
Plusieurs espèces d’oiseaux champêtres nichant traditionnellement dans les milieux agricoles, tels que l’hirondelle rustique, le goglu ou le bruant des prés, sont en déclin au Québec, tandis que des espèces d’oiseaux forestiers comme la sittelle à poitrine blanche, le pic chevelu et le pic maculé voient leurs populations augmenter. C’est le constat qui ressort d’une étude portant sur les changements de répartition géographique des oiseaux nicheurs du Québec, dont les résultats sont publiés ce mois-ci dans Ecological Applications. «Il s’agit d’un vaste projet de science citoyenne et d’une belle collaboration, à la fois locale et internationale, entre plusieurs chercheurs», affirme Pierre Drapeau, professeur au Département des sciences biologiques et codirecteur du Centre d’étude de la forêt (CEF).
Ce projet de science citoyenne, c’est le deuxième Atlas des oiseaux nicheurs du Québec, issu des travaux du Service canadien de la faune d’Environnement et Changement climatique Canada, et du Regroupement Québec Oiseaux. «Entre 2010 et 2014, plus de 2000 ornithologues amateurs ont participé à la récolte de données sur le territoire québécois, précise Pierre Drapeau. Il s’agissait du deuxième inventaire de la sorte réalisé au Québec, un premier atlas ayant été publié en 1995 après une campagne de terrain effectuée entre 1984 et 1989.»
L’objectif du projet de recherche mené par le CEF était de comparer les données des deux atlas, lesquelles permettent d’analyser l’évolution de la répartition de près de 200 espèces d’oiseaux à 30 ans d’intervalle. «Pour ce faire, nous avons importé des méthodes d’analyse spatiale et d’analyse de données d’atlas développées par des collègues catalans, avec lesquels nous avons multiplié les contacts et les échanges au cours des dernières années», révèle Pierre Drapeau. Le premier signataire de l’article publié dans Ecological Applications, Adrían Regos, est d’ailleurs un stagiaire postdoctoral de l’Université de Santiago de Compostela, en Espagne, que le CEF et le laboratoire de recherche de Pierre Drapeau ont accueilli pour le projet.
Outre Adrían Regos et Pierre Drapeau, on retrouve parmi les auteurs de l’article le professeur Louis Imbeau, de l’UQAT, l’agente de recherche et spécialiste en géomatique Mélanie Desrochers (Département des sciences biologiques), le professeur associé Alain Leduc (sciences biologiques), Michel Robert et Benoît Jobin, du Service canadien de la faune, et Lluís Brotons, chercheur au Centre des sciences de la forêt de la Catalogne, un écologiste qui a été à l’avant-garde de l’utilisation des données d’atlas dans ce type d’analyse spatio-temporelle.
Un outil précieux
Les premiers atlas d’oiseaux ont été réalisés en Grande-Bretagne et en Irlande à la fin des années 1970, nous apprend Pierre Drapeau. En Amérique du Nord, le Vermont (1985) et l’Ontario (1987) ont été les premiers à publier un atlas de leurs oiseaux nicheurs.
Dans le cadre de la collecte effectuée entre 2010 et 2014, les ornithologues québécois ont été invités à couvrir des blocs de territoire – appelés «carrés d’atlas» – d’une superficie de 100 kilomètres carrés. «Ils devaient confirmer le statut de reproduction et déterminer si l’oiseau est un nicheur possible, probable ou confirmé sur le territoire en question. Cela s’effectue en observant le comportement des oiseaux adultes, en découvrant un nid ou en observant le transport de matériel de nidification par des adultes, ou encore la présence d’oisillons ou de jeunes individus», explique Pierre Drapeau.
«Grâce au travail des ornithologues amateurs, nous avons accès à une base de données couvrant un territoire qu’il nous est autrement impossible de couvrir dans sa totalité, c’est-à-dire l’ensemble du Québec méridional, de la frontière américaine jusqu’à la limite nordique d’exploitation commerciale de la forêt boréale. En comparaison, j’ai peut-être couvert 5 % du territoire québécois en 20 ans de recherches!»
