Entre 2009 et 2015, le nombre d’étudiants en situation de handicap (ESH) à l’UQAM a presque triplé, passant de 520 à 1 514. Ce groupe représente aujourd’hui 3,6 % de la population étudiante. Parmi ces étudiants, le pourcentage de ceux qui présentent un handicap dit invisible – trouble d’apprentissage, d’attention ou de santé mentale – a augmenté de 38 à 78 %. À ce groupe s’ajoutent d’autres étudiants ayant des besoins particuliers (EBP): parents, des personnes issues de communautés autochtones, venues de l’étranger, vivant une situation économique précaire ou présentant un parcours atypique.
«On observe ces phénomènes non seulement à l’UQAM, mais aussi dans l’ensemble du milieu universitaire québécois, souligne Monique Brodeur, doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation. Les efforts déployés par le système éducatif québécois et le développement de l’expertise en matière de prévention et de soutien ont permis de mieux répondre aux besoins particuliers de la population étudiante. Ainsi, plusieurs jeunes qui, auparavant, parvenaient difficilement à compléter leurs études secondaires réussissent aujourd’hui à accéder au cégep et à l’université.»
Monique Brodeur préside le Groupe de travail sur l’éducation inclusive, mis sur pied en janvier 2016. Celui-ci devait se pencher sur les défis posés par la diversification croissante des profils au sein de la population uqamienne. Le 7 novembre dernier, la Commission des études a adopté à l’unanimité le rapport final du groupe intitulé «Éducation inclusive: une responsabilité collective, une occasion socioéducative pour l’UQAM». On se souviendra que le Groupe de travail avait soumis, en mai 2016, un rapport préliminaire, qui a fait l’objet d’une consultation.
«Une présence plus forte des ESH et des EBP à l’université constitue une bonne nouvelle», dit la doyenne, selon qui il existe une parenté entre les valeurs propres à l’éducation inclusive et celles de l’UQAM. «Notre mission originelle repose justement sur l’accessibilité aux études universitaires, souligne Monique Brodeur. Il n’est pas étonnant que le premier service québécois d’accueil et de soutien aux étudiants en situation de handicap, le SASESH, ait été mis en place à l’UQAM, dès 1985. Deux ans plus tard, l’Université a adopté la Politique 44 d’accueil et de soutien à cette population étudiante. C’est cette valeur d’accessibilité qui doit nous guider dans la mise en œuvre de l’éducation inclusive.»
Une obligation légale
Créer un environnement d’apprentissage et d’enseignement exempt de préjugés et de pratiques discriminatoires à l’égard des étudiants ayant des besoins particuliers est devenue une obligation légale à laquelle les universités, l’UQAM y compris, ne peuvent pas se soustraire, rappelle la doyenne.
Fondé sur la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, le cadre normatif québécois en matière d’inclusion s’est incarné dans des lois et des politiques qui touchent directement le droit à l’éducation postsecondaire. Révisée en 2004, la Loi assurant l’exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale réaffirme l’obligation des institutions publiques et parapubliques de favoriser l’inclusion des personnes en situation de handicap. En 2011, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a déposé un avis juridique sur l’obligation d’accommodement pour les personnes en situation de handicap.
Comme le souligne le rapport du Groupe de travail, ces changements apportés au cadre légal convergent avec l’évolution des cadres conceptuels guidant l’inclusion des personnes en situation de handicap. Une évolution marquée par le passage d’un modèle médical à un modèle social de compréhension du handicap.
«L’éducation inclusive appelle des changements dans la façon d’accompagner les étudiants dans leur cheminement d’études ainsi que dans les pratiques pédagogiques des professeurs et des chargés de cours»
Monique brodeur,
Doyenne de la Faculté des sciences de l’éducation
Une avenue prometteuse
Un nombre croissant d’universités dans le monde, notamment en Europe et aux États-Unis, s’est engagé dans la voie de l’éducation inclusive, note le rapport. «Pour que l’UQAM réponde adéquatement aux besoins des étudiants en situation de handicap, l’éducation inclusive constitue, selon la littérature scientifique, l’avenue la plus prometteuse», observe Monique Brodeur.
