynamique familiale.» À cet égard, les groupes de soutien peuvent faire une énorme différence, estime-t-elle. «Les parents ont besoin de parler des obstacles qu’ils rencontrent et les jeunes, qui se sentent seuls au monde avec leurs questionnements, ont besoin de rencontrer d’autres enfants qui vivent les mêmes choses.»

Les plus récentes recherches ont démontré que le décrochage scolaire n’est pas uniquement lié aux difficultés scolaires, mais aussi, bien souvent, à des difficultés relationnelles qui génèrent de l’anxiété et de la peur. «Les ados qui décident de vivre leur ambivalence font face au regard de leurs pairs et sont confrontés quotidiennement à une multitude de défis», rappelle la spécialiste. Le système scolaire, poursuit-elle, doit aussi faire sa part. «Il faut s’assurer que les jeunes en questionnement ne soient pas victimes d’intimidation, car cela peut avoir des effets dévastateurs sur leur estime de soi déjà fragilisée.»

Retarder la puberté

L’accès aux soins est également un enjeu majeur. «Les jeunes espèrent que leurs questionnements s’estomperont avec la puberté. C’est parfois le cas, mais quand leur corps change et qu’ils prennent conscience qu’ils ne ressembleront jamais à ce qu’ils vivent intérieurement, cela peut amener énormément de souffrance. Plusieurs ados éprouvent un tel mal-être de genre qu’ils envisagent le suicide ou s’automutilent.»

«Dans les cas de dysphorie de genre, on a démontré que la psychothérapie et les thérapies de conversion ne fonctionnent pas. Les thérapies de conversion sont même nocives.»

Seule une partie des jeunes trans et non binaires reçoivent un diagnostic de dysphorie de genre, trouble affectant la personne qui ne tolère plus de vivre dans son corps, insiste Denise Medico. «Dans les cas de dysphorie de genre, on a démontré que la psychothérapie et les thérapies de conversion ne fonctionnent pas. Les thérapies de conversion sont même nocives.»

Un traitement hormonal approprié fait en sorte que le jeune vit sa puberté comme quelqu’un du genre auquel il se sent appartenir. «Ce n’est pas magique, mais on observe les bienfaits assez rapidement sur l’état mental de l’ado, note Denise Medico. Cela permet de gagner du temps en laissant le jeune s’autodéterminer. Une chirurgie de confirmation de genre pourra éventuellement être envisagée s’il y a lieu.»

«J’ai l’impression qu’on a levé le voile sur un phénomène qu’on taisait auparavant et qu’il y aura de plus en plus de jeunes qui consulteront au cours des prochaines années.»

Les recherches ont démontré que les jeunes trans et non binaires qui ont accès à des traitements, qui bénéficient du soutien de leurs parents, et qui participent à des groupes de soutien vont bien… même si leur cheminement est souvent difficile. «En Suisse, on note des séjours à l’hôpital pour dépression profonde ou automutilation dans la moitié des cas que nous avons recensés, dit-elle. Et ce sont les patients qui ont consulté. Imaginez la souffrance de ceux qui ne consultent pas…»

Récemment, Denise Medico a décidé de reprendre du service en consultation privée. «Vous n’imaginez pas à quel point mon horaire s’est rempli rapidement! Les besoins sont immenses, note-t-elle. J’ai l’impression qu’on a levé le voile sur un phénomène qu’on taisait auparavant et qu’il y aura de plus en plus de jeunes qui consulteront au cours des prochaines années.»

Changement de prénom

Denise Medico se réjouit que l’UQAM permette depuis le 4 janvier aux étudiants qui le souhaitent d’ajouter un prénom choisi, différent de leur prénom légal, à leur dossier étudiant. «Pour les personnes trans et non binaires, c’est un soulagement de pouvoir éliminer cet irritant de leur vie. Et la procédure mise en place par l’UQAM est simple et accessible.»