En 2016, quelque 23 000 Mexicains ont travaillé au Canada dans le cadre du Programme des travailleurs agricoles saisonniers. Ce programme du gouvernement fédéral aide les fermiers à trouver de l’aide lorsque la main-d’œuvre locale se fait rare. Les emplois offerts, boudés par les travailleurs canadiens, sont recherchés au Mexique. Pour les travailleurs agricoles mexicains au bas de l’échelle, un contrat au Canada représente un laissez-passer pour sortir de la misère. Or, à peine 3 % de ces emplois alléchants vont à des femmes. Et les quelques travailleuses mexicaines qui réussissent à se faire embaucher se voient systématiquement accorder des contrats de plus courte durée que les hommes.
Cette situation injuste est à l’origine d’une bataille menée par la Clinique internationale de défense des droits humains (CIDDHU) de l’UQAM en association avec le Syndicat des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC Canada). En juillet 2016, suivant des témoignages de femmes mexicaines qui alléguaient s’être vu refuser leur candidature sur la seule base de leur sexe, les TUAC Canada ont entrepris des démarches afin de déposer une plainte pour pratiques d’embauche discriminatoires contre le gouvernement canadien. Pour que sa plainte soit crédible, le syndicat devait toutefois démontrer que le gouvernement était au moins en partie responsable de la discrimination exercée à l’endroit des travailleuses. C’est alors que l’organisation a contacté la CIDDHU pour l’aider à développer un argumentaire juridique solide.
À l’automne 2016, une équipe de trois étudiants de la Faculté de science politique et de droit a été mandatée pour travailler sur cette affaire. Les étudiants ont d’abord eu une première rencontre virtuelle avec l’agente de liaison des TUAC Canada. «Notre partenaire des TUAC avait une bonne idée de la stratégie à utiliser, mais n’avait pas une connaissance fine des normes internationales et des arguments juridiques autour de la notion de discrimination et de droit à l’égalité, relate Dalia Gesualdi-Fecteau, la professeure du Département des sciences juridiques qui supervisait l’équipe dans ce dossier. C’est cette expertise qu’elle est venue chercher à l’UQAM.»
De réelles victimes
Après avoir obtenu leur assignation, les étudiants devaient, en équipe, établir leur stratégie et déterminer les étapes de réalisation pour en arriver à un rapport final professionnel. «Ce n’est pas une simulation, dit la directrice par intérim de la CIDDHU, Elise Hansbury, professeure substitut au Département des sciences juridiques. Nous sommes devant des cas très concrets, où il y a de réelles victimes.»
Un dialogue continu s’est établi durant tout le trimestre entre les étudiants et l’agente de liaison. «Il y a eu plusieurs échanges pour vulgariser des éléments juridiques, préciser des faits et voir si l’argumentaire était cohérent, souligne Dalia Gesualdi-Fecteau. La partenaire a donc pu suivre toutes les étapes de la construction du rapport.» Chaque semaine, les étudiants passaient plus de 10 heures à travailler sur ce dossier exigeant.
Le rapport final remis par les étudiants démontre que la discrimination origine de certains documents produits par le gouvernement canadien, qui sont transmis au ministère de l’Emploi et du Développement social du Canada avant l’embauche. Dans ces documents, les employeurs peuvent déterminer le sexe des travailleurs recherchés. «Cela constitue de la discrimination fondée sur le sexe, ce qui est interdit par nos chartes ainsi que par différents instruments internationaux auxquels le Canada a souscrit», explique Dalia Gesualdi-Fecteau. Les employeurs peuvent également déterminer la durée des contrats, ce qui explique que les femmes travaillent en moyenne moins longtemps que les hommes.
Avec un dossier solide entre les mains, le syndicat possède maintenant les munitions nécessaires pour défendre les travailleuses migrantes mexicaines. La plainte sera déposée auprès du Bureau administratif national du Mexique dans le cadre de l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (ANACT), une entente signée dans la foulée de l’ALENA. En effet, l’ANACT prescrit une égalité de rémunération entre les hommes et les femmes et oblige les États membres à respecter leur législation interne, deux conditions qui n’ont pas été respectées dans ce dossier.
Une première au Québec
Fondée en 2005, la CIDDHU est la première clinique au Québec dédiée à la défense et à la promotion des droits humains dans une perspective internationale. Les travaux de la Clinique sont menés dans le cadre d’un cours ouvert aux étudiants du baccalauréat en relations internationales et droit international (BRIDI), du baccalauréat en droit et de la maîtrise en droit.
«Depuis la création de la clinique, nous avons développé des partenariats avec une cinquantaine d’organismes répartis sur quatre continents. Sans notre appui, ces organisations n’auraient pas les moyens financiers ou les ressources humaines nécessaires pour mener ces dossiers à terme.»
Elise Hansbury,
Directrice intérimaire de la CIDDHU
Encadrés par des superviseurs et des responsables de cas – habituellement d’anciens étudiants de la CIDDHU qui sont maintenant avocats et qui s’impliquent de façon pro bono –, les étudiants apportent un soutien juridique gratuit aux victimes de violations de droits humains. Ils doivent monter de véritables dossiers de défense des droits humains et se familiariser avec les défis méthodologiques et éthiques que ce travail comporte. Violences faites aux femmes au Burkina Faso ou à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, atteinte à la liberté d’association en Russie, violations des droits des personnes vulnérables en Moldavie et protection des droits des transgenres au Costa Rica sont quelques-uns des dossiers auxquels les étudiants se sont attaqués au cours des dernières années.
«Depuis la création de la Clinique, nous avons développé des partenariats avec une cinquantaine d’organismes répartis sur quatre continents, mentionne Elise Hansbury, qui remplace la professeure Mirja Trilsch à la tête de la Clinique pour l’année 2017-2018. Sans notre appui, ces organisations n’auraient pas les moyens financiers ou les ressources humaines nécessaires pour mener ces dossiers à terme.»
Entre cinq et sept mandats sont sélectionnés chaque trimestre, selon leur valeur pédagogique et l’urgence de la situation. «Nous recevons plus de demandes que nous pouvons en traiter», mentionne Elise Hansbury. Plusieurs organisations reviennent année après année solliciter la collaboration de l’UQAM. «Cela démontre la confiance de nos partenaires envers les étudiants», souligne la juriste avec fierté.
Contribuer à la jurisprudence
Au fil des ans, la Clinique a travaillé sur de nombreux dossiers qui ont contribué à la jurisprudence sur la scène internationale. En 2012, la CIDDHU, le Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés, basé à Haïti, et le Centre culturel dominicain haïtien ont eu gain de cause dans le dossier du massacre de Guayubin – des soldats de la République dominicaine avaient tué sept migrants haïtiens et en avaient blessé plusieurs autres à la frontière des deux pays. Le jugement rendu par la Cour interaméricaine des droits de l’homme a reconnu la responsabilité de l’État dominicain dans la tragédie, ce qui a constitué un précédent important pour la défense des droits des migrants. La République dominicaine a été condamnée à verser plusieurs centaines de milliers de dollars en réparations aux victimes et à leurs proches.
Pour Elise Hansbury, qui s’implique dans la CIDDHU depuis 2013, chaque trimestre produit des moments mémorables pour tous les acteurs concernés. «Le travail de collaboration entre des étudiants, des professionnels du milieu et des organisations partenaires est réellement inspirant, souligne-t-elle. Ensemble, nous coconstruisons des connaissances qui changent réellement la vie des victimes. La CIDDHU constitue une grande aventure et une expérience profondément humaine.»
Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 16, no 1, printemps 2018.