Depuis une dizaine d’années, on constate l’abondance de l’offre culturelle sur Internet, en particulier pour la musique et l’audiovisuel. Les milieux culturels québécois perçoivent toutefois un déséquilibre entre les contenus locaux disponibles et les contenus étrangers qui dominent les catalogues des plateformes numériques les plus populaires, telles que Spotify, iTunes/AppleMusic, Netflix, Youtube et Google Play Music.
«On peut tout trouver sur les plateformes numériques transnationales, mais sont-elles aussi diversifiées qu’on le prétend? Les productions musicales et audiovisuelles québécoises et canadiennes y rayonnent-elles?», demande la professeure du Département de science politique Michèle Rioux, directrice du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM). Le hic est qu’il n’existe pas de portrait global des flux culturels sur ces plateformes et qu’aucun outil ne permet de mesurer la disponibilité des contenus canadiens.
C’est pour combler ces lacunes que le Laboratoire de recherche sur la découvrabilité et les transformations des industries culturelles à l’ère du commerce électronique (LATICCE) a été lancé en février dernier. Rattaché au CEIM et codirigé par Michèle Rioux et Jean-Robert Bisaillon, président de MetaD.media, le LATICCE vise à établir un indice de découvrabilité. Cet indice servira à mesurer la qualité de l’offre en contexte numérique. La découvrabilité renvoie au potentiel pour un contenu, un produit ou un service de capter l’attention des internautes.
«Les plateformes et leurs utilisateurs recommandent, jugent et accordent des notes par l’entremise de palmarès, contribuant ainsi à une forme de hiérarchisation des œuvres culturelles. On peut résumer le tout par la formule suivante: P (présence) + V (visibilité) + R (recommandations) = D (découvrabilité).»
Michèle Rioux,
Professeure au Département de science politique
Le laboratoire regroupe plus de 30 chercheurs – politologues, économistes, juristes, informaticiens, statisticiens – ainsi que des partenaires du milieu des arts et de la culture. Pour mener à bien ses travaux, il a obtenu 225 000 dollars pour les trois prochaines années dans le cadre du Programme d’action concertée du Fonds de recherche du Québec – Société et culture et du ministère de la Culture et des Communications du Québec.
Absence de données
On dit que près de 80 % de la musique, des films et des jeux que les Québécois achètent sur le Web proviennent d’une plateforme étrangère. Mais quels sont précisément les produits consommés et sur quelle plateforme? On ne sait pas. «En 2016, on trouvait une chanson québécoise sur 100 et quatre albums québécois sur 100 dans les top listes d’Apple, observe Michèle Rioux. Chose certaine, tout le monde constate la faiblesse des données statistiques disponibles concernant les impacts du numérique sur l’offre culturelle, d’où la nécessité de se doter d’un indice de découvrabilité.»
Le LATICCE cherchera d’abord à mesurer la présence des produits musicaux et audiovisuels québécois et canadiens mis en ligne sur les plateformes. «Puis, nous déterminerons leur visibilité, notamment sur les pages d’accueil des plateformes et dans les listes de leurs catalogues, note la professeure. Nous examinerons également si ces produits font l’objet de recommandations, car les plateformes et leurs utilisateurs recommandent, jugent et accordent des notes par l’entremise de palmarès, contribuant ainsi à une forme de hiérarchisation des œuvres culturelles. On peut résumer le tout par la formule suivante: P (présence) + V (visibilité) + R (recommandations) = D (découvrabilité).»
Les plateformes des géants du Web ne sont pas neutres, poursuit Michèle Rioux. «Il existe des biais et des barrières à la découvrabilité des productions, d’ici et d’ailleurs, dit-elle. Ces plateformes sont équipées d’algorithmes dont les logiques prescrivent une configuration particulière de l’offre culturelle mondiale, rendant certains contenus plus visibles que d’autres et influençant notre manière d’accéder aux produits et de les consommer.»
«Ce qui est en jeu, fondamentalement, c’est la pérennité des contenus culturels québécois et canadiens sur les plateformes numériques.»
Inventer la souveraineté numérique
Les transformations des pratiques d’écoute et de visionnement de contenus culturels en ligne exigent de comprendre le fonctionnement des nouvelles plateformes de diffusion. «Il faut adapter les modèles d’affaires et la façon dont on finance la culture à ces nouvelles réalités, soutient la chercheuse. Sans verser dans le protectionnisme à tous crins, nous sommes à l’heure d’inventer la souveraineté numérique afin de nous assurer que tout le monde ait sa place dans le cyberespace, lequel est contrôlé présentement par quelques grandes entreprises privées américaines. Ce qui est en jeu, fondamentalement, c’est la pérennité des contenus culturels québécois et canadiens sur les plateformes numériques.»
Au cours de la prochaine année, le LATICCE développera une banque de données spécialisées, qui sera disponible pour les acteurs des industries culturelles – créateurs, producteurs et diffuseurs – et pour les décideurs politiques. «Nous sommes en train de consolider nos méthodes d’enquête et de valider nos outils méthodologiques, dit la chercheuse. L’indice de découvrabilité permettra aux acteurs du milieu et aux décideurs de mieux comprendre les impacts du numérique sur les interactions entre l’offre culturelle locale et l’offre globale, et de mieux orienter leurs stratégies et leurs politiques. Nous voulons mettre les résultats de nos analyses au service de la promotion de la diversité des expressions culturelles.»
Le LATICCE a noué des partenariats avec plusieurs organismes culturels, dont l’ADISQ, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN), la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), l’Association des professionnels de l’édition musicale (APEM), l’Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ), l’Institut de la statistique du Québec et MetaD.media.