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Contrer la radicalisation

Ghayda Hassan est cotitulaire de la nouvelle Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents.

Par Claude Gauvreau

23 février 2018 à 12 h 02

Mis à jour le 28 février 2018 à 7 h 02

Des études démontrent que l’exposition à des messages haineux sur le Web et dans les médias sociaux a un effet sur les émotions et les comportements des gens. Photo: Istock

L’arrivée en grand nombre au Québec de demandeurs d’asile, l’été dernier, a déclenché une vague sans précédent de crimes et de propos haineux, rapportait l’édition du Devoir du 24 janvier 2018. Enrayer ce type de phénomène fera partie de la mission de la nouvelle Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents, qui a été lancée le 23 février à l’Université de Sherbrooke. Trois experts reconnus dans ce domaine en sont les cotitulaires: Ghayda Hassan, professeure au Département de psychologie de l’UQAM, David Morin (Ph.D. science politique, 2007), professeur à l’Université de Sherbrooke et codirecteur de l’Observatoire sur la radicalisation et l’extrémisme violents, et Vivek Venkatesh, professeur à l’Université Concordia et créateur de projet Social Media Education Every Day (SOMEONE).

Plusieurs personnalités, incluant des représentants des gouvernements du Québec et du Canada, étaient réunies pour souligner l’importance de cette initiative. «Nous sommes fiers d’accueillir dans notre réseau cette nouvelle Chaire au modèle de gouvernance unique réunissant trois grandes universités, une première au Canada et dans le monde», a déclaré Sébastien Goupil, secrétaire général de la Commission canadienne pour l’UNESCO. «La création de cette Chaire s’inscrit pleinement dans les priorités énoncées par le gouvernement du Québec dans son Plan d’action gouvernemental de lutte contre la radicalisation», a souligné la ministre des Relations internationales et de la Francophonie, Christine St-Pierre.  

La Chaire vise à devenir un pôle d’excellence afin de développer, partager et valoriser la recherche et les actions en matière de prévention. «Nous voulons créer des liens étroits, tant sur le plan national qu’international, entre les chercheurs et les milieux des services sociaux, scolaire et communautaire qui, jusqu’à maintenant, travaillent en silo», observe Ghayda Hassan, directrice du Réseau des praticiens canadiens en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents (RPC-PREV) et psychologue clinicienne.  Placée sous l’égide de l’UNESCO, la Chaire permettra aussi de renforcer l’éducation, la formation et les capacités d’intervention. «Elle servira en quelque sorte de courroie de transmission entre les chercheurs, les milieux de pratique et les décideurs», note la professeure.

Prévenir la radicalisation et l’extrémisme, quelle que soit leur source idéologique, sera au centre des activités de la Chaire. «Depuis quelles années, la polarisation sociale au Québec s’est accrue et s’est cristallisée sur les questions d’identité et d’immigration, soutient Ghayda Hassan. Un groupe d’extrême-droite comme La Meute, par exemple, a vu le nombre de ses sympathisants augmenter, passant de quelques milliers à près de 40 000. Un autre groupe, Les soldats d’Odin, dont les chefs sont en Finlande, a rapidement pris de l’ampleur. Ces organisations, qui perçoivent l’immigration comme une menace, ont des ramifications un peu partout en Europe et en Amérique du Nord et s’échangent des informations et des stratégies. Bref, la radicalisation et l’extrémisme violents se globalisent.»

Pédagogie sociale

Ces dernières années, l’UNESCO et d’autres organismes ont souligné le rôle central de l’éducation et la nécessité d’une pédagogie sociale dans la prévention de l’extrémisme violent chez les jeunes. «Il existe déjà des programmes de formation, comme celui du Centre de recherche et de formation  Sherpa, auquel je collabore, le programme Dialogue +, coprésidé par David Morin, et le programme Someone dirigé par Vivek Venkatesh, observe la chercheuse. Ceux-ci sont destinés aux jeunes, aux établissements scolaires et au grand public. Nous prévoyons aussi créer un programme de formation sur Internet. Des études démontrent que l’exposition à des messages haineux sur le Web et dans les médias sociaux a un effet sur les émotions et les comportements des gens. Il est donc essentiel de contrer ces discours au moyen des technologies de l’information.»

Selon Ghayda Hassan, il n’existe pas de modèle unique de prévention et d’intervention. «On doit se demander quels sont ceux qui ont fait leurs preuves, avec qui et comment. Toutes les initiatives mises en place pour lutter contre les discours haineux, la discrimination et les violences sociale et interpersonnelle constituent autant de facteurs de protection.»

Déradicaliser?

Les programmes qualifiés de déradicalisation visant à changer l’idéologie et les croyances d’une personne ne fonctionnent pas, affirme la professeure. «Certes, le facteur idéologique contribue à propulser un individu dans une trajectoire de radicalisation, peut entraîner sa désaffiliation sociale et le pousser à faire partie d’un groupe, lui procurant ainsi un statut, voire un sentiment de puissance. Cependant, l’idéologie ne prédit pas le passage à l’acte violent.»

Au Canada, les extrémistes violents affichent un profil qui s’apparente davantage à celui du loup solitaire. «Dans ces cas, la crise personnelle dans la vie de l’individu –  perte d’un emploi, séparation, deuil, désarroi psychologique, quête de sens à l’existence – constitue souvent le facteur qui précipite l’action violente, souligne Ghayda Hassan. Les interventions doivent alors s’inspirer des modèles en vigueur dans les secteurs de la santé et de l’éducation.»

La priorité  consiste à investir dans l’éducation, la formation et l’intervention, martèle la chercheuse. «Nous devons mieux documenter les trajectoires individuelles et évaluer les pratiques d’intervention, notamment auprès des jeunes et de leur entourage.»

Un réseau international

La Chaire repose sur un réseau international de partenaires, issus de tous les secteurs de la société, qui sont impliqués dans la prévention de la radicalisation menant à la violence. «Nous avons déjà près d’une trentaine de partenaires, notamment des centres de recherche, de formation et de prévention, en Amérique du Nord, en Europe, en Afrique, au Proche-Orient et en Amérique latine, dit Ghayda Hassan. Au Canada et au Québec, nous collaborons avec les milieux scolaire, du primaire à l’université, de l’emploi, de la santé et des services sociaux, ainsi que de la sécurité publique.»

On peut visionner une vidéo sur uqam.tv dans laquelle les professeurs Ghayda Hassan, David Morin et Vivek Venkatesh présentent le programme de la Chaire.