Les différences entre personnes autistes et non-autistes se sont considérablement amenuisées au fil des ans. «C’était une intuition partagée par de nombreux chercheurs et cliniciens, dont nous avons désormais confirmation», affirme la professeure du Département de psychologie Isabelle Soulières, qui figure parmi les auteurs d’une étude qui en arrive à cette constatation, publiée en août dernier dans la prestigieuse revue JAMA Psychiatry.
C’est une étudiante au baccalauréat en psychologie de l’Université de Copenhague, Eya-Mist Rødgaard, qui signe l’étude à titre de première autrice. Celle-ci a effectué l’an dernier un stage au sein du Laboratoire sur l’intelligence et le développement en autisme que dirige Isabelle Soulières. La jeune Danoise a procédé à une méta-analyse de 11 méta-analyses portant sur des études réalisées entre 1966 et 2019, touchant au total 27 723 individus. Les méta-analyses retenues devaient avoir testé les différences de groupe entre des personnes autistes et non-autistes pour un domaine de recherche neurocognitif précis. Ces différences devaient être statistiquement significatives et chaque méta-analyse devait inclure des données obtenues sur une période d’au moins 15 ans.
«Eya-Mist a comparé les tailles d’effet – c’est-à-dire l’ampleur de la différence entre les deux groupes – pour sept domaines de recherche neurocognitifs en autisme», explique la professeure, qui est également titulaire de la Chaire de recherche sur l’optimisation du potentiel cognitif des personnes autistes. Les résultats indiquent que les tailles d’effet entre les personnes autistes et non-autistes se sont réduites avec le temps pour cinq des sept domaines de recherche, soit la reconnaissance des émotions, la théorie de l’esprit (la capacité à savoir que l’autre a sa pensée propre, distincte de la mienne), la planification d’une tâche, l’amplitude de l’activité cérébrale, et le volume cérébral (les résultats n’étaient pas statistiquement significatifs pour deux autres domaines, soit l’inhibition et la flexibilité cognitive).
Augmentation de la prévalence
Selon Isabelle Soulières, ces résultats reflètent les changements survenus dans les pratiques diagnostiques de l’autisme. «La définition et la nature de l’autisme ont fait l’objet de débats au fil des ans, comme en attestent les nombreuses révisions des critères diagnostiques figurant dans le DSM, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux», souligne-t-elle. Dans la cinquième et plus récente édition de l’ouvrage, parue en 2013, on ne parle plus d’autisme, mais plutôt du trouble du spectre de l’autisme (TSA). «Cette appellation regroupe ce qu’on nommait auparavant les troubles envahissants du développement (TED), lesquels incluaient l’autisme, le syndrome d’Asperger et le trouble envahissant du développement non spécifié, précise la chercheuse. Il est probable que plusieurs personnes qui avaient un TED non spécifié aient obtenu un diagnostic de TSA, même si elles ne présentent que peu de particularités associées à ce trouble.»
Cela expliquerait pourquoi la prévalence de l’autisme a augmenté de manière spectaculaire au cours des dernières années, passant de 0,04 % de la population il y a 30-40 ans à environ 1,6 % de nos jours. «Il s’agit d’un phénomène unique à l’autisme, insiste Isabelle Soulières, car on ne trouve pas cette diminution des tailles d’effet du côté de la schizophrénie, par exemple, dont la prévalence n’a pas augmenté au fil des ans.»
Obtenir le bon diagnostic
«Nous sommes probablement en situation de surdiagnostic pour le trouble du spectre de l’autisme, poursuit la professeure, et cela met une pression énorme sur les systèmes de santé et d’éducation, qui peinent à offrir les services adéquats.»
Afin d’obtenir les subventions nécessaires pour embaucher des ressources spécialisées, les écoles mettent de la pression sur les parents pour obtenir un diagnostic, rappelle la chercheuse, qui s’empresse de préciser qu’il est normal qu’un parent qui s’inquiète pour son enfant consulte un médecin et que les professionnels qui posent un diagnostic d’autisme ne sont pas mal intentionnés. «Cela dit, beaucoup de parents et de professionnels de la santé sont au fait de ce qu’est l’autisme et sont enclins à en remarquer les symptômes chez un enfant, alors que d’autres hypothèses pourraient être envisagées. À trop chercher l’autisme, on manque parfois le véritable problème. La question à se poser est la suivante: est-ce qu’on aide adéquatement l’enfant en posant un diagnostic de TSA? Si ce n’est pas le bon diagnostic, on lui donnera des soins qui ne l’aideront pas.»
Isabelle Soulières et ses collègues croient qu’il faut ouvrir la discussion sur le diagnostic de l’autisme. «Idéalement, il faudrait toujours que le diagnostic de TSA soit posé en équipe multidisciplinaire, souligne-t-elle. Un bon diagnostic est bénéfique pour tout le monde. Et il faudrait revoir l’organisation du système, car le besoin impératif d’obtenir un diagnostic d’autisme pour avoir droit à des services incite au surdiagnostic. En définitive, les services devraient être associés aux besoins réels de chaque personne plutôt qu’à un diagnostic.»