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Soutenir les étudiants autochtones

Quelles sont les sources de motivation des jeunes Autochtones pour poursuivre leurs études postsecondaires?

Par Claude Gauvreau

20 juin 2019 à 15 h 06

Mis à jour le 20 juin 2019 à 15 h 06

En mars 2018, la professeure du Département de géographie Laurie Guimond accueillait dans l’un de ses cours une vingtaine d’étudiants du collège Kiuna, le seul établissement collégial au Québec destiné aux Autochtones. Photo: Nathalie St-Pierre

La plupart des enquêtes menées au Canada depuis 25 ans soulignent que l’accès des Autochtones à l’éducation postsecondaire est l’une des clés de la réconciliation avec les Première Nations. Or, moins de la moitié des jeunes Autochtones obtiennent leur diplôme d’études postsecondaires, alors que la moyenne nationale se situe autour de 65 %, selon des données de Statistique Canada datant de 2018. «La persistance d’inégalités en matière d’éducation entre Autochtones et allochtones est indissociable de l’héritage colonial», rappelle la doctorante en psychologie Léa Bragoli-Barzan, cosignataire avec la professeure de l’Université de Sherbrooke Tanya Chichekian de l’article «Études postsecondaires: en faisons-nous assez pour les jeunes Autochtones?», publié récemment sur la plateforme web La Conversation Canada.

Dans les réserves, les jeunes Autochtones qui souhaitent poursuivre des études postsecondaires se heurtent à d’importants obstacles. «Ceux qui habitent dans des régions isolées et éloignées doivent souvent quitter leur communauté pour pouvoir fréquenter un établissement d’enseignement, note Léa Bragoli-Barzan. L’éloignement familial, l’isolement social et la perte de repères en milieu urbain peuvent avoir un effet déstabilisant.»

Les jeunes des Premières Nations vivant dans une réserve sont d’ailleurs moins susceptibles d’obtenir un diplôme d’études postsecondaires que les autres. Selon le Recensement de 2016, 11,4 % des Autochtones de 25 à 64 ans ayant le statut d’Indien inscrit et ne vivant pas dans une réserve étaient détenteurs d’un baccalauréat ou d’un diplôme de grade supérieur, comparativement à 5,4 % parmi ceux qui vivaient dans une réserve.  

Les difficultés rencontrées par les jeunes Autochtones ne doivent pas, toutefois, faire oublier les progrès accomplis ces dernières années. «La proportion d’Autochtones détenant un diplôme d’études collégiales est passé de 18,7 %, en 2006, à 23 %, en 2016», souligne la doctorante.

Sources de motivation

Pour mieux comprendre les difficultés scolaires des jeunes Autochtones, Léa Bragoli-Barzan et la professeure Tanya Chichekian ont mené des entrevues avec des professionnels de l’éducation – spécialistes en apprentissage, agents de soutien, aides pédagogiques, conseillers psychosociaux – qui oeuvrent dans des cégeps offrant des ressources dédiées aux Autochtones. Les entrevues portaient principalement sur les motivations des jeunes des Premières Nations à poursuivre leurs études, sur la façon dont ils perçoivent le succès académique et sur les mesures pouvant favoriser leur réussite scolaire.

Les résultats des entrevues montrent que les jeunes Autochtones sont motivés à faire des études postsecondaires parce qu’ils souhaitent être récompensés et craignent de décevoir leur communauté ou leurs parents. «Le désir d’être récompensé est associé à la perspective d’obtenir un emploi intéressant et bien rémunéré, de pouvoir subvenir à ses besoins matériels et d’acquérir une autonomie», précise Léa Bragoli-Barzan. Certaines communautés exercent aussi une forme de pression sociale en faveur de la poursuite des études. «Des jeunes Autochtones étudient pour devenir policiers ou enseignants parce que cela répond à des besoins immédiats au sein de leur communauté», observe la doctorante. D’ailleurs, l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA), qui vient de déposer son rapport, propose notamment de former davantage de policiers, d’avocats, de travailleurs sociaux, de professionnels de la santé et de journalistes autochtones.

Pour soutenir la persévérance scolaire et la diplomation chez les jeunes Autochtones, Léa Bragoli-Barzan croit qu’il faut mettre l’accent sur le plaisir d’étudier et la satisfaction que l’on en retire, une avenue peu explorée. «Des recherches montrent que cette source de motivation, dite intrinsèque, favorise une plus grande rétention scolaire au postsecondaire ainsi qu’une meilleure performance académique, souligne la doctorante. C’est un moteur naturel puissant qui incite les étudiants à s’engager, qui entretient leur goût pour les études parce qu’ils trouvent des avantages dans l’apprentissage lui-même, et pas seulement dans ses retombées.».

