Dégradation de la biodiversité, pollution atmosphérique, montée des eaux, sécheresses… Un spectre hante la planète, celui de l’extinction pour les plus pessimistes, celui d’un réchauffement climatique aux conséquences dramatiques pour les autres. Dans un ouvrage qui vient de paraître, Devant l’effondrement. Essai de collapsologie, le mathématicien français Yves Cochet, ancien député Vert et ancien ministre de l’Environnement dans le gouvernement de Lionel Jospin, soutient que la moitié des humains ne survivra pas à l’effondrement global, d’ici 2030, de notre civilisation industrielle. Rien que ça! Dans le contexte actuel de crise climatique, des scénarios apocalyptiques s’invitent dans le débat public, nourrissant l’inquiétude et la peur.
Présentée par certains comme un nouveau problème de santé publique, l’éco-anxiété attire de plus en plus l’attention des scientifiques. «Aux États-Unis, l’American Psychological Association (APA) incite les psychologues à s’intéresser dans leur pratique aux impacts des changements climatiques sur la santé mentale et à en parler avec leurs patients, note la doctorante en psychologie Christina Popescu (B.A. psychologie, 2010; M.A. science olitique, 2017). Dans un rapport paru en 2017, intitulé Mental Health and our Changing Climate: Impacts, Implications, and Guidance, l’APA insistait sur les relations entre les bouleversements climatiques et le bien-être psychique des gens.» La psychologue américaine Donna M. Orange s’est penchée sur le sujet. En 2016, elle publiait Climate Crisis, Psychoanalysis and Radical Ethics.
«Vivre dans l’attente d’un désastre environnemental appréhendé à l’échelle planétaire peut engendrer un sentiment de peur chronique. Ce désordre porte le nom d’éco-anxiété.»
Christina Popescu,
Doctorante en psychologie
Le phénomène de l’éco-anxiété est au cœur de la recherche doctorale de Christina Popescu, menée sous la direction de la professeure du Département de psychologie Marina Doucerain. Avec la multiplication des alertes lancées par les chercheurs sur les conséquences des changements climatiques, il devient urgent d’enrichir la littérature scientifique à ce sujet, affirme la doctorante. «Jusqu’à présent, la plupart des études se sont intéressées aux effets des changements climatiques sur la santé physique des individus et sur la santé psychologique de ceux ayant directement vécu des catastrophes naturelles. Cependant, vivre dans l’attente d’un désastre environnemental appréhendé à l’échelle planétaire peut engendrer un sentiment de peur chronique. Ce désordre porte le nom d’éco-anxiété.»
Les symptômes de l’éco-anxiété sont multiples: stress, insomnie, crises d’angoisse et de panique. Ils peuvent être associés à la perte de confiance dans la capacité de lutter contre les changements climatiques, ou encore à des sentiments d’impuissance, de culpabilité, de tristesse, voire de colère à cause de l’inaction des décideurs économiques et politiques.
Documenter l’éco-anxiété
Christina Popescu, qui a présenté une communication sur l’éco-anxiété au dernier congrès de l’Acfas, commence sa recherche. «L’éco-anxiété, dit-elle, peut être abordée sous divers angles, cognitif et comportemental, notamment.» Elle réalisera des entrevues avec une quinzaine de personnes de 18 ans et plus qui disent éprouver de l’éco-anxiété, afin de documenter leurs expériences, tout en générant un corpus de thèmes reliés à ce qu’elles ressentent. «Cela me permettra d’identifier des facteurs de risque et de protection afin d’atténuer les sentiments de détresse ou de souffrance.»
Dans un deuxième temps, elle construira un questionnaire destiné à une centaine de personnes, en vue d’établir une échelle permettant de mesurer les degrés d’éco-anxiété, ce qui n’a pas été fait jusqu’à maintenant. «Aucune étude n’a encore comparé les différentes facettes de la menace incarnée par les changements climatiques et déterminé lesquelles avaient le plus d’impact sur l’éco-anxiété», observe la jeune chercheuse.
Christina Popescu s’intéressera, par ailleurs, aux raisons qui conduisent des individus à nier l’existence des changements climatiques et à demeurer passifs. «Le sentiment d’impuissance et l’angoisse de mort peuvent favoriser la propension au déni», soutient-elle.
«Les jeunes sont les personnes les plus sensibilisées en ce moment parce que c’est leur avenir qui est en jeu. Ils sont aussi plus susceptibles de faire de l’éco-anxiété.»
Des médias alarmistes?
Dans sa recherche, la doctorante tiendra compte de la fréquence à laquelle les gens sont confrontés aux mauvaises nouvelles en matière d’environnement, dans les médias comme sur les réseaux sociaux. «Je ne crois pas que les médias, du moins ceux considérés comme sérieux et crédibles, tiennent un discours alarmiste. Ils décrivent la réalité, font écho aux travaux scientifiques sur les bouleversements climatiques et contribuent ainsi à la prise de conscience par le grand public de la gravité de la situation et de l’urgence d’agir.» D’un autre côté, le fait de lire et d’entendre chaque jour des nouvelles et des reportages sur les dérèglements climatiques peut alimenter le sentiment d’anxiété. «Chose certaine, il est important de choisir des sources d’information fiables et pertinentes», note Christina Popescu.
Plusieurs études montrent que les jeunes sont plus touchés et se sentent davantage concernés par les enjeux environnementaux que les générations précédentes. «Les jeunes sont les personnes les plus sensibilisées en ce moment parce que c’est leur avenir qui est en jeu, indique la chercheuse. Ils sont aussi plus susceptibles de faire de l’éco-anxiété. Les changements climatiques incitent même certains d’entre eux à remettre en question leurs ambitions et leurs rêves.»
«Le meilleur antidote à l’éco-anxiété demeure l’engagement social. C’est parce que les militants écologistes craignent la catastrophe qu’ils se mobilisent.»
Un moteur pour agir
Peut-on combattre l’éco-anxiété? Il n’y a pas de recette magique, mais il existe des pistes de solution. «Se retirer du monde, ruminer dans son coin ne peut qu’empirer les choses», dit Christina Popescu. Si l’éco-anxiété peut avoir un effet paralysant, elle peut aussi constituer un moteur pour agir, collectivement ou individuellement. «Le meilleur antidote à l’éco-anxiété demeure l’engagement social, soutient la doctorante. C’est parce que les militants écologistes craignent la catastrophe qu’ils se mobilisent. En même temps, on peut aussi modifier ses habitudes au quotidien afin de vivre davantage en accord avec ses valeurs et d’apporter sa contribution à une meilleure qualité de l’environnement.»
Le niveau d’incertitude concernant les changements climatiques est très élevé, car personne ne sait précisément jusqu’à quel point nous serons affectés par ces bouleversements. «Nous n’avons pas le choix d’apprendre à gérer l’incertitude, observe Christina Popescu. Une thérapie cognitive peut aider certaines personnes à aborder la crise climatique de façon plus rationnelle, en se basant sur les faits. Il existe aussi des groupes de soutien pour les individus éco-anxieux.»
Parallèlement à sa recherche doctorale, Christina Popescu travaille à l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM), à titre de responsable des communications et des réseaux sociaux. Elle est aussi membre du Laboratoire de recherche CIEL en psychologie sociale. «J’aspire à une carrière de psychologue clinicienne et j’aimerais m’investir dans une forme d’engagement politique non partisan en matière d’environnement. Je pourrais ainsi combiner mes deux passions.»