Dans le cadre des festivités du 50e anniversaire, l’UQAM inaugurait le 4 décembre dernier le Centre des livres rares et collections spéciales, situé dans les nouveaux espaces lumineux du pavillon Hubert-Aquin, à l’angle des rues Berri et Sainte-Catherine. L’événement avait lieu en présence de la rectrice, Magda Fusaro, et du professeur émérite du Département de philosophie Georges Leroux, qui en était l’invité d’honneur. À cette occasion, on a dévoilé l’exposition «50 ans, 100 livres, 500 ans d’édition», dirigée par les professeures Brenda Dunn-Lardeau (études littéraires) et Lyse Roy (histoire).
«Je tiens à rendre hommage à toutes les personnes et instances ayant permis de concrétiser ce projet qui marie à merveille l’ancien et le moderne, a souligné Magda Fusaro. En effet, cet espace était auparavant occupé par l’ancien presbytère de la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes. Maintenant doté d’équipements à la fine pointe de la technologie, il permet d’accueillir, de conserver et de faire rayonner l’un des secrets les mieux gardés de notre Université, soit nos collections documentaires patrimoniales: quelque 45 000 documents hérités des établissements fondateurs de l’UQAM, dont le Collège Sainte-Marie, l’École normale Jacques-Cartier et l’École des beaux-arts de Montréal. Des cartes topographiques, des éditions originales, des curiosités littéraires, des livres d’heures enluminés, une bible du 13e siècle, autant de trésors, aussi rares qu’inestimables, que recèle cette collection.»
La création du Centre des livres rares et collections spéciales est le résultat d’un partenariat ambitieux, un des cinq projets de l’UQAM qui ont bénéficié d’investissements communs de la part du Gouvernement du Canada, du Gouvernement du Québec et de la Ville de Montréal, a tenu à rappeler la rectrice. «Je remercie ces trois ordres de gouvernement qui ont posé un geste fort pour promouvoir l’éducation, la recherche et la culture, fondements de notre mission.»
«À ces legs de grande qualité provenant des établissements fondateurs de l’UQAM, nous avons ajouté plusieurs ouvrages importants acquis ou reçus en don au fil des ans. Nous avons également regroupé dans ce même espace les objets de nos collections spéciales», précise Lynda Gadoury, directrice générale du Service des bibliothèques.
«Quand j’arrivai au Collège Sainte-Marie, en septembre 1956, j’eus le bonheur de découvrir une bibliothèque qui prenait le relais de celle, très humble, que j’avais fréquentée dans ma paroisse. Je peux dire que tous les auteurs qui allaient devenir importants pour moi, je les ai découverts dans la bibliothèque de mon collège, témoigne Georges Leroux. Je ne connais aucun intellectuel, aucun écrivain, aucun artiste, aucune personne de culture, et pratiquement aucun étudiant qui ne porte l’idéal de construire sa bibliothèque personnelle. Celle-ci est l’équivalent d’un répertoire qui nous constitue, nous identifie, mais il ne faudrait pas abandonner en route nos bibliothèques institutionnelles. Ces bibliothèques sont un trésor commun, qui représente notre histoire. En inaugurant ce beau centre de livres rares, l’UQAM honore cet idéal.»
Un travail colossal
Le Centre des livres rares et collections spéciales est situé au rez-de-chaussée de la Bibliothèque centrale, où l’on retrouve le bureau de la bibliothécaire responsable, Sylvie Alix, adjacent au local de consultation. La voûte renfermant les quelque 18 000 livres anciens, aménagée selon les normes en vigueur quant aux systèmes de ventilation, de climatisation et de protection contre l’incendie, se situe en dessous, au niveau métro. N’y pénètrent que les personnes autorisées et avec des gants blancs! Les quelque 30 000 livres rares ont été regroupés dans une autre annexe sur le campus. Pour consulter l’un de ces ouvrages, il suffit d’en faire la demande au personnel du Centre.
Amorcés en 2018, les travaux de prolongement des bibliothèques ont permis d’inaugurer en janvier dernier, au deuxième étage, des espaces de travail lumineux destinés aux étudiants. Le nouveau centre, lui, a été parachevé au printemps. «Le déménagement s’est amorcé en avril, mais la plus grande partie du travail a eu lieu en amont: il s’agissait de réorganiser la collection, raconte Sylvie Alix. Nous avons d’abord classé les ouvrages en deux catégories, les livres anciens, publiés avant 1850, et les livres rares publiés après 1850.» Pour cela, la bibliothécaire et son équipe ont dû effectuer de nombreuses recherches. «Un livre sur cinq, ce qui représente environ 10 000 volumes, n’avait pas de date», précise-t-elle.
