Série Doc en poche
Armés de leur doctorat, les diplômés de l’UQAM sont des vecteurs de changement dans leur domaine respectif.
Geneviève Breault
(M.A. sociologie, 2012; Ph.D. interdisciplinaire en santé et société, 2017)
Direction de recherche: Martin Gallié, professeur au Département des sciences juridiques
Anne Quéniart, professeure au Département de sociologie
Enjeu social: la défense des droits des locataires
C’est à l’occasion d’un stage à l’Association des locataires de Villeray, à l’été 2011, que le projet doctoral de Geneviève Breault a commencé à germer. «J’ai été bouleversée par les situations auxquelles étaient confrontés les locataires qui venaient demander des conseils: problèmes de vermine, de salubrité, de harcèlement, de bruit, de chauffage insuffisant, etc. Les gens étaient dépassés et impuissants», raconte-t-elle.
Dans le cadre de sa thèse, Geneviève Breault a documenté le vécu des personnes locataires s’adressant à un organisme communautaire. «J’ai interviewé 21 personnes à deux reprises, soit lors de leur premier contact avec l’Association des locataires de Villeray, puis deux ans plus tard, afin d’observer l’évolution de leur situation et les suites de leurs démarches, le cas échéant.» La chercheuse s’est intéressée à la nature des conflits opposant ces locataires à leur propriétaire, mais aussi aux impacts psychosociaux de ces conflits sur leur vie personnelle, familiale et professionnelle.
«Je me suis rapidement aperçue que l’analyse de mes données constituerait un défi en soi, en raison de l’hétérogénéité des situations. Voilà pourquoi je les ai regroupées en trois catégories: les conflits concernant le cadre bâti – tels que la présence de moisissures, de vermine ou de bris matériel -, les problèmes relationnels avec le propriétaire, comme du harcèlement, et la reprise de logement.»
Les témoignages qu’elle a recueillis démontrent que les conflits locataires-propriétaires ne peuvent être banalisés comme de simples tracas de la vie quotidienne. «Ils s’accompagnent non seulement de sentiments d’injustice, mais également de symptômes liés à l’anxiété et à la dépression.»
Ses résultats montrent également que même si les locataires situent leur conflit sur le plan juridique et qu’ils sollicitent des informations ainsi qu’un accompagnement auprès des organismes communautaires, ils ne s’adressent pas aux mécanismes de surveillance et de protection de leurs droits, comme la Régie du logement. «Les personnes estiment que les délais, de 12 à 18 mois en moyenne, sont trop longs, et qu’elles n’obtiendront pas gain de cause en bout de piste. La plupart choisissent donc d’encaisser et de subir les désagréments du conflit, ou de déménager.»
La reprise de logement suscite chez les personnes locataires un immense sentiment de dépossession, a-t-elle constaté, surtout chez les personnes âgées qui habitent au même endroit depuis des dizaines d’années. «Elles ont leurs habitudes et leur cercle social dans le quartier, et la reprise les force à se relocaliser. Ce n’est pas garanti qu’elles puissent trouver un logement au même prix dans le voisinage.»
Si aussi peu de recours juridiques sont intentés, la chercheuse estime que c’est avant tout par crainte des représailles. «L’un de mes répondants s’est même fait dire par un agent de la Régie du logement d’y penser deux fois avant de déposer une plainte officielle, car celle-ci serait publique et accessible pour tous ses futurs propriétaires…»
Après l’obtention de son doctorat, Geneviève Breault est retournée à l’Association des locataires de Villeray pour y occuper un poste d’organisatrice communautaire. Elle estime que l’on devrait fournir un meilleur accompagnement aux personnes qui s’adressent aux organismes de défense des droits des locataires, surtout les personnes âgées et les immigrants, qui sont plus vulnérables. «Nous avons amorcé en juin dernier un projet-pilote, indique-t-elle. Une intervenante prend désormais le temps d’aller visiter le logement avec la personne locataire pour constater la nature de son problème, puis on l’accompagne dans ses démarches à la Régie du logement et auprès de l’Aide juridique, le cas échéant», explique-t-elle.
Son travail et son sujet d’étude passionnent Geneviève Breault: elle poursuivra d’ailleurs ses recherches dans le cadre d’un postdoctorat à l’Université Concordia. «J’ai obtenu du soutien financier du CRSH pour un projet d’études ethnographiques à la Régie du logement, question de mieux comprendre ses mécanismes de fonctionnement», conclut-elle.