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Servir l’intérêt public

Jean Royer, lauréat 2018 du prix Reconnaissance pour la Faculté de science politique et de droit, mène une carrière marquée par l’engagement et la loyauté.

Par Jean-François Ducharme

1 mai 2018 à 16 h 05

Mis à jour le 7 juin 2022 à 10 h 40

Série Prix Reconnaissance UQAM 2018

Sept diplômés de l’UQAM seront honorés à l’occasion de la Soirée Reconnaissance 2018 pour leur cheminement exemplaire et leur engagement. Ce texte est le deuxième d’une série de sept articles présentant les lauréats.

Jean Royer, lauréat du prix Reconnaissance pour la Faculté de science politique et de droit.Photo: Nathalie St-Pierre

Des rencontres déterminantes influencent parfois un parcours professionnel. Dans le cas de Jean Royer (B.A. science politique, 1981), lauréat 2018 du prix Reconnaissance pour la Faculté de science politique et de droit, ce phénomène s’est produit à trois reprises! «J’ai été chanceux d’avoir eu accès à des gens hors du commun tout au long de ma carrière», dit-il avec humilité.

Dès son plus jeune âge, Jean Royer s’intéresse à la politique. «Deux choses m’interpellaient: faire du Québec un pays, et comprendre le fonctionnement de l’État et du gouvernement.» Militant pour le Parti Québécois lors des élections de 1976, le jeune homme rencontre alors la première personne qui marquera son parcours: Jacques Parizeau, nouvellement élu député de la circonscription de l’Assomption. «Quand il m’a remarqué, je lui ai dit que j’étudiais en science politique à l’université. Il m’a invité à le rencontrer à son bureau de comté tous les lundis. Il corrigeait mes fautes d’orthographe, puis on discutait politique. J’ai appris à connaître un homme d’une grande générosité.»

Lieu en ébullition

À l’époque où le diplômé étudie en science politique à l’UQAM, à la fin des années 1970, la société québécoise est marquée par d’intenses débats et de fréquents conflits de travail. «L’UQAM était un lieu en ébullition, qui représentait parfaitement les grands courants de la société, raconte-t-il. Les débats qui agitaient le Québec se déroulaient aussi entre les murs de l’université. Il y avait un grand sentiment d’espoir de changement, et moins de cynisme qu’aujourd’hui.» 

À la fin de son baccalauréat, en 1981, Jean Royer revoit Jacques Parizeau qui lui propose deux avenues: étudier en administration publique à l’Université de Syracuse, ou travailler avec lui au ministère des Finances. Le jeune diplômé choisit de suivre son mentor. «Monsieur Parizeau m’a appris à avoir du respect pour nos institutions et de l’admiration pour les personnes qui servent l’intérêt public. Il m’a appris à ne pas avoir honte d’avoir confiance en soi et à ne jamais être impressionné par le pouvoir de l’argent.»

Durant ses années aux côtés de Jacques Parizeau, en tant que secrétaire particulier, conseiller spécial ou chef de cabinet, Jean Royer s’est fait un devoir de vivre dans la discrétion et d’afficher une loyauté sans borne au politicien. «Mon rôle consistait à faire avancer ses idées, pas les miennes, dit-il. Être chef de cabinet est un métier exigeant. J’étais le dernier rempart avant le chef; quand il y avait une situation difficile, comme la fermeture d’une usine, c’est moi qu’on appelait.»

Référendum de 1995

Le 30 octobre 1995 demeure une date marquante dans la vie de Jean Royer. Durant la soirée référendaire, le chef de cabinet suit les résultats à la télévision en compagnie du premier ministre et de sa garde rapprochée. «Après la première demi-heure, j’ai dit à Jacques Parizeau que les résultats étaient légèrement supérieurs à nos prévisions et que c’était de bon augure. Je l’ai senti comme sur un navire, naviguant vers le pays qu’il pouvait voir et sentir.»

