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Un antidépresseur naturel

Pour prévenir ou guérir les problèmes de santé mentale, l’activité physique se révèle une arme thérapeutique de choix.

Par Marie-Claude Bourdon

27 septembre 2018 à 11 h 09

Mis à jour le 2 octobre 2018 à 12 h 10

En général, les personnes actives sont moins anxieuses, elles tolèrent mieux le stress et ont moins tendance à souffrir d’épuisement professionnel. Illustration: Charlotte Demers-Labrecque

Pour lutter contre l’anxiété et les symptômes dépressifs associés à des maladies comme le syndrome de fatigue chronique, le mal de dos persistant ou le cancer du sein, l’activité physique donne d’aussi bons résultats que la psychothérapie. C’est ce qui ressort d’une méta-analyse effectuée par le professeur du Département des sciences de l’activité physique Paquito Bernard avec des collègues de l’UQAM, de l’Université de Montpellier et de l’Université de Lyon. Après avoir analysé 30 études portant sur des combinaisons de thérapie et d’activité physique offertes à des personnes souffrant du syndrome de fatigue chronique, de lombalgie chronique, de cancer ou de bronchopneumopathie chronique obstructive, les chercheurs en sont arrivés à la conclusion qu’il n’y avait pas de bénéfice notable à coupler les interventions. L’activité physique seule était aussi efficace que combinée à la thérapie ou que la thérapie seule.

L’activité physique ne permet pas seulement d’améliorer la santé mentale des personnes aux prises avec une maladie chronique. Dans le plan d’action lancé récemment par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour diminuer la sédentarité des adultes et des adolescents, il est clairement indiqué que le maintien d’une vie active joue un rôle significatif de prévention de plusieurs problèmes de santé (obésité, diabète, maladies coronariennes, cancer), y compris les troubles de santé mentale.

Or, nous sommes de plus en plus sédentaires. Les changements de mode de vie qui touchent les pays développés –  transport motorisé, élimination du travail physique, longues séances devant des écrans, y compris pour les loisirs – vont tous dans le même sens, celui de l’inactivité. Pour une personne qui travaille assise et qui se déplace en voiture, il est possible de vaquer à toutes ses activités quotidiennes en bougeant un minimum et, surtout, en ne faisant aucun exercice demandant le moindre effort.

« En termes de santé publique, la sédentarité, c’est le tabac du 21e siècle.»

paquito bernard,

Professeur au Département des sciences de l’activité physique

Au Canada, c’est près de la moitié des adultes qui ne sont pas suffisamment actifs, révèle Soyons actifs, une stratégie publiée en mai dernier par le gouvernement canadien pour favoriser l’activité physique et réduire la sédentarité. Même les personnes qui font du sport sont trop sédentaires pendant le reste de la journée. «En termes de santé publique, la sédentarité, c’est le tabac du 21e siècle», affirme Paquito Bernard. Ce jeune professeur, également chercheur régulier au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal et blogueur, consacre toutes ses recherches aux liens entre activité physique et santé mentale.

Réduire le risque

Avec des collègues, Paquito Bernard a conduit à Montpellier, en France, une étude auprès de femmes âgées de 55 à 76 ans souffrant de divers maux tels que l’arthrite, des problèmes de cœur ou des douleurs. Dans cette population, on sait que l’âge et l’inactivité physique sont associés à un risque de dépression. Pour vérifier qu’un programme d’activité physique tout simple (40 minutes de marche, trois fois par semaine) réduirait ce risque, les quelque 120 participantes de l’étude ont été invitées à marcher, sous supervision, et ont été comparées à un groupe contrôle. Après six mois, malgré un taux d’absence d’environ 40%, les résultats étaient clairs: chez les femmes en post-ménopause, marcher trois fois par semaine à une intensité modérée diminue considérablement le risque de développer des symptômes dépressifs.

Des études de ce genre ont été menées auprès de plusieurs groupes à risque de développer des problèmes de santé mentale ou souffrant de troubles mentaux. «Le niveau de preuve des bénéfices de l’activité physique pour la santé mentale est très élevé», affirme le chercheur.

