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Éduquer en contexte d’urgence

La Chaire UNESCO de développement curriculaire s’intéresse à la scolarisation des enfants migrants et réfugiés.

Par Claude Gauvreau

4 mars 2019 à 12 h 03

Mis à jour le 6 mars 2019 à 13 h 03

Un enseignant malien avec ses élèves dans un camp de réfugiés en Mauritanie. Photo: Anna Jefferys/IRIN

Les chiffres sont effarants. En 2016, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) estimait à plus de 65 millions le nombre d’individus déracinés à travers le monde à cause de conflits, de violences, de violations des droits de la personne et de persécutions de toutes sortes. De ce nombre, 22,5 millions, dont 51% étaient âgés de moins de 18 ans, ont dû se réfugier dans un autre pays, en Europe notamment. Les réfugiés étaient originaires, entre autres, de la Syrie, de l’Irak, de l’Afghanistan et du Soudan du Sud.

«Ce sont les enfants et les adolescents qui sont les plus durement touchés par ces fléaux, des jeunes migrants et réfugiés dont le parcours scolaire est brutalement interrompu, sinon sévèrement affecté», souligne le professeur du Département de didactique Patrick Charland, nouveau cotitulaire avec son collègue Stéphane Cyr, du Département de mathématiques, de la Chaire UNESCO de développement curriculaire.

Créée en 2009 par le Directeur général de l’UNESCO, sur recommandation de la Commission canadienne de l’UNESCO, la Chaire a vu son financement et son mandat renouvelés pour une troisième fois, jusqu’en 2021. «Nous avons ajouté un nouveau volet à notre mandat, qui concerne l’appui au développement des systèmes éducatifs dans des contextes d’urgence, de relèvement ou de reconstruction, indique Patrick Charland. La Chaire vise à devenir le premier pôle de recherches sur ces enjeux dans la Francophonie.»

Des défis colossaux

La scolarisation des enfants migrants et réfugiés pose des défis importants aux pays qui les reçoivent: volume imposant des déplacés, langue d’enseignement, multiplicité des acteurs impliqués, manque de classes d’accueil et de formation des enseignants, etc. «Les raisons invoquées par les familles pour que leurs enfants ne fréquentent pas l’école concernent la langue d’enseignement, mais aussi le niveau de difficulté des cours vu les retards accumulés, note le professeur. Chose certaine, plus l’interruption du parcours scolaire est longue, plus le risque que l’enfant ne réintègre pas l’école est élevé.»

Une cérémonie tenue à l’UQAM a souligné le renouvellement du mandat de la Chaire UNESCO de développement curriculaire. Normand Séguin, doyen de la Faculté des sciences, Patrick Charland et Stéphane Cyr, cotitulaires de la Chaire, Louis Baron, vice-recteur au Développement humain et organisationnel, et Monique Brodeur, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation. Photo: Denis Bernier

Les enfants doivent bénéficier, par ailleurs, d’une formation plus large, qui dépasse celle offerte par les programmes traditionnels. «Ces enfants ont vécu des traumatismes physiques et psychologiques», rappelle Patrick Charland. Dans les camps de réfugiés, les initiatives éducatives ne peuvent pas, non plus, faire abstraction des profils diversifiés des enfants. «Un enfant nigérian et un jeune syrien auront des besoins différents parce qu’ils n’ont pas reçu la même éducation dans leur pays d’origine et parce que leurs parcours migratoires ne sont pas identiques», observe le chercheur.

Devant l’ampleur des défis associés à la scolarisation, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a mis en place, en 2013, des programmes d’éducation accélérée. Les objectifs sont d’assurer un retour rapide à l’éducation formelle, de combler certains retards et de cibler des apprentissages spécifiques, notamment pour les jeunes de 14 ou15 ans, afin de faciliter la transition vers les systèmes éducatifs institutionnels. «L’une des tâches de la  Chaire sera de documenter les impacts de ces programmes», remarque Patrick Charland.

Recueillir des données

Les données sur les besoins spécifiques en matière d’éducation des enfants migrants et réfugiés et de leurs enseignants demeurent parcellaires. «La Chaire a pour priorité d’établir des portraits précis des situations, dit le professeur. Nous avons besoin de connaître le parcours des enfants, ce qui est enseigné dans les classes, qui sont les enseignants et quelle est leur formation.»

Mais pour obtenir ces données, difficilement accessibles, il faut avoir des partenaires sur le terrain. «La collaboration entre les chercheurs universitaires et le acteurs humanitaires, comme les agences onusiennes et les ONG internationales, est essentielle, souligne Patrick Charland. Nous travaillons à établir divers partenariats avec les différents bureaux de l’UNESCO, dont l’Institut international de planification de l’éducation, à Paris, ou avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.» Comme il est plus facile d’atteindre les enfants dans les camps de réfugiés que les enfants migrants en déplacement dans différents pays, les chercheurs de la Chaire ont ciblé pour le moment le camp de Dadaab au Kenya, où le professeur du Département de didactique Olivier Arvisais, co-président du Comité scientifique de la Chaire, a mené une collecte de données.

Un pilier de l’aide humanitaire

En 2007, l’ONU a reconnu officiellement l’éducation comme l’un des quatre piliers de l’aide humanitaire, les trois autres étant l’alimentation, le logement sécuritaire et la santé. Les travaux de la Chaire s’effectuent en conformité avec les orientations énoncées en 2015 par l’UNESCO dans le cadre du programme de développement durable Horizon 2030 de l’ONU, lequel consiste à promouvoir l’accessibilité à l’éducation. «Selon l’UNESCO, on compte actuellement dans le monde 262 millions d’enfants et d’adolescents non scolarisés», rappelle le professeur.

Les travaux de la Chaire s’inscrivent en continuité avec ceux développés par son premier titulaire, le professeur associé du Département de mathématiques Philippe Jonnnaert. Ces travaux consistaient surtout à accompagner les réformes curriculaires dans des pays en développement, en particulier en Afrique de l’Ouest (Madagascar, Niger, Côte d’Ivoire, Sénégal). «Nous allons poursuivre le soutien au développement d’activités éducatives formelles et informelles, telles que la création de programmes d’études et de matériel pédagogique, ainsi que la formation d’enseignants et de personnel de haut niveau dans les ministères concernés», souligne Patrick Charland. Ainsi, la Chaire appuie actuellement un projet de réforme en République démocratique du Congo qui porte sur la formation des enseignants du secondaire en mathématiques et en sciences.

«Qu’il s’agisse de renforcer la qualité des systèmes éducatifs dans les pays du Sud ou de favoriser leur accessibilité en contexte d’urgence ou de développement, la mission de la Chaire sera de soutenir les institutions et les praticiens, tout en produisant et en partageant des connaissances dans ces domaines», conclut son cotitulaire.