Pierre Drapeau
Professeur au Département des sciences biologiques
Les atlas, poursuit le professeur, constituent des outils précieux pour jauger la répartition et la fluctuation des espèces d’oiseaux sur un territoire donné. «Grâce au travail des ornithologues amateurs, nous avons accès à une base de données couvrant un territoire qu’il nous est autrement impossible de couvrir dans sa totalité, c’est-à-dire l’ensemble du Québec méridional, de la frontière américaine jusqu’à la limite nordique d’exploitation commerciale de la forêt boréale. En comparaison, j’ai peut-être couvert 5 % du territoire québécois en 20 ans de recherches!», dit-il en riant. Une fois que les chercheurs notent un déclin ou une augmentation de certaines espèces, ils peuvent ensuite élaborer des études plus détaillées afin de cerner les facteurs expliquant ces changements, ajoute-t-il.
Terres agricoles et couvert forestier
Le professeur Drapeau a déjà quelques pistes d’explication concernant le déclin des oiseaux champêtres et l’augmentation des populations d’oiseaux forestiers. Les premiers sont très affectés par les changements de pratiques agricoles, note-t-il. «Au cours des 30 dernières années, les terres situées dans la portion sud de la vallée du Saint-Laurent sont passées d’une agriculture de plantes pérennes dédiée aux pâturages et aux cultures fourragères non labourées annuellement qui procurent un couvert végétal au sol lors de l’arrivée des oiseaux au printemps, à une agriculture de plantes annuelles telles le maïs, le soja ou le colza qui nécessitent un labour laissant généralement un sol dénudé au printemps. Ces cultures ont transformé profondément ces milieux et ont contribué au déclin des insectes, et par ricochet au déclin de nombreuses espèces d’oiseaux champêtres insectivores.»
La hausse des oiseaux forestiers observée dans la forêt tempérée du sud du Québec serait attribuable à la maturation du couvert forestier et à la déprise agricole. «Plusieurs terres agricoles abandonnées sont passées du stade de jeunes forêts au stade de forêts matures entre les deux inventaires, notamment dans les piémonts des Laurentides, des Adirondacks et des Appalaches, explique Pierre Drapeau. En reprenant ses droits, la forêt offre un habitat aux oiseaux forestiers.» La hausse marquée des sittelles, des pics et plus particulièrement du grand pic, entre la collecte de données de 1984 et celle de 2014, illustre bien la maturation du couvert forestier dans le sud du Québec.
Pierre Drapeau et ses collègues ont signé un chapitre sur ce sujet dans le nouvel Atlas des oiseaux nicheurs du Québec, qui devrait paraître en version papier au printemps prochain. «Il porte sur les changements du couvert forestier de la forêt boréale au cours des 30 dernières années, précise le professeur. Nous avons noté une baisse importante du couvert forestier dans le nord du Québec, en raison de récoltes intensives, mais une hausse du couvert dans certains piémonts au sud.»
Une meilleure recension
Selon Pierre Drapeau, il faut se garder de tirer des conclusions définitives sur la hausse ou le déclin des espèces d’oiseaux, car la deuxième collecte, entre 2010 et 2014, était beaucoup plus exhaustive que la précédente. «Le développement du réseau routier pour la foresterie a permis aux ornithologues de mieux recenser les espèces boréales lors du deuxième inventaire, note le chercheur. La recension se rend désormais jusqu’au réservoir Manicouagan et ce n’est pas terminé, car les travaux se poursuivent dans le Grand Nord.»
Le site de l’Atlas des oiseaux nicheurs du Québec propose un outil interactif intéressant: on peut choisir une espèce et comparer sa distribution sur les cartes de 1984 et de 2014. Le cas de l’urubu à tête rouge illustre bien le développement du réseau routier québécois. «C’est un oiseau charognard, qui se nourrit des carcasses d’animaux que l’on retrouve sur les routes, précise Pierre Drapeau. Il est apparu au Québec au début des années 1980 et on voit bien, entre le premier et le deuxième atlas, que sa distribution – et sa croissance – suit celle du développement du réseau routier québécois!»
Un autre facteur a contribué au caractère plus exhaustif du deuxième atlas, note Pierre Drapeau. En effet, on a introduit une méthode supplémentaire d’inventaire: les points d’écoute. On a demandé aux ornithologues les plus aguerris de prendre cinq minutes, à des endroits préétablis, pour écouter les chants d’oiseaux. Il y avait environ 15 à 30 points par carré d’atlas, pour un total de plus de 30 000 points sur l’ensemble du territoire. «Cela a permis d’identifier beaucoup plus d’espèces que par la simple observation visuelle. Et ce sont des données que nous utiliserons pour procéder à d’autres analyses au cours des prochaines années», conclut le chercheur.