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Les défis du français langue seconde

Le manque de fluidité dérange davantage que les erreurs de prononciation.

Par Pierre-Etienne Caza

24 septembre 2018 à 13 h 09

Mis à jour le 28 mars 2024 à 11 h 25

Photo: Getty Images

Apprendre le français est réputé être difficile. Comme pour toute langue seconde, plusieurs éléments – dont la prononciation, l’intonation et la fluidité – doivent être maîtrisés pour parvenir à un niveau fonctionnel. Avec ses collègues Pavel Trofimovich et Sara Kennedy, de l’Université Concordia, la maître de langue Josée Blanchet s’intéresse à la prononciation et à la perception du discours en langue seconde. «Nous tentons d’analyser les effets de l’enseignement sur la clarté de l’énonciation des apprenants de français langue seconde», précise-t-elle.

Dans le cadre d’une étude menée au cours des dernières années, les trois chercheurs ont enregistré 30 étudiants inscrits au certificat de perfectionnement en français langue seconde. On leur a demandé d’effectuer deux tâches distinctes: lire un dialogue situationnel exigeant d’être expressif et de mettre de l’intonation aux bons endroits, et narrer une bande dessinée sans mots de façon spontanée. Les étudiants se sont prêtés au jeu à deux reprises, en début de trimestre et lors de la dernière séance.

Les chercheurs s’intéressaient à la fois aux aspects segmentaux et suprasegmentaux de la prononciation. «Les aspects segmentaux, ce sont les erreurs de prononciation en lien avec les substitutions de son, comme lorsqu’un hispanophone prononce “OU” au lieu de “U”, illustre Josée Blanchet. L’intonation, la fluidité ou la coarticulation – les enchaînements entre les mots – sont des aspects suprasegmentaux.»

Ils ont d’abord demandé à des correcteurs entraînés d’écouter les enregistrements et de relever toutes les erreurs, segmentales et suprasegmentales. «Entre le premier enregistrement et le second, les correcteurs ont remarqué une nette amélioration. Cela nous indique que les 12 semaines de cours entre les deux enregistrements ont porté fruit», révèle Josée Blanchet.

On préfère la fluidité

Dans le cadre d’une seconde expérimentation, dont les résultats ont été publiés dans la Revue canadienne de linguistique appliquée, les chercheurs ont soumis les mêmes enregistrements à 20 locuteurs francophones nés au Québec, sans expérience en enseignement des langues. «Puisque nous avons pour objectif que les étudiants soient capables de bien se faire comprendre dans la vie de tous les jours, l’évaluation par des juges “naïfs” est la méthode idéale pour évaluer la compréhensibilité de leur discours», explique Josée Blanchet. Ces locuteurs francophones devaient évaluer l’accent perçu, la compréhensibilité et la fluidité – qui englobe les hésitations, les pauses et la production des bons enchaînements.

Le résultat a surpris les chercheurs: la fluidité et l’intonation affectent davantage la compréhensibilité du discours des apprenants en langue seconde que les erreurs de substitution de sons. «On est plus indulgent envers les erreurs de prononciation qu’envers la lenteur du discours, précise la spécialiste. Or, l’enseignement en prononciation est habituellement centré autour de la maîtrise des segments, c’est-à-dire des sons et des mots.»

Ces résultats indiquent que l’enseignement du français langue seconde devrait faire plus de place à la fluidité. «Il faudrait proposer des exercices qui obligent l’apprenant à parler de façon continue, par exemple en travaillant sur les enchaînements, propose Josée Blanchet. La maîtrise de cet aspect de la langue, sans toutefois négliger la prononciation, les aidera à atteindre un niveau de fluidité permettant à leurs interlocuteurs de mieux saisir leur propos.»

D’autres études à venir

Une nouvelle étude est en cours: elle consiste à soumettre les productions orales aux apprenants eux-mêmes afin d’observer s’ils sont capables de détecter leurs erreurs, autant au niveau des sons que de la fluidité de leur discours.

Josée Blanchet et ses collègues aimeraient également répéter l’expérience avec d’autres juges «naïfs» qui ne sont pas nécessairement francophones de naissance. «Au quotidien, les apprenants en langue seconde fréquentent souvent des gens dont le français n’est pas la langue première. Est-ce que les critères de jugement de ces personnes sont les mêmes envers le discours des apprenants que ceux des locuteurs natifs? Mon expérience me porte à croire que non… mais c’est à valider scientifiquement!»