
Les nombreux livres de recettes qui caracolent en tête des palmarès et les émissions culinaires qui pullulent à la télévision peuvent laisser croire que les pratiques alimentaires se sont métamorphosées depuis le tournant du siècle. Mais qu’en est-il réellement? «Le contenu de l’assiette des Canadiens a très peu changé depuis le début des années 1990, révèle Francine Rodier, professeure au Département de marketing et membre de l’Observatoire de la consommation responsable (OCR) de l’ESG UQAM. On consomme un peu moins de boissons gazeuses, un peu plus de fruits et à peine plus de légumes. Ce qui a changé et qui se modifie sans cesse, ce sont les préoccupations et les comportements d’achat des consommateurs quant à la provenance de leurs aliments, ainsi que les réseaux de distribution.»
La préoccupation pour l’achat local est l’une des tendances les plus marquées des dernières années, révèle la spécialiste du marketing agroalimentaire, qui a accepté de nous dresser un portrait des tendances dans le domaine. «Plusieurs initiatives ont été mises de l’avant pour mousser la consommation locale au Québec, dont une meilleure identification des produits, rappelle-t-elle. Et cela a fonctionné, puisque 41 % des gens disent consommer fréquemment des produits locaux selon le Baromètre de la consommation responsable 2016 et cette tendance risque de s’accroître au fil des ans.»
Les deux principales raisons qui guident les achats locaux sont les motifs personnels – le plaisir, le bien-être et la santé – ainsi que les motifs altruistes pour la planète – environnement, écologie, sécurité en lien avec les pesticides et les résidus chimiques.

Photo: Émilie Tournevache
Au-delà de l’achat de produits locaux, les chercheurs regroupent également sous l’appellation de produits alimentaires «responsables» les aliments transformés localement ainsi que les aliments biologiques et équitables. «En s’intéressant à ces phénomènes ailleurs dans le monde, on s’aperçoit que les mangeurs ne sont pas au même point. Par exemple, en Italie, on note un engouement pour les aliments biologiques qui a fait diminuer leur coût de 6 % depuis l’an dernier. C’est énorme!», dit la professeure. On n’a pas encore atteint ce stade ici. Selon le Baromètre de l’OCR, un peu plus de la moitié des Québécois ont acheté des produits bio en 2016, mais seulement 16 % indiquent le faire fréquemment.
La chercheuse note également une préoccupation croissante des consommateurs québécois pour des pratiques alimentaires dites «saines», comme les régimes végétarien ou végétalien, de même que pour les aliments sans sucre transformé, sans lactose et sans gluten.
Les boîtes repas
En compagnie de sa collègue Caroline Boivin, de l’Université de Sherbrooke, cofondatrice de l’OCR, Francine Rodier s’est intéressée aux boîtes alimentaires, ces nouveaux services de repas plus ou moins préparés, livrés à domicile ou récupérés en magasin par les consommateurs. On pense aux marques comme Goodfood, MissFresh ou GoFresh. On retrouve aussi des systèmes d’abonnement pour aliments pour bébés ou pour les lunchs des écoliers. De grands chefs, comme Jérôme Ferrer, prépare aussi des boîtes repas. «C’est une tendance qui a débuté il y a environ deux ans au Québec, note la professeure. Aux États-Unis, par exemple, de grandes entreprises font désormais l’acquisition de petits producteurs afin d’améliorer le contenu en aliments frais de leurs boîtes repas. En Suède, les épiceries des grandes bannières offrent leur propre service de boîtes livrées à domicile avec des fiches recettes.»
Qu’est-ce qui distingue ces produits des repas cuisinés congelés disponibles depuis des lustres en épicerie? «Ce sont des plats conçus avec des aliments frais, explique la spécialiste. Nos résultats préliminaires indiquent que les gens qui font appel à ce type de service ont l’impression de manger plus santé. Ils apprécient de suivre les instructions pour cuisiner et de ne pas avoir à se casser la tête pour acheter tous les ingrédients nécessaires à la recette.» Les consommateurs de boîtes repas se disent également heureux de réduire leur gaspillage alimentaire – les portions sont parfaites, soulignent-ils – et de gagner du temps.
Pour l’instant, le taux d’adoption de ces produits, néanmoins jugés coûteux par les utilisateurs, est relativement faible. «Il faut s’attendre à ce que ce marché explose au cours des prochaines années», estime la chercheuse.
Les produits sous-optimaux
Chaque épicerie a désormais son qualificatif pour sa section de fruits et de légumes qui ne sont pas «parfaits»: certains les appellent les moches, les drôles, les surplus ou les hors-la-loi. «Pour l’instant, il n’y a qu’entre 5 % et 8 % des Québécois qui achètent ce type de produits, mais il faut s’attendre à ce que le phénomène prenne de l’ampleur», note Francine Rodier. Elle cite en exemple le site web Matsmart, en Suède, qui vend des surplus et des produits bientôt périmés avec des réductions pouvant aller jusqu’à 80 % du prix régulier. «Pour les consommateurs qui adhèrent à ce type d’offre, le rapport qualité/prix est alléchant et cela réduit le gaspillage alimentaire», précise la professeure.
L’importance de l’éducation alimentaire
En collaboration avec le Service aux collectivités de l’UQAM, Francine Rodier et ses collègues de l’OCR ont mené une étude sur les facteurs influençant la consommation d’aliments sains dans deux déserts alimentaires du quartier Hochelaga-Maisonneuve.
Leur équipe de recherche a visité 512 foyers du quartier. «Même dans ces déserts alimentaires où l’accès à une alimentation saine est limité, la proximité des supermarchés n’est pas le principal facteur favorisant l’achat d’aliments sains comme les fruits et légumes, révèle la professeure. L’éducation alimentaire est plus significative afin d’inciter les gens à diversifier leurs habitudes et à se procurer des fruits et légumes. On pense, par exemple, à des séances d’information où l’on présente des recettes simples ou à des cours de cuisine, mais aussi à des initiatives d’agriculture urbaine qui donnent le goût de consommer des aliments sains.»
Les résultats de cette étude ont été publiés l’an dernier dans le British Food Journal.
Le retour du vrac
Les recherches de l’OCR indiquent également un engouement pour le vrac. «Le suremballage est une préoccupation partagée par de plus en plus de mangeurs qui tentent de réduire leur empreinte écologique», souligne la spécialiste. Les plus convaincus fréquentent les épiceries zéro déchet comme Loco, où l’on apporte ses propres contenants pour effectuer ses achats.
Le web facilitateur
L’achat en ligne semble contre-intuitif en ce qui concerne les aliments, mais la tendance semble pourtant se dessiner, notamment avec Amazon Fresh et les supercentres Walmart. «Pour l’instant, les consommateurs achètent en ligne surtout des produits de soins personnels et des articles ménagers, mais les aliments frais et emballés ne sont pas loin derrière. C’est un phénomène aussi appelé à croître dans les prochaines années.»
Le développement d’applications mobiles permet également à des initiatives inusitées (mais sympathiques) de voir le jour. «En France, la chaîne Intermarché teste depuis cette année dans neuf magasins la livraison collaborative, note Francine Rodier. Votre voisin ou quelqu’un qui habite dans votre quartier vous apporte votre épicerie en même temps que la sienne, afin de rentabiliser les trajets automobiles.»
Ce tour d’horizon démontre que les pratiques alimentaires se transforment constamment au gré des modes, des évolutions technologiques, des cycles économiques et des prises de conscience, individuelles ou sociales. «Bien malin celui qui pourra prédire lesquelles s’implanteront durablement», conclut Francine Rodier.