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Thérapie sexuelle en réalité virtuelle

Des chercheurs amorcent une première étude sur le traitement de l’aversion sexuelle.

Par Pierre-Etienne Caza

27 septembre 2019 à 8 h 09

Mis à jour le 11 octobre 2019 à 14 h 10

Photo: Getty Images

Depuis une vingtaine d’années, la réalité virtuelle a fait ses preuves dans le traitement des troubles anxieux, des troubles alimentaires et des douleurs aiguës, avec des percées concernant la dépression et même certains symptômes de la schizophrénie. En ce qui concerne les dysfonctions sexuelles, toutefois, mis à part une série d’études italiennes à la fin des années 1990, peu de chercheurs s’y sont intéressés, souligne le professeur du Département de sexologie David Lafortune (Ph.D. psychologie, 2016), qui a publié un article sur la question en juillet dernier dans le Journal of Sex & Marital Therapy. «Ce sont pourtant des troubles beaucoup plus fréquents que les troubles anxieux, note le chercheur. On estime qu’environ deux femmes sur cinq et un homme sur cinq souffrent de dysfonction sexuelle, tandis que moins d’une personne sur dix souffre d’un trouble anxieux au Canada. Et ce sont des statistiques conservatrices, car elles reflètent uniquement la proportion de personnes qui osent déclarer souffrir de difficultés sexuelles.»

Est-ce parce que l’on considère «normal» que la prévalence des dysfonctions sexuelles augmente avec l’âge – surtout passé 50 ou 60 ans – que celles-ci sont moins souvent l’objet d’études novatrices ? «J’espère que ce n’est pas le cas, car les difficultés sexuelles engendrent une réelle détresse chez les personnes qui en souffrent, peu importe l’âge», note David Lafortune.

Chez les hommes, on parle surtout de trouble érectile, d’éjaculation prématurée, d’éjaculation retardée et de trouble du désir hypoactif, tandis que chez les femmes, on retrouve essentiellement les troubles sexuels douloureux, comme le vaginisme et les dyspareunies, ainsi que le troubles de l’intérêt et de l’excitation sexuels, et les troubles de l’orgasme.

Un projet-pilote

En collaboration avec ses collègues Natacha Godbout et Marie-Aude Boislard-Pépin, David Lafortune a décidé de combler ce manque d’études. Son équipe a obtenu 73 687 dollars du CRSH pour démarrer un projet-pilote visant à examiner le potentiel de la réalité virtuelle en sexologie clinique.

Pour ce projet, les chercheurs ont choisi d’étudier l’aversion sexuelle, une forme de phobie. «Cela se manifeste par une peur, du dégoût et de l’évitement à l’égard de certaines ou de toutes les activités sexuelles avec un partenaire, mais cela peut aussi s’étendre à la sexualité solitaire – la masturbation –  de même qu’à toute pensée, communication ou contexte érotique, explique David Lafortune. La personne vivant de l’aversion sexuelle peut vivre de l’anxiété à l’idée de se faire toucher de manière sensuelle ou simplement à l’idée que le comportement d’une personne à son égard puisse conduire à une relation sexuelle. L’aversion peut également survenir en regardant du matériel pornographique, en lisant de la littérature érotique ou en observant ses propres organes génitaux.» Dans les cas plus sévères, l’aversion sexuelle peut s’accompagner de symptômes paniques invalidants: palpitations, difficultés à respirer, vomissements, sentiment de malheur imminent.

L’aversion sexuelle toucherait environ 4 à 5 % des femmes – celles-ci sont deux fois plus susceptibles d’en souffrir que les hommes. «Une étude révèle que jusqu’à 30 % de la population expérimentera des symptômes d’aversion sexuelle au cours de la vie, note le professeur. Ces personnes sont souvent invisibles. Plusieurs sont célibataires ou alors dans des unions qui n’ont jamais été consommées.»

Le traitement classique pour l’aversion sexuelle, en thérapie cognitivo-comportementale, vise à aider la personne à s’exposer à des images ou des contenus érotiques en imagination, puis dans la réalité, avec un partenaire. «Nous souhaitons transposer ce protocole en réalité virtuelle, c’est-à-dire créer un environnement virtuel où les patients seront exposés à une gradation de stimuli sexuels, à partir de laquelle la désensibilisation sera amorcée», explique le spécialiste.

La recherche vise spécifiquement à évaluer la capacité des scénarios présentés à générer des réponses émotionnelles caractéristiques de l’aversion sexuelle, comme l’anxiété et le dégoût. «Nous comparerons les réponses de femmes vivant de l’aversion sexuelle à celles de femmes non aversives», précise le professeur. Les chercheurs analyseront et compareront ces réponses émotionnelles à partir de mesures subjectives – le niveau d’inconfort perçu par chacune des participantes – et objectives – les signaux physiologiques comme le rythme cardiaque, la fréquence respiratoire et la dynamique oculomotrice. «Nous examinerons, par exemple, les différentes réponses émotionnelles en fonction de la nature des comportements affichés par le personnage 3D en réalité virtuelle, note le professeur. Nous observerons également ce que la participante regarde durant l’immersion à caractère sexuel, et s’ils existent des patrons d’évitement cohérents avec les niveaux d’exposition aux stimuli sexuels.»

«Les résultats escomptés valideront le potentiel de la réalité virtuelle afin de mieux comprendre les perturbations touchant la fonctionnalité sexuelle, pour éventuellement offrir aux personnes vivant de l’aversion sexuelle de nouvelles expériences d’apprentissage au bénéfice de leur épanouissement et de leur bien-être sexuels», conclut David Lafortune.