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Pour des cultures durables

Marc Lucotte mène un projet visant à réduire l’utilisation massive des controversés herbicides à base de glyphosate.

Par Marie-Claude Bourdon

12 octobre 2018 à 14 h 10

Mis à jour le 16 octobre 2018 à 16 h 10

La communauté scientifique commence à se questionner sur la réelle efficacité des cultures à base de glyphosate. Photo: Getty images

Le glyphosate a mauvaise presse. Même si les dangers liés à son utilisation continuent de diviser la communauté scientifique, un premier verdict est tombé en août dernier contre son fabricant Monsanto.  Un tribunal californien a condamné la firme (rachetée quelques mois plus tôt par l’allemande Bayer) à verser une compensation de près de 290 millions de dollars à un jardinier se disant victime d’un cancer causé par le puissant herbicide. Aux États-Unis et ailleurs, des milliers d’affaires semblables impliquent le glyphosate. Pourtant, son utilisation massive se poursuit. Au Québec, en 2016, près d’un million d’hectares ont été aspergés, soit 84% du maïs et 65% du soja cultivés dans la province. L’utilisation de l’herbicide serait même en légère augmentation.

Comment expliquer un tel attrait du produit malgré sa potentielle dangerosité? «Son faible coût pour les agriculteurs, son efficacité et sa facilité d’utilisation», explique Marc Lucotte, professeur au Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère et titulaire de la Chaire de recherche sur la transition vers la durabilité des grandes cultures. Les herbicides à base de glyphosate (HBG), comme le Roundup de Monsanto, tuent toutes les plantes, sauf celles qui sont modifiées génétiquement pour leur résister. Les mauvaises herbes sont ainsi anéanties, laissant aux plantes qu’on veut cultiver (maïs, soja, canola…) tout l’espace voulu pour prospérer. «On peut être d’accord ou non, mais, en termes de génie génétique, c’est très fort», note le professeur.

Une efficacité questionnée

La communauté scientifique commence toutefois à se questionner sur la réelle efficacité de ce type de culture et c’est dans ce contexte que Marc Lucotte a entrepris, en collaboration avec le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), le projet MYFROG (Maintaining high yields in Quebec field crops while reconsidering the option of using glyphosate). Le projet vise à développer des alternatives à l’utilisation du glyphosate tout en maintenant de hauts rendements pour les agriculteurs. «À peine 2% des producteurs agricoles du Québec sont bio, dit Marc Lucotte. Si on veut réduire l’utilisation des produits chimiques, il faut travailler avec les autres. La participation du MAPAQ est intéressante parce que le ministère reconnaît qu’il faut sortir de la dépendance au glyphosate.»

Si l’efficacité redoutable du glyphosate est aujourd’hui remise en question, c’est, entre autres, parce que de nombreuses mauvaises herbes sont maintenant résistantes aux HBG. Au Brésil, l’amarante de Palmer, une grande plante dont la croissance dépasse celle du maïs, constitue un réel problème. En 2017, 17 espèces résistantes ont été recensées aux États-Unis et 5 au Canada. Pour contrer ces nouvelles plantes résistantes, le glyphosate ne suffit plus et il faut ajouter d’autres herbicides, encore plus puissants et plus toxiques. «Au Québec, on vend maintenant des cocktails d’herbicides dont la toxicité est beaucoup plus grande que celle du glyphosate seul et qui augmentent les coûts des agriculteurs», dit Marc Lucotte.

En plus du débat qui continue de faire rage sur la toxicité humaine du produit («on retrouve dans la littérature scientifique tout le spectre des positions: de ceux qui affirment que l’herbicide cause le cancer à ceux qui prétendent qu’il n’est pas toxique du tout», précise le chercheur), un autre facteur, de nature environnementale, milite contre son utilisation. «Le glyphosate est biodégradable, dit Marc Lucotte, mais l’un de ses produits de dégradation, l’AMPA [acide aminométhylphosphonique], est beaucoup plus stable et s’accumule dans les sols d’année en année.» Or, les plantes génétiquement modifiées pour résister au glyphosate ne sont pas résistantes à l’AMPA. Ce sous-produit a, par ailleurs, des effets sur la composition microbienne des sols qui peuvent nuire sérieusement à la productivité des cultures.

