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Origines du vedettariat

Adrien Rannaud reçoit une bourse Banting pour une recherche sur la culture de la célébrité au Québec.

Par Claude Gauvreau

2 octobre 2018 à 16 h 10

Mis à jour le 7 juin 2022 à 10 h 39

Quatre comédiens du radioroman Un homme et son péché, diffusé sur les ondes de Radio-Canada. Photo: BAnQ, Fonds Conrad Poirier

Qu’il se manifeste dans les arts de la scène, à la radio ou à la télévision, le vedettariat ne date pas d’hier au Québec. Comprendre ses conditions d’émergence et de légitimation au 20e siècle est l’un des objectifs d’Adrien Rannaud, stagiaire postdoctoral au Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises (CRILCQ). Détenteur d’un doctorat en études littéraires de l’Université Laval, il a reçu récemment la prestigieuse Bourse Banting, d’une valeur de 70 000 dollars par année, pour son projet de recherche postdoctorale «De la mondanité à la célébrité: déploiement médiatique du vedettariat et vie culturelle au Québec (1918-1965)». D’une durée de deux ans, son projet est mené sous la supervision de Lucie Robert, professeure au Département d’études littéraires et membre du CRILCQ.

 «J’ai choisi de faire mon stage à l’UQAM à cause de son approche interdisciplinaire et de son expertise dans le domaine de la culture populaire, confie Adrien Rannaud.  La professeure du Département d’études littéraires Chantal Savoie, coresponsable du Laboratoire de recherche sur la culture de grande consommation et la culture médiatique au Québec, a d’ailleurs codirigé ma thèse.»

Son projet s’inscrit dans le champ des Celebrity Studies. «L’intérêt des universitaires pour le phénomène de la célébrité s’est développé en Angleterre et aux États-Unis à compter des années 1960, dans la foulée des Cultural Studies, au point de constituer un domaine de recherche spécifique», explique le postdoctorant.  Dans le monde francophone, il faut attendre les années 2000 pour voir apparaître des travaux sur la célébrité, notamment dans le domaine de la sociologie et des communications. «Les Celebrity Studies montrent que la fascination et l’engouement populaire pour les vedettes sont un signe structurant de la vie cultuelle et sociale», souligne Adrien Rannaud.

De la mondanité à la célébrité

Le jeune chercheur s’intéresse, entre autres, au passage entre la mondanité et la célébrité. Héritière du système aristocratique français des 17e et 18e siècles, la mondanité fait référence aux relations de proximité s’établissant entre les membres des élites culturelle et sociale qui fréquentent les cafés et salons littéraires et entretiennent des formes de sociabilité par la conversation et la correspondance. «Dans le Québec du 19e siècle, des journaux de Montréal et de Québec consacrent des pages à la vie de ces personnalités, décrivant leurs activités et leurs fréquentations», note le stagiaire.

Le vedettariat apparaît au Québec au lendemain de la Première Guerre mondiale avec l’arrivée du  cinéma, de la radio et du gramophone, qui font connaître les voix et visages de personnalités de la scène culturelle. «La culture de la célébrité touche progressivement toutes les sphères de l’activité culturelle, y compris celles associées à la culture d’élite, comme la littérature et le théâtre, remarque Adrien Rannaud. On voit ainsi des acteurs de théâtre et des auteurs collaborer à des radioromans. Le grand public s’intéresse moins aux œuvres et aux discours critiques dont elles font l’objet qu’à leurs auteurs et aux acteurs.»

Rencontres scientifiques

Dans le cadre de son stage, Adrien Rannaud organise un cycle de conférences scientifiques sous le thème «Regards croisés sur la culture de la célébrité au Québec». Ces rencontres auront lieu les vendredis, de 13 h 30 à 16 h, au pavillon Judith-Jasmin (J-4225):

– 19 octobre: «Mondanité et célébrité: ruptures, continuités, transformations». Conférencier: Guillaume Pinson, de l’Université Laval;
– 23 novembre  «Voix et images de la star: le corps célèbre dans tous ses états». Conférenciers: les professeurs Marie Beaulieu (danse), Pierre Barrette (École des médias) et Dominic Hardy (histoire de l’art), tous membres du CRILCQ;
– 7 décembre: «Raconter la célébrité: poétiques et récits du vedettariat». Conférenciers: les professeurs Robert Dion (études littéraires), membre du CRILCQ, et Alex Gagnon, de l’Université McGill.

La chaîne du star system

Le star system constitue une chaîne dont les maillons sont constitués d’agences de production, d’imprésarios et de divers canaux de diffusion. La presse écrite – journaux et périodiques – se trouve au centre de cette chaîne et sert de caisse de résonnance. «Les quotidiens La Presse et Le Devoir ainsi que des magazines comme La revue moderne et La revue populaire consacrent des pages aux artisans de la radio, contribuant à en faire des figures publiques, observe le jeune chercheur. Diffusée à large échelle, la presse publie des entretiens avec des personnalités de la scène artistique et médiatique, tandis que le courrier des lecteurs reflète l’intérêt du public pour leur vie tant publique que privée, mise en récit dans les pages des journaux.»

Félix Leclerc à la une de Radiomonde. Photo: Fonds BAnQ

Une presse dite «jaune», friande de cancans et de rumeurs, émerge au cours des années 1920-1930. «Traitant spécifiquement du monde la radio, l’hebdomadaire Radiomonde, apparu en 1939, est le périodique le plus emblématique de la culture de la célébrité à cette époque, affirme Adrien Rannaud. En 1947, Radiomonde soumet un concours à ses lecteurs. Il s’agit d’élire la personnalité qui s’est le plus illustrée sur les ondes de la radio. La chanteuse Lucille Dumont est élue Miss radio.»

Un Hollywood canadien-français

Jusqu’à l’arrivée de la télévision, le monde de la radio a joué un rôle fondamental dans la naissance du vedettariat. «Son impact au Québec est plus fort qu’en France et aux États-Unis, soutient le postdoctorant. La radio est un catalyseur de talents. Les gens de théâtre et même de la littérature – pensons à Claude-Henri Grignon, auteur d’Un homme et son péché – se tournent vers elle. C’est le Hollywood canadien-français.»

L’arrivée de la télévision dans les années 1950 et son essor dans la décennie suivante, grâce au développement des chaînes commerciales, contribuent à la mise en place d’un nouveau régime de visibilité, lequel marque une rupture par rapport au star system traditionnel, cinématographique notamment. «Contrairement aux vedettes du cinéma, lointaines et inaccessibles, celles du petit écran entretiennent des rapports de proximité et de familiarité avec le public. Une tendance qui s’est accentuée avec Internet et les réseaux sociaux», conclut Adrien Rannaud.