
Maladies chroniques, troubles neuropsychologiques, taux de suicide élevé, insécurité alimentaire, problèmes de vision, pauvreté, échec scolaire: voilà les conséquences de cinq décennies de consommation de poisson contaminé au mercure avec lesquelles doivent vivre les habitants de la communauté autochtone de Grassy Narrows, dans le nord de l’Ontario.
Ces constatations découlent d’une enquête réalisée auprès de 78 % des quelques 700 habitants de la réserve autochtone. Le rapport de cette enquête, rendu public le 24 mai, a été rédigé par Donna Mergler, professeure émérite au Département des sciences biologiques, en collaboration avec Aline Philibert, chercheuse au Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l’environnement (CINBIOSE) de l’UQAM, et Myriam Fillion, professeure à la TÉLUQ.
Impacts sévères sur la santé
Le rapport met clairement en évidence le lien entre la consommation de poissons contaminés au mercure et un nombre élevé de problèmes de santé. «Les habitants de Grassy Narrows ont une moins bonne santé, souffrent d’insécurité alimentaire plus sévère et présentent des taux de suicide plus élevés que les autres Premières Nations au Canada, affirme Donna Mergler. Les adultes de moins de 50 ans qui ont mangé régulièrement du poisson pendant leur enfance ont des résultats scolaires moins élevés et de plus faibles revenus que ceux qui ont mangé moins de poisson.»

Seulement 20 % des répondants à l’étude estiment avoir un bon ou un excellent état de santé, comparativement à 40 % pour l’ensemble des Premières Nations en Ontario et à 60 % pour la population canadienne non autochtone. Les personnes ayant reçu un diagnostic médical d’empoisonnement au mercure ont cinq fois plus de chances de développer des maladies chroniques, des troubles neuropsychologiques, des problèmes d’estomac et d’intestin, des allergies; quatre fois plus de chance d’avoir des déficiences auditives, un haut taux de cholestérol et des douleurs articulaires; et trois fois plus de chances de développer des problèmes de vision, pouvant aller jusqu’à la cécité. La probabilité d’avoir été empoisonné au mercure est cinq fois plus importante chez les personnes dont le père était un guide de pêche.
Le suicide constitue également un enjeu de taille pour la communauté. Pas moins de 28 % des répondants ont fait une tentative de suicide, soit plus du double des autres Premières Nations.
Donna Mergler souligne que les services actuels en santé mentale et les programmes de prévention du suicide sont insuffisants.
10 000 tonnes de mercure
Vivant de la pêche depuis des siècles, la communauté de Grassy Narrows a vu son destin chamboulé dans les années 1960 et 1970. Plus de 10 000 tonnes de mercure ont été déversés dans la rivière Wabigoon-English, en amont de Grassy Narrows, par l’usine de pâtes et papiers Dryden Chemicals. «Ce désastre écologique a fait perdre le gagne-pain, la source de nourriture principale et la santé aux habitants», mentionne la professeure émérite.
Dès les années 1970, des études démontrent l’état avancé de contamination des lacs et rivières. Une indemnité financière aux personnes obtenant un diagnostic médical d’empoisonnement au mercure est accordée depuis 1985. «Dans les faits, peu de personnes reçoivent cette indemnité, qui n’a pas été indexée depuis 30 ans, parce que le diagnostic est difficile à obtenir.»
Récemment, le gouvernement ontarien s’est engagé à décontaminer la rivière Wabigoon-English. «Mais cette décontamination prendra au minimum 15 ans», précise Donna Mergler.