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L’accès aux arts pour tous

Un symposium célèbre les 50 ans du rapport Rioux sur l’enseignement des arts au Québec.

Par Claude Gauvreau

13 mars 2018 à 11 h 03

Mis à jour le 13 mars 2018 à 15 h 03

Le professeur Stephen Schofield et une étudiante dans l’atelier de sculpture de l’École des arts visuels et médiatiques de l’UQAM.Photo: Nathale St-Pierre

Quelque 300 personnes – enseignants, artistes, représentants de ministères et d’organismes culturels et artistiques – sont attendues au symposium Cultiver l’enseignement des arts au Québec, qui se déroulera au Musée des beaux-arts de Montréal, le 16 mars prochain. Organisé par les Facultés des arts et des sciences de l’éducation, le symposium soulignera les 50 ans du rapport Rioux sur le rôle des arts et de leur enseignement au sein de la société québécoise. Ce rapport porte le nom du sociologue Marcel Rioux (1919-1992), qui a présidé la Commission d’enquête sur l’enseignement des arts dans la province de Québec. Celle-ci a été créée en 1966 par le gouvernement de Jean Lesage, dans la foulée du célèbre rapport Parent, lequel a impulsé la réforme de l’éducation durant la Révolution tranquille.

Déposé en 1968 et publié l’année suivante, le rapport Rioux a profondément influencé notre manière de concevoir la formation artistique. Ses quelque 368 recommandations préconisent une réorganisation majeure des structures d’enseignement afin de garantir à tous un accès aux arts. Cinquante ans plus tard, l’UQAM souhaite revisiter ce document phare et réfléchir au vaste projet de démocratisation artistique qu’il proposait.

«Le rapport Rioux est un document avant-gardiste. Il propose un projet de société dans lequel les arts constituent un outil d’émancipation.»

Vincent Bouchard-Valentine,

Professeur au Département de musique

«Le rapport Rioux est un document avant-gardiste», affirme le professeur du Département de musique Vincent Bouchard-Valentine, l’un des organisateurs du symposium. «Le rapport propose un projet de société dans lequel les arts constituent un outil d’émancipation. Nous voulons profiter de cet anniversaire pour dresser un bilan de ce qui a été accompli et mesurer le chemin qui reste à parcourir.»

Claude Corbo, ancien recteur de l’UQAM et auteur de Art, éducation et société postindustrielle: le rapport Rioux et l’enseignement des arts au Québec (Septentrion, 2006), présentera la conférence d’ouverture du symposium. Puis, les participants seront invités à débattre autour de quatre volets thématiques: Un nouveau contexte, de nouveaux possibles; Les arts à l’école; Interculturalité, approches décoloniales et formation artistique; La création contemporaine.

Les célébrations se poursuivent

Le symposium sera suivi d’un forum à l’UQAM qui, le 20 avril prochain, réunira des enseignants en arts de différentes commissions scolaires afin de réfléchir au projet éducatif québécois et à la place que doit y occuper la formation artistique.

Un cycle de quatre grandes conférences se déroulera également à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et au Musée des beaux-arts de Montréal. Les deux premières auront lieu à l’automne 2018 et les deux autres à l’hiver 2019.

Enfin, les célébrations autour du 50e anniversaire du rapport Rioux culmineront avec un colloque scientifique qui se tiendra à l’UQAM au printemps 2019.  

Pourquoi une commission d’enquête?

Selon Claude Corbo, la Commission Rioux est le résultat de causes structurelles majeures et de facteurs plus conjoncturels. «Au début des années 1960, le fouillis des structures, des programmes et des filières de formation qui caractérise l’ensemble du système d’éducation au Québec s’observe aussi dans le domaine des arts», rappelle-t-il. L’enseignement des arts est complètement éclaté et s’exerce sous des autorités multiples, aussi bien privées que publiques. «La nécessité de mettre à jour cet enseignement en regard de la réforme du système d’éducation québécois, le bouillonnement culturel de la fin des années 50 et du début des années 60, le questionnement radical sur l’art et l’artiste dans leur rapport à la société et le peu d’attention accordée à l’enseignement des arts par le rapport Parent sont les causes profondes à l’origine de la création de la Commission Rioux», souligne l’ancien recteur. 