En général, les personnes actives sont moins anxieuses, elles tolèrent mieux le stress et ont moins tendance à souffrir d’épuisement professionnel. Elles sont aussi plus productives et s’absentent moins du travail. Chez les enfants et les jeunes adultes, il est clairement démontré que l’activité physique réduit les symptômes anxieux et dépressifs. Bouger améliore le sentiment de bien-être, la persévérance et la réussite scolaire.  Pour les femmes enceintes, faire de l’exercice pendant et après la grossesse fait chuter le risque de dépression, en plus d’augmenter le niveau d’énergie. Chez les personnes âgées, une vie active permet de retarder le déclin des capacités fonctionnelles et des facultés cognitives. Enfin, faire de l’activité physique n’augmente pas les chances de dire adieu à la cigarette à long terme, mais cela atténue les symptômes de sevrage et d’anxiété. «L’effet est du même ordre que celui des médicaments contenant de la nicotine», soutient Paquito Bernard.

Un effet curatif

L’activité physique a aussi un effet curatif. «Pour le traitement des personnes souffrant de troubles anxieux et dépressifs, il existe maintenant des directives claires visant à proposer l’activité physique en première ligne, en combinaison avec la médication ou la psychothérapie», note le chercheur. Une série d’études menées à l’Université Duke, en Caroline du Nord, a d’ailleurs démontré que l’exercice était aussi efficace pour traiter le trouble dépressif qu’un médicament antidépresseur. En outre, les personnes qui persistaient à faire de l’activité physique présentaient moins de risques de rechute.

« Pour le traitement des personnes souffrant de troubles anxieux et dépressifs, il existe maintenant des directives claires visant à proposer l’activité physique en première ligne, en combinaison avec la médication ou la psychothérapie. »

Chez les adolescents aux prises avec un trouble du spectre de l’autisme qui font de l’activité physique, on observe une réduction des comportements répétitifs, de l’automutilation et de l’agressivité, affirme Paquito Bernard. Du côté des personnes souffrant de troubles schizophréniques, l’activité physique a un effet significatif sur la qualité de vie globale ainsi que sur la symptomatologie négative (comparativement aux symptômes dits positifs – hallucinations, idées délirantes, actes bizarres –, les symptômes dits négatifs de la schizophrénie se caractérisent par une diminution des activités, un retrait, une absence de réaction émotionnelle). «C’est très intéressant, car les traitements antipsychotiques ont moins d’effet sur les symptômes négatifs», remarque Paquito Bernard.

Des mécanismes complexes

Les mécanismes par lesquels l’activité physique agit sur la santé mentale sont nombreux. Ainsi, bouger régulièrement stimule les neurotransmetteurs. L’activité physique augmente la production naturelle de dopamine et de sérotonine, tout en faisant baisser le taux de cortisol (l’hormone du stress), ce qui a un effet antidépresseur. Une activité intense entraîne la sécrétion d’endorphines, qui ont un pouvoir analgésique et procurent une sensation de bien-être. Se dépenser physiquement favorise aussi un meilleur sommeil et permet de lutter contre l’insomnie, un facteur de risque des troubles mentaux.

«Sur le plan psychologique, un des effets de l’activité physique sur les gens dépressifs est d’augmenter l’estime de soi, souligne Paquito Bernard. Une personne qui se sent mieux parce qu’elle fait de l’activité physique a l’impression d’avoir un meilleur contrôle sur sa vie.» L’activité physique sert aussi à rompre l’isolement social. Pour une personne qui a tendance à se refermer sur elle-même, aller marcher (ou courir) au bord de la rivière, s’inscrire à un cours de yoga ou faire partie d’une équipe de volleyball ne sont pas seulement des occasions de contempler la nature, de relaxer ou de faire travailler ses muscles: ce sont aussi des prétextes de rencontre et de socialisation.

« Une personne qui se sent mieux parce qu’elle fait de l’activité physique a l’impression d’avoir un meilleur contrôle sur sa vie. »

Si les bienfaits de l’activité physique sur la santé mentale sont solidement documentés, leur évaluation n’est pas une mince tâche pour les chercheurs. «On observe un effet de contamination important dans les études, précise le professeur.  Par exemple, si 30% des participants du groupe contrôle, déçus de ne pas avoir été recrutés dans le groupe dirigé vers un programme d’activités décident de faire de l’exercice par eux-mêmes, cela fausse les données!» De même, les personnes participant à des études sur leur niveau d’activité physique auront tendance à augmenter le nombre de leurs séances pendant la période où elles répondent au questionnaire!

