«Vous partez en vacances en famille et vous devez acheter de la crème solaire. Votre budget est de 60 dollars. Faites votre choix parmi les produits proposés.» Les consommateurs fictifs qui arpentent le magasin en ce matin pluvieux jouent bien le jeu. On sent presque leur fébrilité à l’idée de partir sous le soleil tropical. Ils prennent le temps d’observer les produits et de parcourir la liste d’ingrédients de chacun, d’interagir avec les étiquettes numériques et de lire les informations qui surgissent sur l’écran de leur téléphone intelligent. Dans la salle adjacente, des chercheurs observent leurs moindres faits et gestes grâce aux caméras dissimulées dans le décor et aux données transmises par les différentes technologies accolées aux produits. Bienvenue au Green UX Lab!
En cours de lancement, le Laboratoire de recherche en nouvelles expériences utilisateurs et en écoresponsabilité, aussi appelé Green UX Lab, est unique en son genre: on y a recréé de manière réaliste l’environnement d’un commerce de détail axé sur les biens responsables. Les produits sont regroupés en quatre stations: mode et cosmétiques, services, épicerie et produits de grande consommation.
Les «consommateurs» qui franchissent les portes du «magasin» ont accepté de se prêter à un programme de recherche tantôt axé sur des produits ou des marques spécifiques, tantôt sur l’expérience utilisateur. On va y tester l’efficacité de technologies sophistiquées comme les puces RFID (pas plus grandes qu’un timbre-poste, elles sont dotées d’une antenne pour transmettre des informations par fréquence radio) et le smart cart, un panier muni d’une tablette avec un GPS qui vous guide dans les rayons en fonction de votre liste d’achats.
Procrastination environnementale
«De manière générale, nous souhaitons mieux comprendre le green gap, cet écart entre les préoccupations grandissantes des citoyens envers l’écoresponsabilité et la faible résonance de ces préoccupations dans leurs comportements d’achat, ce que l’on nomme la procrastination environnementale», précise le professeur au Département de marketing Fabien Durif, vice-doyen à la recherche de l’ESG UQAM et directeur de l’Observatoire ESG UQAM de la consommation responsable (OCR).
«Nous souhaitons mieux comprendre le green gap, cet écart entre les préoccupations grandissantes des citoyens envers l’écoresponsabilité et la faible résonance de ces préoccupations dans leurs comportements d’achat.»
Fabien Durif
Professeur au Département de marketing de l’ESG UQAM
Les travaux menés par le chercheur et son équipe ne passent pas inaperçus. Le Baromètre de la consommation responsable, établi depuis 2010 par l’OCR, est diffusé sur le site Protégez-vous.ca et utilisé comme outil de référence par le gouvernement du Québec dans sa Stratégie gouvernementale de développement durable 2015-2020. L’équipe de l’OCR publie également l’Indice Kijiji de l’économie de seconde main et vient de lancer un nouveau baromètre sur les tendances de consommation dans le commerce de détail. «Ce secteur est en profonde transformation et les petites et moyennes entreprises cherchent à se repositionner pour ne pas rater le bateau», constate Fabien Durif.
La création du Green UX Lab s’inscrit dans le projet de la nouvelle Chaire de recherche sur la consommation et les marques responsables, laquelle réunira tous les chercheurs qui s’intéressent à ce domaine. «Il s’agira de la seule chaire en Amérique du Nord à disposer d’un laboratoire expérimental universitaire axé sur l’écoresponsabilité», précise le chercheur. Le programme de la future Chaire s’articule autour de quatre axes: les stratégies de mise en marché des biens et marques responsables, les comportements et pratiques responsables des citoyens-consommateurs, l’impact des programmes de fidélisation sur la modification et l’adoption du comportement d’achat responsable, et la gestion éthique des données clients et des nouvelles technologies de l’expérience de consommation.
De véritables marques
Pour garnir les tablettes du Green UX Lab, Fabien Durif s’est associé avec une dizaine d’entreprises. «Travailler avec de véritables marques est beaucoup plus intéressant pour les étudiants, qui peuvent ainsi se frotter à des cas réels d’entreprises qui se posent des questions sur leurs produits», souligne le spécialiste en marketing.
Ces entreprises veulent comprendre ce qui fonctionne, autant en ce qui a trait à la présentation qu’au ton utilisé pour vanter les mérites de leurs produits. C’est le cas, notamment, de la marque de soins corporels Attitude, qui met de l’avant des produits «aux ingrédients rassurants». «Il existe plusieurs certifications et autodéclarations à l’effet que tel ou tel ingrédient est écoresponsable, mais on s’y perd, souligne Fabien Durif. Toutes les marques sur le marché de l’écoresponsabilité se demandent comment faire pour transmettre l’information environnementale de manière efficace.»
Grâce au Service des partenariats et du soutien à l’innovation de l’UQAM, qui a aidé à ficeler les ententes, le laboratoire compte également des partenaires du côté de l’expérience utilisateur. Des technologies comme la simulation multisensorielle (des odeurs soigneusement ciblées accueillent le consommateur à l’entrée du magasin), la gamification (des applications de jeu développées pour mousser la vente d’un produit), la réalité augmentée, les étiquettes digitales et les logiciels de gestion des stocks pourront ainsi être mises à l’épreuve. «Il y a un coût à utiliser ces nouvelles technologies et les détaillants veulent savoir si ça en vaut la peine», précise Fabien Durif.
À terme, Fabien Durif espère constituer un bassin de quelques milliers de participants afin de pouvoir analyser différents profils de consommateurs. «Tous ceux et celles qui sont intéressés à participer au projet sont les bienvenus, dit-il. Il suffit de soumettre son nom sur le site du laboratoire, au greenuxlabpanel.com. »
Dans son nouveau laboratoire, le chercheur supervise des étudiants inscrits à la maîtrise et au doctorat en administration, la plupart spécialisés en marketing, mais il aimerait aussi accueillir des étudiants en sciences de l’environnement ou en sociologie. «L’avenir du commerce de détail intègre des variables humaines, technologiques et environnementales, affirme le professeur. Les possibilités de recherche sont illimitées.»
Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 16, no 1, printemps 2018.