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Une main-d’œuvre essentielle

Une étude dévoile les facteurs soutenant l’intégration professionnelle des infirmières et infirmiers formés à l’étranger.

Par Pierre-Etienne Caza

19 avril 2018 à 15 h 04

Mis à jour le 19 avril 2018 à 15 h 04

Photo: Getty Images

Un reportage de Radio-Canada soulignait récemment que les diplômées en soins infirmiers sont de moins en moins nombreuses, pour toutes sortes de raisons, à accepter des postes à temps plein, ce qui accentue la pénurie dans ce secteur d’emploi au Québec. Si la tendance se maintient, faudra-t-il se tourner davantage vers les infirmières et infirmiers formés à l’étranger? Pour ces travailleurs immigrants, le défi est immense. «Le Québec est le seul endroit au monde où un programme de transition est obligatoire afin d’obtenir un permis d’exercice», nous apprend Marie-Douce Primeau, professeure au Département de management et technologie de l’ESG UQAM.

En poste à l’ESG depuis le mois d’août dernier, Marie-Douce Primeau s’intéresse depuis quelques années à l’intégration professionnelle dans le domaine de la santé. «Avant de poursuivre mes études doctorales, j’ai travaillé comme directrice d’un organisme communautaire dans le quartier Parc-Extension, raconte-t-elle. J’y ai côtoyé des médecins et des infirmières provenant de l’étranger, qui classaient des vêtements pour obtenir une bonification de leur chèque d’aide sociale… un non-sens ! L’intégration professionnelle des immigrants m’a interpellée.» Sa thèse de doctorat en administration de la santé portait sur l’intégration professionnelle d’un échantillon québécois d’infirmières et infirmiers formés à l’étranger.

Les exigences pour la pratique en soins infirmiers varient d’un pays à l’autre, observe la chercheuse. Aux États-Unis, par exemple, les recruteurs s’assurent au préalable que les candidats possèdent la formation adéquate avant d’obtenir l’autorisation d’entrer au pays. «Au Canada, il est possible d’obtenir le statut de résident permanent afin d’immigrer, explique la professeure. Les infirmières et infirmiers arrivent ici sans promesse d’emploi et s’inscrivent ensuite dans un programme de transition qui mène à l’examen et, dans le cas du Québec, au permis d’exercice délivré par l’Ordre des infirmières et infirmiers.» Les infirmières françaises font exception: en vertu d’ententes particulières et de recrutement ciblé, elles arrivent avec un permis de séjour et ont souvent en poche un contrat d’un an ou deux.

Au Québec, le programme d’intégration à la profession d’infirmière est donné en français aux cégeps du Vieux-Montréal, Édouard-Montpetit, Limoilou et Sherbrooke, et en anglais au John Abbott College. Avant d’être accepté dans le programme, qui est fortement contingenté, il faut d’abord faire la preuve de sa formation et de l’expérience accumulée dans son pays d’origine, puis passer une entrevue. «Lorsque j’ai effectué les recherches pour ma thèse, le programme comportait une liste d’attente de trois ans!», se rappelle Marie-Douce Primeau.

Une étude pancanadienne

Après ses études doctorales, la chercheuse a été approchée par la professeure Isabelle St-Pierre, de l’UQO, afin d’intégrer à titre de co-chercheuse principale une équipe menant la première étude pancanadienne sur le sujet, financée par Santé Canada. «Nous nous intéressions spécifiquement aux facteurs qui soutiennent l’intégration et qui favorisent le maintien en emploi, ainsi que le développement de carrière des infirmières et infirmiers formés à l’étranger», précise Marie-Douce Primeau.

Marie-Douce Primeau

L’échantillon était constitué de près de 3 800 infirmières et infirmiers (20 % étaient des hommes). «Plusieurs médecins étrangers deviennent infirmiers, car il est à peu près impossible pour eux de faire reconnaître leur formation au Québec, note la professeure. Il y a aussi plusieurs infirmiers provenant d’Afrique, où la profession est populaire chez les hommes.»