Mais plus la soirée avançait, plus il devenait clair que l’option du Oui ne gagnerait pas. «Jacques Parizeau était incrédule et préférait attendre la confirmation des réseaux de télévision. Puis, il prend conscience que son rêve ne se réalisera pas, assumant personnellement la responsabilité de la défaite.»

Avant que son chef ne monte sur le podium, Jean Royer quitte la salle, confiant que le premier ministre lira les notes rédigées par son proche conseiller, Jean-François Lisée. Mais Jacques Parizeau fera plutôt sa célèbre déclaration sur «l’argent et le vote ethnique», qui hante encore le mouvement souverainiste deux décennies plus tard. «Je regrette de ne pas être resté avec lui jusqu’au bout. Si j’avais su qu’il était encore en colère, je l’aurais accompagné jusqu’au podium et lui aurais suggéré fortement de lire le document préparé à son intention.»

Transformer Loto-Québec

Jean Royer quitte la vie politique peu après la démission de Jacques Parizeau, au lendemain du référendum, et entreprend une deuxième carrière qui sera influencée par une autre personne marquante, Michel Crète. Celui que le diplômé a rencontré alors qu’il était secrétaire général au Conseil du trésor, dans les années 1980, a été nommé président de Loto-Québec en 1991. Jean Royer a lui aussi des affinités avec la société d’État, ayant travaillé brièvement comme chargé de projet au milieu des années 1980. «Michel m’a souvent répété que quand je serais tanné de la politique, je pourrais revenir à la maison et l’aider à développer Loto-Québec.»

Durant près de 20 ans, Jean Royer sera successivement vice-président, recherche et développement, président de la Société des casinos, premier vice-président commercial et chef de l’exploitation. «Quand je suis arrivé, en 1996, Loto-Québec comptait 500 employés. À mon départ, en 2014, il y en avait 6000.» Même s’il œuvre toujours dans l’ombre de son patron – comme il l’avait fait avec Jacques Parizeau –, le diplômé contribue à la transformation de la société d’État. «D’entreprise qui opérait des loteries, Loto-Québec est devenue une organisation reconnue internationalement pour son expertise en casinos, loteries, loteries vidéo et recherche et développement.»

Jean Royer continuera d’occuper le même rôle sous Alain Cousineau, qui succédera à Michel Crête en 2003. «Alain et moi avons imaginé le déménagement du Casino, avec le Cirque du Soleil, dans un complexe de divertissement sur le site du bassin Peel, se rappelle le diplômé. Le fait que le projet ait avorté fut une grande déception. Moi, je suis un marin, j’aime la navigation et les dangers du large. Je ne suis pas à l’aise au quai.»

Redonner à la vie

Après son départ de Loto-Québec, en 2014, Jean Royer reçoit un appel de son ami Serge Godin, fondateur et président exécutif du Groupe CGI,  une entreprise de services-conseils en technologie de l’information qui emploie aujourd’hui plus de 72 000 personnes dans une quarantaine de pays. «Serge m’a demandé si je pouvais m’occuper du patrimoine de sa famille. C’est ce que je fais en tant que vice-président aux opérations de Distinction Capital depuis quatre ans.»

Parallèlement à ses occupations professionnelles, Jean Royer s’est toujours impliqué dans des causes sociales. Il siège, entre autres, aux conseils d’administration de l’Institut de cardiologie de Montréal, de l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie, de la Fondation Francis et Geneviève Melançon – qui vient en aide à des étudiants universitaires en situation financière précaire – et du Musée Pointe-à-Callière. «La vie a été très généreuse envers moi, et j’ai toujours senti l’obligation de redonner. Mais en côtoyant des gens formidables, c’est moi qui reçois et qui apprends. Ma dette envers la vie ne fait qu’augmenter.»

L’UQAM remettra ses prix Reconnaissance lors d’une soirée qui aura lieu le 14 juin prochain au nouvel Édifice Wilder, au cœur du Quartier des spectacles.