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Séjour chez les Innus

Des étudiants s’intéressent aux relations entre autochtones et allochtones en Minganie et en Basse-Côte-Nord.

Par Pierre-Etienne Caza

3 novembre 2017 à 16 h 11

Mis à jour le 3 novembre 2017 à 16 h 11

Le groupe dans une tente innue à Unamen Shipu. Rangée du haut: David Dufour, Lionel Hervieux (guide de la Société Mukutan inc,), Katherine Jusseaume-Dumont, Mathieu Laflamme, Emmanuel Estérez, Francis Jodoin, et la professeure Laurie Guimond. Rangée du bas: Mireille Beaudoin et Jessica Elie-Léonard.
Photo fournie par Laurie Guimond

Qui sont ces travailleurs de la santé et de l’éducation qui acceptent d’aller gagner leur vie dans les communautés autochtones? Quelles sont leurs attentes? Quels sont les facteurs les incitant à demeurer en poste ou à quitter? Quels types de relations entretiennent-ils avec leur communauté d’accueil? Ce sont là quelques-unes des questions auxquelles ont tenté de répondre sept étudiants de la maîtrise en géographie et du DESS en planification territoriale et développement local. Accompagnés par la professeure Laurie Guimond, ceux-ci ont séjourné en Minganie et en Basse-Côte-Nord, du 4 au 11 septembre derniers, dans le cadre d’un cours-terrain. «Il s’agissait de mieux comprendre les relations interethniques entre les autochtones et les non autochtones dans le Moyen-Nord québécois, et de familiariser les étudiants avec une démarche de recherche qualitative», précise la professeure.

Les étudiants ont visité les communautés innues de Nutakuan, près de Natashquan, et d’Unamen Shipu, à trois heures de bateau de là, près de la communauté allochtone de La Romaine. «Nous avons expérimenté l’isolement géographique et nous avons vécu, en quelque sorte, le même genre de choc que vivent les travailleurs qui débarquent dans la communauté pour la première fois», souligne Katherine Jusseaume-Dumont, candidate à la maîtrise en géographie.

Afin de mieux cerner les enjeux qui les intéressaient, les étudiants ont réalisé une trentaine d’entrevues avec trois types d’acteurs: de nouveaux résidents qui œuvrent dans les secteurs de la santé, des services sociaux et de l’éducation (surtout des infirmiers, des travailleurs sociaux et des enseignants, hommes et femmes), des Innus de la communauté et des acteurs clés locaux et régionaux (élus du Conseil de bande, dirigeants d’organismes, etc.).«Le Nord est un territoire en continuelle recomposition socioterritoriale, observe Laurie Guimond. Les gens arrivent, partent et reviennent au gré des contrats et de la situation socioéconomique. Nous étions curieux de connaître les raisons qui les poussent à choisir de vivre et de travailler en contexte interculturel, dans une région périphérique.»

Les trois «M»

Le Nord attire les travailleurs pour des raisons bien différentes, ont constaté les étudiants. «Selon les Innus et les acteurs locaux, il y aurait trois types de travailleurs, les trois “M”: les mercenaires (money makers), qui veulent faire de l’argent, les mésadaptés (misfits), qui souvent fuient des problèmes, et les missionnaires, qui sont là pour aider, explique Katherine Jusseaume-Dumont. Certains travailleurs nous ont même avoué sans gêne appartenir à l’une ou l’autre de ces catégories!»

«Selon les Innus et les acteurs locaux, il y aurait trois types de travailleurs, les trois “M”: les mercenaires (money makers), qui veulent faire de l’argent, les mésadaptés (misfits), qui souvent fuient des problèmes, et les missionnaires, qui sont là pour aider.»

Katherine Jusseaume-Dumont

Candidate à la maîtrise en géographie

Celles-ci ne sont ni exhaustives, ni mutuellement exclusives et s’entrecroisent souvent. «La réalité est complexe et il existe une multitude de raisons qui peuvent pousser des gens à s’engager pour travailler dans le Nord, à y rester ou à quitter», note Laurie Guimond.

Le choix de s’intégrer ou non

Les étudiants ont constaté qu’un fossé existe toujours entre les Innus et les «Blancs» (il s’agit du terme employé dans les communautés, même si en réalité on devrait parler d’allochtones, car on y trouve aussi des nouveaux résidents non caucasiens). «Il y a beaucoup d’idées préconçues ou de jugements hâtifs, d’un côté comme de l’autre, analyse Mathieu Laflamme, candidat à la maîtrise en géographie. Les nouveaux résidents croient parfois que les Innus ne veulent pas établir de contact avec eux, et ils perçoivent cette attitude comme un rejet, tandis que les Innus sont frileux à l’idée de s’investir avec ces travailleurs, à cause du roulement de personnel trop élevé. Ils ont été blessés par le départ de certains dans le passé.»

Vie traditionnelle des Innus. Œuvre artisanale exposée au Conseil des Innus de Unamen Shipu.Photo: Laurie Guimond

Il faut aussi considérer que les enseignants et les travailleurs du milieu de la santé passent leurs journées en relation d’aide à discuter avec les Innus. «Certains préfèrent rester chez eux le soir pour se reposer. Peut-on les blâmer?, demande Katherine Jusseaume-Dumont. D’un autre côté, leur véritable intégration dans la communauté passe forcément par une multiplication des contacts en dehors du cadre formel du travail.»

Comme il n’existe que peu de lieux de socialisation à Unamen Shipu et à Nutakuan – pas de cafés ni de restaurants –, les interactions quotidiennes ont lieu dans les établissements de service. «Les travailleurs qui veulent réellement s’intégrer y parviennent sans peine», commente Mathieu Laflamme. «Comme ailleurs en société, certains individus s’intègrent facilement, alors que d’autres ont plus de difficulté ou n’y voient pas d’intérêt», résume Laurie Guimond. Pour ceux qui le souhaitent, les activités de plein air constituent un bon moyen pour se rapprocher des communautés autochtones. «Les Innus aiment que les nouveaux résidents s’intéressent à leur culture, notamment la chasse, la pêche et la cueillette», souligne Mathieu Laflamme.

Les étudiants ont relevé que le temps est un facteur important dans l’établissement de bonnes relations interethniques. «Les travailleurs qui sont là depuis au moins cinq ans sont plus à l’aise et échangent davantage avec les Innus hors du travail, remarque Katherine Jusseaume-Dumont. Il y a même certains “mercenaires”, arrivés pour l’argent, qui sont tombés en amour avec la communauté et qui ont prolongé leur séjour!»

Faire tomber les préjugés

Laurie Guimond est satisfaite de cette deuxième édition du cours (la première a eu lieu à l’automne 2014), ce type d’expérience étant très formateur pour les étudiants à plus d’un égard. «Afin de diffuser leurs résultats, les étudiants ont réalisé des entrevues à la radio, rédigé un dépliant qui sera distribué dans les communautés que nous avons visitées et effectué une présentation devant une quarantaine d’étudiants en développement territorial de l’Université de Lille», note-t-elle.

Les étudiants ont également apprécié l’expérience. «On entend souvent des préjugés et des stéréotypes à propos des communautés autochtones. Il n’y a rien comme habiter dans la communauté et côtoyer les gens pour se faire sa propre idée. Disons que cela change notre perspective!», conclut Katherine Jusseaume-Dumont.