
Les conditions de logement ne font pas partie des enjeux de la campagne électorale au Québec et n’apparaissent pas sur les écrans-radars des médias. Pourtant, les besoins de la population dans ce domaine sont nombreux et urgents. «Selon les données du recensement 2016 de Statistique Canada, plus de 244 000 ménages locataires au Québec vivent dans des logements trop chers, trop petits ou en mauvais état», lance Émilie Joly (M.A. science politique, 2013), organisatrice au Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU). «Les familles pauvres, les femmes monoparentales, les personnes âgées et en situation de handicap, les nouveaux arrivants et les Autochtones figurent parmi les groupes les plus à risque d’être mal logés», observe la diplômée.
Afin d’interpeller les candidats des partis politiques et les différents paliers de gouvernements, le FRAPRU organise une marche de 550 kilomètres entre Ottawa et Québec qui a débuté le 2 septembre et qui se terminera devant l’Assemblée nationale, à Québec, le 29 septembre prochain. Appuyée par 500 organisations communautaires et syndicales, la marche rallie des centaines de Québécoises et de Québécois sous la bannière «De villes en villages pour le droit au logement».
Selon la plupart des organismes qui interviennent sur ce front, la situation du logement s’est détériorée au Québec depuis 20 ans. Entre 2005 et 2015, par exemple, les prix des loyers ont augmenté (27 %) beaucoup plus rapidement que les revenus (8,9 %). «Aujourd’hui, un ménage locataire sur trois doit consacrer plus de 30 % de ses revenus à se loger, au détriment d’autres besoins essentiels, comme se nourrir, se vêtir, se soigner et s’instruire», note Stéphan Corriveau (M.A. sciences juridiques, 2008; M.A. science politique, 2015 ), directeur général du Réseau québécois des OSBL d’habitation.
Éclairer les besoins
L’artiste et doctorante en études et pratiques des arts Claude Majeau (M.A. arts visuels et médiatiques, 2016) a conçu neuf grandes lanternes qui seront déposées, la nuit venue, dans différentes villes du Québec par les participants à la marche pour le droit au logement organisée par le FRAPRU. Ornées de dessins et de mots, les lanternes visent à illustrer la dure réalité des personnes mal logées autrement que par des statistiques. «Les lanternes rappellent que les gens vivent quotidiennement dans des conditions exécrables, mais qu’ils connaissent les solutions à leurs problèmes», souligne Claude Majeau. Ce projet fait l’objet de sa recherche doctorale. Un premier dépôt de lanterne a eu lieu le 1er septembre dernier devant le Parlement canadien.
Pour le professeur du Département des sciences juridiques Martin Gallié, membre du Collectif de recherche et d’action sur l’habitat (CRACH), le droit au logement fait l’objet d’un véritable déni. En 1976, rappelle-t-il, le Canada et le Québec ont adhéré au pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, incluant le droit au logement. «Depuis, tous les gouvernements qui se sont succédé à Ottawa et à Québec ont refusé de l’inscrire dans les chartes, malgré les demandes répétées des organismes de défense des droits de la personne et en dépit d’importantes luttes juridiques menées en Colombie-Britannique et en Ontario. Certes, la reconnaissance du droit au logement ne garantirait pas automatiquement un nombre suffisant de logements abordables, mais elle constituerait une avancée sur les plans politique et symbolique.»
Condoïsation de Montréal
Selon Hélène Bélanger (B.Sc. urbanisme, 98), professeure au Département d’études urbaines et touristiques et membre du CRACH, l’intense activité immobilière et la condoïsation de Montréal – par la construction et la conversion de logements locatifs en copropriétés – ont favorisé la hausse des prix de l’habitation et réduit l’accessibilité à des logements abordables, fragilisant ainsi le droit au logement. «Entre 2005 et 2015, plus de 60 000 condos ont été érigés dans la métropole, contre 10 000 logements sociaux», souligne la professeure.
La croissance de l’investissement dans le secteur des appartements en condominium s’explique, entre autres, par le processus de financiarisation du marché de l’habitation, poursuit Hélène Bélanger. «Si le logement est depuis longtemps un objet de commerce et de profit, il est désormais, sous l’effet de ce processus, une source d’accumulation et de spéculation financières pour les banques et les fonds d’investissement, qui interviennent massivement dans ce secteur.» Les administrations municipales dans les grands centres participent aussi, indirectement, à ce processus. «Le développement résidentiel axé sur la copropriété contribue à l’augmentation générale des valeurs foncières et, donc, à l’augmentation des revenus des municipalités. Au Québec, la taxe foncière représentait, en 2013, entre 80 % et 85 % de leurs revenus.»