L’éducation inclusive repose sur deux principes. Le premier renvoie à la «normalisation» de la diversité qui existe au sein de la population étudiante. Le soutien aux ESH s’inscrit ainsi dans une vision plus large d’appui à l’ensemble des étudiants qui sont à risque d’échouer pour des raisons étrangères à leur apprentissage. «La diversité ne représente pas un problème, mais un défi et une source d’enrichissement», souligne la doyenne. Le second principe est lié à la nécessité de créer un environnement éducatif physique, organisationnel, technologique et pédagogique qui favorise la réussite de chacun. «L’éducation inclusive appelle des changements dans la façon d’accompagner les étudiants dans leur cheminement d’études ainsi que dans les pratiques pédagogiques des professeurs et des chargés de cours», indique Monique Brodeur.
Le concept d’éducation inclusive milite en faveur d’une approche mixte combinant deux voies complémentaires: des mesures inclusives permettant d’aménager de manière durable un environnement éducatif accessible à l’ensemble des étudiants et des accommodements individualisés pour aider des personnes à surmonter un obstacle particulier à un moment précis. «Une telle approche n’implique pas d’abaisser les exigences académiques associées à la recherche de la rigueur et de l’excellence», soutient la doyenne.
Inflation des demandes
Le SASESH propose actuellement une myriade d’accommodements individuels: adaptation des horaires, aide à la prise de notes, octroi de temps additionnel lors des examens, conversion de documents en format accessible, services de counseling et de tutorat. «Le recours privilégié à ce type d’accommodements ne permet pas de répondre à l’inflation récente des besoins et des demandes», observe Monique Brodeur. Ces accommodements reposent sur un modèle centré exclusivement sur l’évaluation individuelle, accaparent beaucoup de ressources et assurent une intégration ponctuelle, plutôt qu’une véritable inclusion.
La voie des mesures inclusives fait plutôt appel à des stratégies pédagogiques et à des modes d’évaluation variés, à l’emploi d’outils technologiques (matériel didactique en ligne) pour compléter les prestations en classe ainsi qu’à un environnement de travail collaboratif. Elle facilite la réussite des étudiants en situation de handicap, mais aussi celle des autres étudiants ayant des besoins particuliers, met à contribution l’ensemble de la communauté universitaire et pas seulement un service en particulier. Elle favorise enfin la réduction du nombre de demandes individuelles d’accommodements.
«Le projet d’éducation inclusive doit être porté par l’ensemble de la communauté universitaire. C’est la clé du changement. L’UQAM peut faire mieux, mais elle ne part pas de zéro, bien au contraire.»
«La mise en place de mesures inclusives doit être poursuivie de manière progressive, dit la doyenne. Cela ne remet pas en question les accommodements individualisés, qui ont toujours leur place, mais les mesures inclusives doivent prévaloir.» Le succès de cette approche repose, par ailleurs, sur un soutien au personnel enseignant, lequel est confronté à des demandes croissantes d’accommodements. «Le rapport propose, notamment, d’offrir de la formation et de former des communautés de pratique afin de favoriser les échanges», note Monique Brodeur.
Recommandations
Dans son rapport, le Groupe de travail recommande, entre autres, de nommer une personne responsable détenant une expérience d’enseignement, qui relèverait du vice-recteur à la Vie académique, pour assurer le développement d’une stratégie d’ensemble et d’un plan d’action. Il recommande aussi de former un Comité conseil institutionnel permanent, qui formulera une politique d’éducation inclusive, en assurant son arrimage aux politiques et règlements concernés, et proposera une stratégie d’information et de sensibilisation auprès des responsables de programmes, des départements, des facultés et des services.
«Le projet d’éducation inclusive doit être porté par l’ensemble de la communauté universitaire, insiste la doyenne. C’est la clé du changement. L’UQAM peut faire mieux, mais elle ne part pas de zéro, bien au contraire.»