Parmi les 2 172 participants qui ont indiqué le pays où ils avaient reçu leur formation d’infirmière ou d’infirmier, les Philippines (21 %), le Royaume-Uni (14 %), l’Inde (8 %), la France (5 %) et les États-Unis (5 %) ont été les plus souvent mentionnés. La majorité des participants (75 %) avaient acquis trois années ou plus d’expérience à titre d’infirmière avant leur immigration; 8 % avaient moins d’un an d’expérience. Sur l’ensemble des répondants au Canada, 17 % travaillaient ou avaient obtenu leur permis de pratique au Québec.

Un programme bénéfique

Les résultats de cette étude ont fait l’objet de deux articles scientifiques jusqu’à maintenant. Le premier article, publié dans Human Resources for Health, s’intéresse aux facteurs influençant l’intégration professionnelle. «Le nombre d’années d’expérience dans le pays d’origine, la participation ou non à un programme de préparation à l’examen, la maîtrise de la langue, la compréhension du rôle et des responsabilités d’une infirmière – qui varient selon les pays dans le monde –, et la connaissance du système de santé sont les facteurs qui permettent de prédire une bonne intégration et un maintien en emploi», souligne Marie-Douce Primeau.

Publié dans International Nurse Review, le deuxième article s’attarde aux bénéfices des programmes de transition. Marie-Douce Primeau et ses collègues ont voulu creuser davantage et savoir à qui, exactement, ce type de programme bénéficiait le plus. «Ce sont les infirmières et infirmiers qui proviennent de pays où la pratique est la plus éloignée de ce qui se fait au Canada qui en profitent le plus, indique la professeure. Les travailleuses et travailleurs cumulant le moins d’années d’expérience figurent aussi parmi celles et ceux qui profitent le plus de ce type de programme.»

Après avoir réussi le cours et obtenu le droit de pratique, les répondants ont eu besoin en moyenne de cinq mois pour trouver un emploi, précise Marie-Douce Primeau. «Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, c’est plutôt long… mais ce sont là les données pour l’ensemble du Canada. Le cas québécois diffère un peu, car la plupart des étudiants qui suivent le programme d’intégration se trouvent un emploi dans le domaine durant leurs études.»

Parfois, c’est la maîtrise de la langue qui pose problème. «Il peut y avoir un écart entre la maîtrise des termes techniques de la profession et l’habileté à s’exprimer, dit la chercheuse. Pour arriver à interagir de manière efficace avec les collègues et les patients, cela demande parfois quelques cours de perfectionnement en français (pour le Québec) ou en anglais (pour le reste du Canada).»

L’intégration, constate Marie-Douce Primeau, est à double sens. «Le milieu de travail doit aussi faire son bout de chemin pour bien intégrer ces nouvelles infirmières et nouveaux infirmiers. Ceux-ci peuvent apporter un nouveau regard sur les pratiques et on serait mal avisé de s’en priver.»

Analyses à venir

D’autres articles seront publiés au cours des prochains mois à la suite de cette étude pancanadienne. «Nous analyserons plus spécifiquement les modalités d’intégration dans le milieu de travail afin de cerner ce que signifie exactement une bonne intégration, précise la professeure. Un autre article portera sur le concept de résilience et la discrimination. Je m’intéresse également aux valeurs: changent-elles lorsqu’on migre? Enfin, un article abordera le développement de carrière, notamment les facteurs de progression en emploi dans le secteur des soins infirmiers.»

Marie-Douce Primeau souligne que sa thèse de doctorat, qui avait été réalisée en collaboration avec l’ancienne Agence de Montréal (qui gérait le placement infirmier sur le territoire), avait donné lieu, notamment, à la création de guides d’intégration. «Les cégeps avaient retenu plusieurs de mes suggestions dans leur formation», observe-t-elle.

Les auteurs de la recherche pancanadienne ont également formulé des recommandations à l’intention du gouvernement, des organismes de réglementation et des employeurs. «L’intégration de la main-d’œuvre formée à l’étranger demeure un sujet d’actualité, surtout avec le nombre de réfugiés qui risque d’augmenter au cours des prochaines années. Il faut se donner les moyens d’assurer leur intégration professionnelle et leur maintien en emploi», conclut la professeure. Celle-ci figure parmi le co-organisateurs de la conférence nationale du Réseau des éducateurs des programmes pour infirmières formées à l’étranger, qui aura lieu les 26 et 27 avril à Montréal.