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Protéger les eaux souterraines

Marie Larocque reçoit plus d’un million pour dresser un portrait de cette ressource dans les Laurentides et la région des Moulins.  

Par Claude Gauvreau

24 septembre 2018 à 14 h 09

Mis à jour le 24 octobre 2018 à 16 h 10

Parce que ses eaux de surface – ruisseaux, rivières, lacs – sont particulièrement abondantes, le Québec a longtemps négligé la connaissance de ses eaux souterraines. «On a fait beaucoup de chemin depuis 10 ans, en particulier depuis la mise en place, en 2009, des premiers projets de recherche financés par le Programme gouvernemental d’acquisition des connaissances sur les eux souterraines», observe Marie Larocque, professeure au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère. Cela dit, il reste encore des régions pour lesquelles on ne dispose pas de données. «L’enjeu est important car les eaux souterraines constituent la source d’alimentation en eau potable de plus de 80 % de la population en région rurale», souligne la chercheuse. 

En avril dernier, Marie Larocque a reçu près de 1,5 million de dollars du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les Changements climatiques (MDDELCC) ainsi que de partenaires régionaux pour coordonner un projet de recherche sur les eaux souterraines dans la région des Laurentides et des Moulins. D’une durée de quatre ans et couvrant une superficie de 11 150 km2, ce projet vise à brosser un portrait des eaux souterraines afin de les protéger et d’en assurer la pérennité, puis à développer des partenariats avec les acteurs régionaux pour favoriser une saine gestion de cette ressource.

«Au moyen d’une synthèse des données existantes et de travaux de terrain, nous chercherons à comprendre la nature des formations géologiques, à quantifier le bilan hydrique des aquifères – soit les formations de roches, de sable, d’argile et de gravier qui contiennent l’eau souterraine – et à déterminer la vulnérabilité de l’eau souterraine», précise la professeure.

L’équipe de recherche bénéficiera de la mise en commun des expertises du Réseau québécois sur les eaux souterraines, basé à l’UQAM depuis 2011, ainsi que des ressources techniques et des protocoles développés au cours des projets financés par le Programme d’acquisition de connaissance des eaux souterraines entre 2009 et 2015. Au cours de cette période, Marie Larocque a coordonné des projets dans trois régions: Bécancour, Nicolet et Bas-St-François ainsi que Vaudreuil-Soulanges.

Partenaires régionaux

Six municipalités régionales de comté (MRC): Antoine-Labelle, Argenteuil, Laurentides, les Moulins, Pays-d’en-Haut et Rivière-du-Nord.

Quatre organismes de bassin versant: l’Organisme de bassin versant de la Rivière-du-Nord (ABRINORD), le Comité du bassin versant de la rivière du Lièvre (COBALI), le Comité des bassins versants des Mille-Îles (COBAMIL) et l’Organisme de bassins versants des rivières Rouge, Petite Nation et Saumon (RPNS). 

Maintenir l’équilibre des écosystèmes

L’eau souterraine est essentielle à l’équilibre des écosystèmes aquatiques, rappelle la chercheuse. «Comme les eaux souterraines sont un maillon du cycle de l’eau, leur écoulement alimente de façon constante le niveau d’eau des rivières, des lacs et des zones humides, particulièrement lors de sécheresses. Si on pompe de l’eau dans un aquifère pour alimenter une municipalité, cela aura un impact sur la nappe phréatique, qui se trouve près de la surface. On doit en tenir compte dans la gestion intégrée de l’eau.»

Par ailleurs, les poissons et autres espèces dépendent des eaux souterraines pour le maintien de leur habitat et de la qualité de l’eau. «Plus froide que l’eau de surface, l’eau souterraine permet de maintenir des zones d’eau fraîche, ce qui est particulièrement important lors des épisodes de grande chaleur comme ceux que l’on a connus cet été, note Marie Larocque. Les poissons peuvent y trouver un refuge, notamment pour se reproduire.»

Les réserves d’eau souterraine servent enfin à irriguer les cultures, à abreuver le bétail et à alimenter des industries. «Dans les régions où les réserves d’eau souterraine sont moins disponibles, les fermiers ont du mal à accroître leur cheptel, dit la professeure. Un autre enjeu concerne la transformation de la production agricole. L’eau souterraine est souvent  la source d’eau la plus proche pour alimenter les usines de transformation.»

Cartographie hydrogéologique

La recherche servira à établir la cartographie hydrogéologique de l’ensemble des territoires des MRC. «Nous voulons caractériser les formations géologiques dans la région des Laurentides afin de savoir si la nappe phréatique se trouve davantage dans le roc fracturé du Bouclier canadien ou dans les vallées et les dépôts sableux qui se sont accumulés», explique Marie Larocque. Son équipe mettra à jour les cartes géologiques existantes et étudiera les modes de circulation de l’eau souterraine et ses interactions avec les eaux de surface et les milieux humides. Une cartographie de la géochimie de l’eau souterraine sera également établie pour déterminer sa qualité.

«L’eau souterraine au Québec est globalement de très bonne qualité, contrairement à l’eau de certains lacs, qui est affectée par la présence de cyanobactéries (algues bleues) ou d’autres types de polluants, observe la chercheuse. En alimentant les eaux de surface, l’eau souterraine contribue à atténuer les effets des contaminants. Par contre, dans les secteurs agricoles, les pesticides et les nitrates pourraient avoir un impact anthropique sur les réserves d’eau souterraine.»

Les chercheurs visiteront entre 300 et 400 forages sur le territoire visé par l’étude, en plus d’effectuer leurs propres prélèvements pour évaluer la qualité de l’eau. «Nous prévoyons faire une dizaine de forages dans la région, dit Marie Larocque. Le MDDELCC pourra les utiliser et intégrer les données dans son réseau de suivis des eaux souterraines du Québec, mis en place à la fin des années 2000.»

Éclairer les décisions

La recherche permettra d’outiller les gestionnaires en données fiables afin qu’ils puissent prendre des décisions éclairées quant à la gestion intégrée de l’eau. «Le transfert des connaissances s’effectuera au fur et à mesure que la recherche se déroulera, mentionne la professeure. Le Réseau québécois sur les eaux souterraines accompagnera les projets de recherche financés par le MDDELCC,  menés dans quatre régions du Québec. Des ateliers y seront organisés pour identifier les besoins des partenaires.»

D’autres retombées sont attendues: production de cartes thématiques, de documents techniques et de documents de vulgarisation, description de la géologie locale et inventaire de la qualité de l’eau. Enfin, des recommandations seront formulées pour assurer la pérennité de l’eau souterraine, en quantité comme en qualité. «Une saine gestion des eaux souterraines passe par la gestion intégrée de l’eau, insiste Marie Larocque. Chaque fois que l’on prend une décision liée à l’eau, on doit se demander quel sera l’impact sur les eaux de surface, mais aussi sur la nappe phréatique et les milieux humides en général.»

La recherche nécessitera la collaboration des résidents de la zone d’étude pendant les travaux de terrain, qui seront réalisés à l’été 2019. «Les résidents sont en faveur de ce type de recherche, dit la professeure. Ils sont motivés à rendre leurs puits accessibles pour la mesure du niveau de l’eau et l’échantillonnage d’eau souterraine.»