Mais l’élément déclencheur conduisant à la décision gouvernementale de mettre sur pied la commission fut  l’action des étudiants de l’École des beaux-arts de Montréal, qui déclenchèrent deux grèves, l’une à l’automne 1965 et l’autre à l’hiver 1966. «Aspirant à une démocratisation culturelle, les étudiants s’interrogeaient sur la valeur de l’enseignement qui leur était dispensé, sur le rôle de l’art et sur la place de l’artiste dans la société, explique Claude Corbo. Selon eux, on ne pouvait pas repenser tout le système d’éducation, comme l’avait fait le rapport Parent, sans se questionner sur la formation artistique. C’est pourquoi ils réclamèrent une commission d’enquête, ce à quoi consentira le gouvernement libéral qui ne voulait pas d’une agitation étudiante sur les bras alors qu’il s’apprêtait à déclencher des élections générales.»

Une philosophie de l’éducation

Le rapport Rioux ne se penche pas seulement sur l’enseignement des arts. Il propose une vision globale, voire une philosophie de l’éducation. «Dans l’esprit des commissaires, l’éducation ne devait pas être asservie aux besoins de l’économie et aux seules disciplines utilitaires, note l’ancien recteur. Pour eux, l’art est une matière aussi essentielle que le français, les mathématiques et les sciences en général.» Les premiers chapitres du rapport  développent une réflexion sur la place de l’art dans la société et sur l’importance de la créativité et de l’éducation artistique dans le développement de l’être humain. «Le rapport souligne la nécessité de reconnaître la présence essentielle de l’art dans l’expérience humaine, observe Claude Corbo. Par conséquent, les arts doivent être intégrés dans l’ensemble du système d’éducation.»

«Selon le sociologue Marcel Rioux, l’éducation artistique contribue à la formation d’un être humain complet, créateur de valeurs esthétiques, culturelles et morales. Ces préoccupations rejoignent nos débats actuels sur la nature et les finalités de l’éducation.»

Claude Corbo,

Ancien recteur de l’UQAM

Des retombées concrètes

Le rapport Rioux distingue l’éducation artistique, qui doit être présente du préscolaire à l’université, et celle à caractère professionnel, visant à former une relève de créateurs et d’artistes. «. Les cégeps ont pris la relève des anciens instituts d’arts graphiques et appliqués et ont développé deux types de formation en arts: l’une pré-universitaire et l’autre professionnelle», dit l’ancien recteur. L’intégration des arts dans les établissements universitaires constitue une autre grande réussite. «L’université contemporaine reconnaissait ainsi la création comme une activité toute aussi légitime et nécessaire que la recherche», souligne Claude Corbo.

«Dans le programme de formation de l’école québécoise, le domaine des arts, qui inclut les arts visuels, la musique, l’art dramatique et la danse, est maintenant reconnu comme étant aussi fondamental que l’enseignement des langues et des sciences, remarque Vincent Bouchard-Valentine. La formation de spécialistes en arts à l’université est une autre retombée concrète du rapport Rioux. Enfin, nous nous sommes inspirés du rapport pour forger un modèle de formation d’enseignants en arts qui fait l’envie à travers le monde.»

Quel héritage?

Que reste-t-il du rapport Rioux aujourd’hui? «Il y a cette idée que tous les enfants et adolescents doivent être sensibilisés à ce que Marcel Rioux appelait l’expérience esthétique, répond Claude Corbo. Selon le sociologue, l’éducation artistique contribue à la formation d’un être humain complet, créateur de valeurs esthétiques, culturelles et morales. Ces préoccupations rejoignent nos débats actuels sur la nature et les finalités de l’éducation. C’est ce qui fait l’actualité du rapport Rioux.»

Le rapport préconisait l’enseignement des quatre disciplines artistiques de base dès le primaire, rappelle Vincent Bouchard-Valentine. «Sur le terrain, toutefois, la formation artistique, bien qu’obligatoire, demeure soumise  aux décisions des conseils d’établissements scolaires, lesquels peuvent déterminer les disciplines artistiques qui seront enseignées et celles qui ne le seront pas. On sait aussi qu’aucune école n’est obligée d’embaucher un spécialiste en enseignement des arts, alors que des universités, comme l’UQAM, forment des enseignants dans ces domaines. Cela signifie, par exemple, qu’un titulaire de classe peut enseigner les arts plastiques ou l’art dramatique.»

La pensée qui anime le rapport Rioux peut contribuer à nourrir nos réflexions sur la place des arts dans la vie des individus et de la société, insiste le professeur. «Ce 50e anniversaire nous offre la possibilité de jeter un regard critique sur la situation actuelle des arts au Québec et d’identifier, à l’heure des nouvelles technologies, d’une industrialisation accrue de la culture et de la mondialisation des marchés, ce que Marcel Rioux appelait les “possibles”.»