Afin de maximiser les espaces sur les étagères, les ouvrages ont ensuite été regroupés par format – les grands ouvrages, par exemple, doivent être déposés à plat sur les étagères pour ne pas être endommagés – et par sujet (selon le système de classement de la Library of Congress de Washington). Afin de tenir compte de cette réorganisation, on a attribué une nouvelle cote à chacun des ouvrages de la collection, indiquée sur un signet glissé dans chaque volume.
Dans la voûte, le système de rayonnage mobile, qui permet de déplacer sans effort les étagères contenant des milliers de livres, dévoile des rangées d’ouvrages bien classés. «L’équipe du traitement matériel du Service des bibliothèques a créé de solides boîtiers de protection pour certains ouvrages et nous utilisons des cartons séparateurs pour éviter qu’ils ne se touchent les uns les autres, explique Sylvie Alix. Nous avons aussi attaché avec du coton les bouts récalcitrants en attente de restauration.»
Le personnel du Centre voit également à la protection et à la mise en valeur de nombreuses œuvres des collections spéciales. Celles-ci comprennent, entre autres, des livres-objets et des œuvres d’art conçus par d’anciens étudiants devenus professeurs à l’UQAM et qui sont aujourd’hui des artistes reconnus. «Valoriser la création des membres de notre communauté, c’est également le mandat de notre Centre des livres rares et collections spéciales», précise Louise Guy, directrice en soutien à l’enseignement et l’apprentissage.
«J’ai connu et fréquenté pour mes recherches le lieu austère où se trouvait auparavant la collection des livres rares, raconte la professeure associée Brenda Dunn-Lardeau. Nous devons saluer le travail des conservateurs précédents qui ont géré la collection en dépit des lieux où elle se trouvait. Cela dit, ce que madame Alix présente de façon modeste est le résultat de travaux herculéens et le nouvel écrin qu’est le centre est remarquable. Il favorise la conservation, la consultation et la recherche documentaire de cette collection patrimoniale unique.»
Même si l’inauguration officielle a eu lieu le 4 décembre, le Centre des livres rares et collections spéciales est ouvert depuis le 3 septembre dernier. «Nous avons donné des formations à plus de 350 étudiants ce trimestre-ci, surtout au premier cycle en histoire, en histoire de l’art et en linguistique», souligne Sylvie Alix.
Une exposition en trois volets
Pour mettre en valeur une partie de la collection, le Service des bibliothèques présente une exposition en trois volets successifs jusqu’à l’automne 2020: les legs du Collège Sainte-Marie (1848-1969), de l’École Normale Jacques-Cartier (1857-1969) et de l’École des beaux-arts de Montréal (1922-1969). «Au total, nous avons sélectionné une centaine d’ouvrages allant du 16e au 20e siècle, dont plusieurs n’ont encore jamais été montrés. Les ouvrages exposés ont été choisis pour leur valeur intellectuelle, historique, esthétique et chacun, à sa façon, témoigne de l’identité de l’UQAM», souligne Brenda Dunn-Lardeau, co-commissaire de l’exposition avec sa collègue Lyse Roy.
Une vingtaine d’ouvrages issus du legs du Collège Sainte-Marie sont exposés jusqu’au 14 février dans la vitrine qui accueille les visiteurs à l’entrée des nouveaux espaces. Les professeurs ont rédigé des cartels afin d’identifier la référence bibliographique et d’expliquer l’intérêt de chaque ouvrage. «Les Colloques d’Érasme, publiés en 1518, avaient été mis à l’Index en 1559 pendant le Concile de Trente, souligne Brenda Dunn-Lardeau. C’est pourquoi les Jésuites du collège avaient apposé une étiquette sur leur exemplaire publié en 1554 avec la mention «enfer», signifiant que seuls les enseignants et les personnes autorisées pouvaient lire cet ouvrage.» Malgré ces restrictions imposées aux lecteurs, les Jésuites faisaient pourtant preuve d’ouverture d’esprit et de curiosité intellectuelle. «Ils avaient acquis la Vie des Pères (1544) de Georg Major, qui s’ouvre sur la préface du célèbre réformateur allemand Martin Luther, ou même un ouvrage de Cornélius Jansénius, publié en 1677, qui a joué un rôle important dans le développement de la doctrine janséniste et dans la querelle avec les jésuites», indique Lyse Roy.