La plateforme de location en ligne Airbnb a également un impact sur l’accessibilité au logement. Plus de 3 000 appartements situés dans les quartiers centraux de Montréal sont actuellement offerts en location sur la plateforme et, de ce nombre, environ 1 200 sont désormais exclus du marché locatif. «Loin d’être marginal, le phénomène est appelé à prendre de l’ampleur si des mécanismes ne sont pas mis en place pour encadrer ce marché, dit Hélène Bélanger. À Barcelone, où les vieux quartiers envahis par les touristes se sont vidés de leur population, on a empêché toute émission de nouveaux permis à Airbnb.»
Qu’est-ce que le logement social ?
– Un logement social est un logement à but non lucratif, dont le prix du loyer est établi en fonction des revenus de ses occupants et non du marché. Il est destiné aux personnes ayant des revenus faibles ou modestes.
– On trouve au Québec trois grands modèles de logement sociaux: les habitations à loyer modique (HLM), les coopératives d’habitation (coops) et les habitations gérées par des organismes sans but lucratif (OSBL d’habitation).
De nouveaux investissements
Après avoir cessé d’investir dans le logement social depuis le début des années 1990, le gouvernement fédéral présentera cet automne un projet de loi pour mettre en œuvre sa Stratégie nationale sur le logement, lancée en novembre 2017. Celle-ci prévoit 40 milliards de dollars sur 10 ans, qui serviraient, notamment, à réparer 240 000 logements communautaires et à en construire 60 000 nouveaux. La stratégie comporte également une allocation aux familles à compter de 2020.
«La majorité des sommes ne seront dépensées qu’après les prochaines élections fédérales, si le parti de Justin Trudeau est réélu, note Émilie Joly. Au lieu de disperser les fonds, le gouvernement devrait accorder la priorité aux ménages à faible revenu en débloquant dès maintenant 11,2 milliards de dollars, afin, entre autres, de relancer la construction de HLM, interrompue depuis 1994. Le Québec a besoin de 50 000 nouveaux logements sociaux sur 5 ans, dont près de la moitié à Montréal.»
Au Québec, l’aide gouvernementale au logement prend deux formes: l’aide à la pierre, pour la construction de logements, et l’aide aux ménages. «Il faut des investissements majeurs dans ce qu’on appelle l’aide à la pierre afin d’assurer la construction pérenne de logements sociaux, soutient Stéphan Corriveau. Il faudrait minimalement construire 5 000 logements sociaux chaque année. Le gouvernement devrait aussi bonifier son programme AccèsLogis et faciliter son utilisation par les développeurs de projets d’habitation communautaire, tels que les OSBL d’habitation.» Ces derniers offrent à des personnes défavorisées des logements stables et décents, dont les loyers sont 15 % moins élevés que ceux sur le marché locatif privé. Plus de 80 % de leurs locataires gagnent moins de 20 000 dollars par an, 63 % sont des femmes et 67,5 % ont 55 ans et plus.
Au cours des cinq dernières années, un peu moins de 10 000 nouveaux logements sociaux ont été construits au Québec, alors que près de 40 000 ménages, dont 24 000 à Montréal, sont inscrits sur une liste d’attente pour emménager dans un HLM, sans compter ceux qui espèrent obtenir un logement dans une coopérative ou un OSBL d’habitation. «Le manque d’investissement dans le logement social n’est pas un problème d’argent, mais de volonté politique, affirme Émilie Joly. Malgré des surplus de 4,4 milliards en 2017, Québec n’a consacré dans son dernier budget que 273 millions de dollars pour construire 3 000 nouveaux logements sociaux, lesquels ne feront que remplacer les unités perdues à cause des politiques d’austérité.»
Le logement en chiffres
– Au Québec, les ménages locataires représentent plus du tiers (38,6 %) de l’ensemble des ménages et plus de la moitié d’entre eux sont constitués de personnes seules, des femmes en majorité.
– Selon un rapport (2015) de la Direction de santé publique de Montréal, 37 % des ménages locataires vivent sous le seuil de faible revenu. La proportion de la population montréalaise à faible revenu s’élève au-dessus de 30 % dans plusieurs arrondissements: Ville-Marie, Côtes-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce, Villeray-Saint-Michel-Parc Extension, Montréal-Nord.
– Le Québec compte environ 153 000 logements sociaux, dont 60 000 à Montréal, qui représentent 11,2 % de l’ensemble du parc de logements locatifs.
– On dénombre quelque 53 000 logements communautaires gérés par des OSBL d’habitation, 1 300 coopératives d’habitation qui offrent plus de 30 000 logements, et un peu plus de 74 000 HLM gérés par les Offices municipaux d’habitation.
– D’après la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), le loyer moyen des condos à Montréal, en 2017, était d’environ 1 181 dollars par mois, soit 18 % de plus que le loyer médian des autres types de logements locatifs.