Prescription: activité physique

Un autre défi, pour les chercheurs, consiste à transférer les résultats de leurs travaux à la communauté médicale. Les professionnels de la santé ont un rôle crucial à jouer dans la motivation des patients à entreprendre un programme d’activité physique… et à ne pas l’abandonner. Or, la prescription d’activité physique est encore trop rare. «Il faudrait intervenir dans la formation des médecins, des psychologues, des infirmières, des travailleurs sociaux», dit Paquito Bernard, qui offre lui-même des conférences sur le sujet.

Mais le défi de faire bouger une société de plus en plus sédentaire ne peut reposer entièrement sur les épaules des professionnels de la santé. Dans son document Une Vision commune pour favoriser l’activité physique et réduire la sédentarité au Canada: Soyons actifs, l’Agence de la santé publique du Canada rappelle que tous ceux «qui exercent des responsabilités dans les domaines du sport, des loisirs, de la santé, de l’infrastructure, de la culture, du patrimoine, du transport, de l’éducation et autres domaines politiques» peuvent jouer un rôle essentiel pour atteindre les objectifs visés.

«Il faut repenser l’urbanisme et la façon dont nous construisons nos espaces de vie, d’études et de travail afin de favoriser le transport actif – la marche, le vélo –, d’amener les gens à prendre l’escalier plutôt que l’ascenseur et à ne pas rester assis toute la journée au travail. »

«Il faut repenser l’urbanisme et la façon dont nous construisons nos espaces de vie, d’études et de travail afin de favoriser le transport actif – la marche, le vélo –, d’amener les gens à prendre l’escalier plutôt que l’ascenseur et à ne pas rester assis toute la journée au travail», dit Paquito Bernard. Au Département des sciences de l’activité physique, des tables à hauteur ajustable, permettant de suivre ses cours debout, ont d’ailleurs fait leur apparition.

Le bonheur est dans le parc

Les espaces verts sont souvent vus comme des moyens d’embellir la ville, de réduire les îlots de chaleur et de lutter contre la pollution, mais ils seraient aussi  indispensables à la santé mentale des citadins. En tout cas, c’est ce que croient la professeure du Département de psychologie Janie Houle, spécialiste de la psychologie sociale, et son collègue Mathieu Philibert, professeur au Département de sexologie et directeur du doctorat interdisciplinaire en santé et société. Tous deux ont lancé l’an dernier un vaste projet de recherche sur le sujet, et l’activité physique fera partie des trois variables étudiées. En effet, si le bonheur est dans le parc, c’est qu’en plus d’être des lieux de détente et de socialisation, les espaces verts incitent la population à s’activer physiquement.

Participants recherchés

Le projet Espaces verts urbains et santé mentale est à la recherche de participants pour répondre à un questionnaire.

«L’accès aux espaces verts est particulièrement important pour la santé mentale des personnes les plus vulnérables, qui viennent majoritairement de milieux défavorisés, qui vivent dans des appartements exigus et qui n’ont aucun accès privé à l’extérieur, sauf parfois un minuscule balcon», dit Janie Houle. Au terme de cette recherche, la professeure compte proposer un indice de l’accessibilité aux espaces verts urbains pour toutes les régions du Québec. 

Pour plusieurs personnes, activité physique est synonyme d’entraînement intensif au gym. Mais il existe plusieurs façons d’être actif: jouer au soccer ou au basket,  se promener au parc, se rendre au travail à pied ou à vélo, jardiner, faire de la danse… Selon les recherches, 20 à 30 minutes par jour d’activité d’intensité modérée (marcher rapidement) suffisent pour ressentir les bienfaits de l’activité. «Les gens pensent souvent qu’il faut faire beaucoup d’activité physique pour en retirer des avantages, souligne Paquito Bernard.  Mais cela est faux. Même à petites doses, l’activité physique entraîne des bénéfices importants pour la santé mentale.»