«En ce qui a trait aux risques de l’AMPA pour la santé humaine ou animale, on est dans le noir, note le professeur. En effet, les compagnies de fabrication de produits chimiques ne sont tenues de mesurer que la toxicité du produit original, et non des sous-produits. Donc, il se peut qu’on ait un autre problème lié à l’AMPA.» Selon des analyses effectuées en 2016 par l’Agence canadienne d’inspection des aliments, on trouve des traces de glyphosate dans la plupart des produits que nous consommons. Mais la présence d’AMPA n’a pas été étudiée.

Des partenaires du milieu

Pour lancer le projet MYFROG, Marc Lucotte a obtenu 658 829 dollars du  Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) dans le cadre du concours 2017 de subventions de partenariat stratégique. À l’UQAM, deux collègues l’épaulent dans ses travaux: Charles Séguin, du Département des sciences économiques, qui travaille sur le rendement des cultures, et David Widory, du Département des sciences de la Terre et de l’atmosphère, qui s’intéresse à la géochimie isotopique et au traçage du glyphosate et de l’AMPA.

Le projet compte aussi des partenaires dans le milieu agricole. «Dès le départ, nous avons voulu nous mettre dans la peau du producteur, affirme le chercheur. Nous n’avons pas une attitude dénonciatrice, mais une volonté de collaboration.»

L’approche de Marc Lucotte est pragmatique.  «Nous regardons les rendements par hectare, mais aussi les coûts pour obtenir ces rendements. Si les rendements sont équivalents ou même légèrement plus faibles, mais que les coûts des pesticides ont diminué, le producteur, globalement, fait plus d’argent.» Les effets à moyen et à long terme sur la fertilité des sols sont également pris en compte. «Cela est d’une importance capitale, affirme le chercheur. Est-ce qu’on est en train de stériliser les sols? Est-ce que les agriculteurs sont obligés d’utiliser toujours plus d’engrais pour produire quelque chose? Ça, ça les intéresse. Surtout que nous avons une solution à tester.»

Un système alternatif prometteur

Un système prometteur de semis direct sur couverture végétale permanente promu par une compagnie partenaire, SCV Agrologie, est ainsi testé dans des champs situés dans deux zones climatiques (Montérégie et Chaudière-Appalaches) et dans des parcelles expérimentales du Centre de recherche sur les grains CEROM, sur la Rive-Sud. «Ce système se fait sans labour du sol, précise Marc Lucotte. En effet, on sait maintenant que le labourage perturbe le sol et détruit la matière organique. Plutôt que de labourer, on sème des plantes de couverture – légumineuses, luzerne, avoine, etc. – qui vont occuper tout l’espace des mauvaises herbes.»

Les plantes de couverture ont un rôle multiple: elles contrôlent le chardon, le laiteron, le pissenlit et toutes les mauvaises herbes qui posent un problème dans les grandes cultures, elles maintiennent les fonctions des sols qu’elles labourent naturellement avec leurs racines, elles augmentent la résistance aux agresseurs naturels et favorisent la productivité des plantes cultivées, tout en permettant de réduire l’utilisation des engrais minéraux. Comme elles ne sont pas résistantes, on les affaiblit au printemps avec des petites doses de glyphosate ou par des solutions mécaniques, le temps que le maïs ou le soja passe au travers et domine.

Selon le professeur, il est impossible, à l’heure actuelle, d’envisager la culture de milliers d’hectares de maïs ou de soja sans produits chimiques. La voie de l’avenir consiste plutôt, selon lui, à proposer aux agriculteurs un système utilisant moins de glyphosate, qui soit à la fois plus durable et plus rentable pour eux. «Les agriculteurs sont conscients que leurs méthodes actuelles coûtent de plus en plus cher et que leurs rendements plafonnent. Si on leur démontre, en plus, qu’ils sont en train de stériliser leurs sols avec le glyphosate et qu’on leur offre une alternative, on va les convaincre de changer leurs pratiques.»

Le projet suscite un vif intérêt de la part de ses partenaires agricoles, affirme le chercheur. «Les agriculteurs n’aiment pas se sentir comme de simples techniciens qui appliquent des produits chimiques selon les instructions du fabricant, dit Marc Lucotte. Ils sont fiers de contrôler ce qui se passe dans leurs champs en utilisant moins de produits chimiques et ils retrouvent le plaisir de travailler la terre.»