Sources: Statistique Canada, Société canadienne d’hypothèques et de logement, Direction de santé publique de Montréal, Front d’action populaire en réaménagement urbain.
Problèmes d’insalubrité
L’Organisation mondiale de la santé estime qu’un quart des décès dans le monde sont dus au fait d’avoir vécu ou travaillé dans un environnement insalubre. Une étude récente de la Direction de santé publique de Montréal révèle que près de 30 % des ménages montréalais connaissent au moins un problème d’insalubrité: vermine, moisissures, humidité excessive, chauffage inadéquat, etc.
«Bien qu’il existe un règlement sur l’insalubrité à Montréal, le nombre d’inspecteurs pour le faire appliquer ne sont pas assez nombreux et les amendes ne sont pas suffisamment salées pour les propriétaires négligents», observe Hélène Bélanger. Il est aussi très difficile d’avoir un portrait clair des problèmes d’insalubrité dans les différents arrondissements de Montréal. «Le recensement des logements insalubres est laissé à leur discrétion, indique la professeure. Tous les arrondissements n’évaluent pas la nature des problèmes de la même façon et certains refusent même de divulguer leurs données sur l’insalubrité.» Émilie Joly rappelle que plusieurs municipalités ne disposent pas d’un règlement sur la salubrité. «Le Québec, dit-elle, doit se doter d’un code provincial en cette matière.»
Plusieurs groupes ont dénoncé la priorité accordée par les tribunaux aux demandes d’expulsion de locataires (logées par des propriétaires pour non-paiement ou retards fréquents dans le paiement du loyer), au détriment des causes d’insalubrité. «Les plaintes des locataires pour moisissures, qui touchent 30 % des logements à Montréal, mettent plus de deux ans avant d’être entendues, signale Martin Gallié. Au Nunavik, quelque 10 000 Inuits vivent dans 2 000 HLM insalubres et surpeuplés. Ils reçoivent chaque année entre 500 et 1000 avis d’expulsion.»
Une enquête de la Direction de l’habitation de la ville de Montréal et de la Direction régionale de santé publique de Montréal a levé le voile récemment sur les problèmes d’insalubrité qui sévissent dans plusieurs maisons de chambre privées de la métropole, dont les locataires sont souvent des personnes démunies financièrement ou aux prises avec des handicaps et des problèmes de santé mentale.
«Ces maisons de chambres sont un maillon essentiel de l’offre résidentielle, la dernière solution avant la rue et la première option pour en sortir», observe Stéphan Corriveau. Ce dernier propose de socialiser les maisons de chambres privées en les convertissant en OSBL d’habitation. «Cela favoriserait la stabilité résidentielle et la lutte contre l’itinérance, tout en produisant un effet bénéfique sur la santé publique, dit le diplômé. Des études ont montré qu’il était plus coûteux d’héberger des individus en prison, dans des hôpitaux ou dans des refuges que de leur louer un logement social avec soutien communautaire.»
Avoir accès à un logement abordable et adéquat ne contribue pas seulement à réduire la pauvreté et à améliorer la santé publique, affirme un rapport de la Société d’habitation du Québec publié en 2013. C’est une condition de base à l’épanouissement personnel et social. Le simple fait d’avoir accès à un logement décent dans un HLM, par exemple, incite les gens à travailler et à moins dépendre des revenus de l’État. Le logement social et communautaire favorise aussi le maintien à domicile des personnes âgées en légère perte d’autonomie, des personnes handicapées ou de celles ayant des problèmes de santé mentale. Enfin, les programmes de rénovation et de construction de logements sociaux participent à la revitalisation de certains quartiers et au mieux-être des collectivités et des individus qui les habitent.
Campagne nationale
À l’occasion des élections au Québec, le Réseau québécois des OSBL d’habitation a lancé la campagne «Je choisis le logement communautaire» afin d’alerter la population sur les problèmes de logement. «Nous rencontrerons les candidats des partis politiques et leur présenterons un portrait précis du logement communautaire dans leur comté pour leur faire prendre conscience de l’importance du rôle joué par les OSBL d’habitation», explique Stéphan Corriveau.
La campagne vise aussi à ce que le gouvernement fédéral reconnaisse le droit au logement comme un droit humain fondamental dans le futur projet de loi associé à la Stratégie nationale sur le logement. «Cela permettrait aux gens de réclamer des logements à l’État lorsqu’ils n’y ont pas accès et de demander des indemnités s’ils ne sont pas logés convenablement», précise le diplômé.
«Il est temps d’associer le combat pour la reconnaissance du droit au logement aux luttes populaires et syndicales pour un meilleur partage des richesses et une réduction des inégalités de revenus, comme celle en faveur d’une hausse du salaire minimum», affirme Martin Gallié.