
Musée citoyen dédié à la préservation de la mémoire populaire, l’Écomusée du fier monde, situé à deux pas de l’UQAM dans le quartier Centre-Sud, propose une nouvelle exposition: Déjouer la fatalité. Pauvreté, familles, institutions. Cette exposition est le fruit d’une collaboration entre l’Écomusée et le Centre d’histoire des régulations sociales, dirigé par le professeur du Département d’histoire Martin Petitclerc. Elle relate l’évolution, peu connue du grand public, du vaste réseau d’institutions privées et publiques – prison, école de réforme, orphelinat, hospice, refuge – qui, à compter du milieu du 19e siècle, à Montréal comme ailleurs en Occident, gère la pauvreté, la maladie et la déviance.
«L’objectif de l’exposition, explique son commissaire Martin Petitclerc, est de contribuer aux débats actuels sur les inégalités sociales, sur le sort que la société réserve aux personnes vulnérables et marginales.» Déjouer la fatalité met en lumière la vision étroite de la pauvreté, prédominante au Québec entre les années 1850 et 1930, qui liait les problèmes sociaux à la marginalité. «À cette époque, les pauvres, les mendiants, les chômeurs, les prostituées et les filles mères sont mis à l’écart parce qu’ils sont incapables de subvenir à leurs besoins et que leur famille ne peut s’occuper d’eux, précise le professeur. L’intervention des pouvoirs publics se limite à prendre en charge les indigents dans les institutions carcérales, tandis que l’Église et des bienfaiteurs privés créent des œuvres de charité.» L’exposition souligne aussi le rôle des sociétés de secours mutuel et des syndicats qui, dès le milieu du 19e siècle, revendiquent des formes de protection moins humiliantes que la charité institutionnelle. «Ces groupes réclament de meilleurs salaires et des politiques sociales pour assurer aux familles un minimum vital leur permettant d’être autonomes», observe Martin Petitclerc.
Au moyen de photos, de documents d’archives et d’artefacts, l’exposition invite à comprendre de l’intérieur les institutions de régulation sociale et fait sortir de l’oubli les expériences des indigents. «Les visiteurs verront des extraits du documentaire La Turlute des années dures sur la crise des années 1930 et découvriront des lettres de personnes âgées destinées au premier ministre du Québec Alexandre Taschereau, lequel refusait d’appliquer la loi fédérale sur les pensions de vieillesse, adoptée à la fin des années 1920», note l’historien. Des articles de journaux relatent des faits divers témoignant de la misère urbaine, tandis qu’une série de photos provenant des archives de la Ville de Montréal illustrent les différentes étapes que les chômeurs devaient franchir pour être admis dans un refuge.
L’exposition met enfin en valeur la richesse du patrimoine institutionnel et architectural du quartier Centre-Sud. «Celui-ci regorge de bâtiments qui abritaient des institutions appartenant au réseau d’assistance sociale», indique Matin Petitclerc. C’est le cas, notamment, de l’hôpital de la Miséricorde, boulevard René-Lévesque, de l’école de réforme pour jeunes filles, rue Sherbrooke, de l’hospice Gamelin, du refuge Meurling et de la prison du Pied-du-Courant.
Visites commentées
L’exposition se poursuit jusqu’au 9 février. Dans le cadre de l’événement, l’Écomusée invite le public à participer à deux circuits urbains dans les rues du quartier Centre-Sud pour apprécier la richesse de son patrimoine institutionnel et architectural. Animés par une membre du Centre d’histoire des régulations sociales, les circuits se tiendront les samedis 12 octobre et 16 novembre, à 13 h 30.
Des visites de l’exposition commentées par le commissaire Martin Petitclerc auront lieu les samedis 2 novembre, 16 novembre et 18 janvier, à 13 h 30.
Des responsabilités partagées
À partir du milieu du 19e siècle jusqu’au début du 20e, les pouvoirs publics, l’Église et les organismes privés de charité se partagent les responsabilités dans la gestion de la pauvreté. «Misant sur l’internement, et s’appuyant parfois sur les communautés religieuses, l’État s’occupe de tout ce qui relève de la criminalité, de la délinquance et de la déviance, alors que la charité repose sur des institutions non judiciaires, comme les refuges, les orphelinats et les hôpitaux», rappelle le professeur.
Ces institutions sont aussi des endroits privilégiés pour inculquer des valeurs morales, notamment religieuses. «On observe une volonté de discipliner les familles ouvrières, de fournir aux chômeurs une éthique du travail, remarque Matin Petitclerc. On craint également que certaines institutions deviennent des lieux de diffusion de l’idéologie révolutionnaire. Les refuges, par exemple, qui abritent de jeunes chômeurs, sont des endroits où le Parti communiste canadien cherche à recruter des sympathisants. Le gouvernement fédéral construira même des camps en régions, supervisés par l’armée, pour mettre au travail les jeunes chômeurs.»
Première grande loi sociale
En 1921, le Québec adopte sa première grande loi sociale, la loi de l’assistance publique. «Celle-ci est le fruit des revendications des institutions hospitalières, des orphelinats et des crèches qui, incapables de répondre aux nombreuses demandes, critiquent le modèle privé de prise en charge de la pauvreté», observe l’historien. Au cours des premières décennies du 20e siècle, sous la pression de groupes qui réclament une répartition plus équitable des richesses, l’État commence à investir dans des politiques sociales, comme l’assurance-chômage et les allocations familiales. «On passe alors d’un modèle de promotion de la charité privée à un modèle de promotion des droits sociaux», souligne Martin Petitclerc.

Peut-on établir un parallèle entre notre époque et celle décrite dans l’exposition? «Autrefois, la charité privée prédominait, dit le professeur. Aujourd’hui, le Québec bénéficie d’un système de protection sociale qui permet de donner une autonomie minimale aux plus démunis, au lieu de les réduire à un état de dépendance extrême comme c’était le cas par le passé. À la périphérie de ce système géré par l’État, on trouve aussi une série d’organismes communautaires et de bienfaisance qui s’inscrivent dans une logique d’entraide, tout en contribuant à ce que les personn002_r3082-2_2145e-004_w.jpges marginalisées prennent davantage conscience de leurs droits sociaux.»
Quelle que soit la période envisagée, Martin Petitclerc croit qu’une société révèle sa véritable nature par la manière dont elle traite ses membres les plus marginaux. «Aux yeux de plusieurs personnes, tout ce qui est marginal est peu important ou secondaire. Je pense, au contraire, que nous devons continuer de nous questionner sur qui sont ces gens que nous acceptons de mettre à la marge, et dont les droits les plus élémentaires ne sont pas toujours respectés.»