L’attrait pour la relation avec les pairs, l’intérêt pour les interactions avec un enseignant perçu comme une personne-ressource et le plaisir de naviguer dans un environnement comprenant plusieurs ressources (bibliothèque, vidéothèque, laboratoires) représentent d’autres sources de motivation.

Programmes d’aide

Miser sur ces types de motivation n’exclut pas la nécessité de mettre sur pied des programmes d’aide pour faciliter la persévérance scolaire. En 2017-2018, Services aux Autochtones Canada (SAC) a investi 90 millions de dollars sur deux ans dans le Programme d’aide aux étudiants de niveau postsecondaire et dans le Programme préparatoire à l’entrée au collège et à l’université. Afin d’améliorer leur taux d’employabilité, SAC fournit de l’aide financière aux étudiants des Premières Nations inscrits à des programmes d’études postsecondaires admissibles, soit ceux d’un collège ou d’un cégep menant à l’obtention d’un diplôme ou d’un certificat, les programmes de premier cycle et les programmes d’études supérieures ou de formation professionnelle.

L’organisme de bienfaisance Indspire, dirigé par des Autochtones, offre également un soutien financier aux étudiants autochtones par le biais de son programme Bâtir un avenir meilleur: Bourses d’études, bourses d’excellence et primes. 

À ces mesures s’ajoutent des programmes de transition comprenant des activités de sensibilisation culturelle, du soutien pédagogique, des services d’orientation scolaire et du mentorat par les pairs, offerts par des universités et des cégeps. «Les jeunes Autochtones peuvent être admis par le biais de programmes de transition qui comportent des ressources spécialisées destinées à les accompagner, note Léa Bragoli-Barzan. Dans certains cas, les étudiants devront suivre une année préparatoire avant d’être admis dans un programme régulier.»

Des établissements collégiaux et universitaires abritent également des centres de ressources où les étudiants autochtones peuvent se rencontrer et échanger. «Ces initiatives n’effacent pas d’un seul coup les traumas intergénérationnels associés aux politiques coloniales, dit la doctorante, mais ce sont des pas dans la bonne direction.»

Soutien Uqamien

La candidate à la maîtrise en droit Alexandra Lorange (LL.B., 2018) a été embauchée récemment à titre de conseillère à l’accueil et à l’intégration des étudiants autochtones aux Services à la vie étudiante (SVE). Alexandra Lorange a œuvré au sein d’un cabinet de droit autochtone, a été coordonnatrice du Centre de justice des premiers peuples de Montréal, chercheuse à l’Institut de développement durable des Premières Nations du Québec et du Labrador et a travaillé pour le Bureau du Grand Chef de la Nation Atikamekw.

Son embauche s’inscrit dans la foulée des travaux du Comité d’action pour des mesures d’aide aux étudiants autochtones, lequel s’appuyait, notamment, sur le rapport «Expériences, politiques et pratiques d’intégration des étudiants.es autochtones à l’université: le cas de l’UQAM», cosigné en 2017 par le professeur du Département de science des religions Laurent Jérôme et Léa Lefèvre-Radelli, doctorante et chargée de cours en sciences des religions.

Les SVE ont procédé l’automne dernier à l’ouverture officielle d’un local (DS-R503) exclusivement réservé aux étudiants autochtones. Ils ont également adapté aux réalités autochtones leurs ateliers portant sur la prise de notes, la gestion du temps et la gestion du stress.

Un projet pilote de deux ans est en cours au Département des sciences juridiques afin de favoriser l’accessibilité des autochtones aux études supérieures. En vertu de cette initiative, quatre places au baccalauréat en droit, en sus du contingent, seront désormais réservées chaque année pour des candidates et des candidats autochtones qui ont une expérience professionnelle ou une implication sociale pertinente, notamment en lien avec les communautés autochtones.  

En 2017, l’UQAM a créé le Groupe de travail sur la réconciliation avec les peuples autochtones, dont le mandat est d’assurer un soutien à la réussite tout au long du parcours des étudiants autochtones.

Effet d’entraînement

La réussite des étudiants autochtones de première génération qui obtiennent leur diplôme d’études postsecondaires est susceptible de produire un effet d’entraînement sur les membres de leur famille et de leur communauté. «Il faut mieux connaître les trajectoires couronnées de succès», observe la doctorante.». Léa  Bragoli-Barzan participe à un projet de recherche sur les parcours d’étudiants autochtones en médecine, notamment à l’Université McGill, dont les résultats seront transférés dans les communautés autochtones.

«L’objectif à plus long terme, conclut la doctorante, est de former une génération d’Autochtones détenteurs de diplômes d’études postsecondaires, y compris universitaires, qui sauront transmettre la valeur de l’éducation à leurs enfants, tout en leur servant de modèles.»