Le deuxième volet de l’exposition sera consacré aux ouvrages hérités de l’École normale Jacques-Cartier. «Cette institution formait les maîtres, alors on retrouve plusieurs ouvrages sur la pédagogie et l’enseignement, des dictionnaires et aussi des récits de voyage, notamment Les Voyages du sieur de Champlain Xaintongeois, capitaine ordinaire pour le Roy, en la marine, récit édité en 1613. Il s’agit d’un livre rare et précieux avec des cartes de la Nouvelle-France», explique Lyse Roy. On y retrouvera aussi un ouvrage de Theodor de Bry sur la conquête de l’Amérique du Sud, datant de 1602. «Cet ouvrage comporte des illustrations d’indigènes qui ont été censurées car on les voyait nus», note Brenda Dunn-Lardeau.
La professeure a remarqué que plusieurs ouvrages provenant de l’École normale Jacques-Cartier portaient le tampon du Séminaire de Québec. «Le livre voyageur est un concept populaire dans l’histoire littéraire et les tampons sont les témoins de leurs pérégrinations, ce sont des couches archéologiques témoignant de leur circulation dans les différents fonds québécois», précise-t-elle.
Enfin, le troisième volet mettra en valeur les ouvrages hérités de l’École des beaux-arts de Montréal. «Le nouvel espace permet de réunir tous les livres des collections spéciales de la Bibliothèque des arts qui se trouvaient dans différents locaux auparavant», souligne Brenda Dunn-Lardeau. On y retrouve notamment des livres rares d’artistes québécois des années 1960, 70 ou 80, ainsi que de magnifiques ouvrages d’estampe réalisés par des étudiants de l’UQAM. «La plus grande difficulté avec les ouvrages de cette collection, c’est que ce sont souvent des albums gigantesques qui n’entrent pas dans nos vitrines pour l’exposition, mais nous trouverons une solution pour les faire découvrir à notre communauté», note en riant Sylvie Alix.
Des idées pour la suite
Lors du travail de réorganisation de la collection, Sylvie Alix s’est appuyée sur l’ouvrage de Brenda Dunn-Lardeau, Catalogue des imprimés des XVe et XVIe siècles dans les collections de l’Université du Québec à Montréal (PUQ, 2013), réalisé par les membres du Groupe de recherche multidisciplinaire de Montréal sur les livres anciens (XVe-XVIIIe siècles). On y présente les notices de 66 titres de la collection uqamienne, suivies d’un dossier iconographique. Ces informations révèlent la valeur littéraire, historique, philosophique ou artistique de ces précieux témoins de l’histoire du livre.
«Il reste encore beaucoup de travail à faire pour les ouvrages des 17e et 18e siècles, observe Brenda Dunn-Lardeau. Voilà pourquoi nous aimerions sensibiliser la communauté universitaire aux enjeux liés à la conservation et à la recherche sur les livres rares et anciens. Nous croyons que le temps est venu de créer un fonds de conservation dédié à la restauration des ouvrages qui en ont besoin. Le moment serait aussi idéal pour créer des bourses de recherche pour les chercheurs s’intéressant aux ouvrages de la collection.»
«La mise en valeur de tous ces ouvrages précieux demandera encore beaucoup de travail et nécessitera sûrement l’acquisition d’équipement et d’outils spécialisés. Notre offre de services sera assurément bonifiée au cours des prochaines années», conclut Sylvie Alix.
Plusieurs conférences au programme
Chaque volet de l’exposition comportera un cycle de conférences où des spécialistes viendront présenter l’un des ouvrages exposés.
Les deux premières conférences ont eu lieu les 20 et 27 novembre. Les professeurs Janick Auberger et Pascal Bastien, du Département d’histoire, se sont respectivement intéressé à l’ouvrage Historiæ libri IX et de vita Homeri libellus (Francfort, héritiers d’André Wechel, 1584) d’Hérodote d’Halicarnasse, et à l’Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres. Mis en ordre & publié par M. Diderot …, & quant à la partie mathématique, par M. d’Alembert (Paris, chez Briasson, 1751-1765) de Denis Diderot (1713-1784) et Jean Le Rond dit D’Alembert (1717-1783).
La prochaine conférence liée au volet consacré aux ouvrages hérités du Collège Sainte-Marie aura lieu le 11 décembre, de 14 h à 16 h, au local A-1280. Claude La Charité, professeur à l’UQAR et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire littéraire et patrimoine imprimé, présentera l’ouvrage Hieroglyphica, seu de sacris aegyptiorum… [Hiéroglyphes, ou Commentaires sur les lettres sacrées des Égyptiens] (Lyon, Barthélemy Honorat, 1586) de Giovan Pietro Valeriano (1477-1560).
Deux autres conférences d’Helena Kogen et Lyse Roy auront lieu en janvier 2020.