Les femmes ont beau représenter 52 % de la population montréalaise, elles ne constituent que 42 % des 103 élus municipaux. «Même si elles sont plus nombreuses qu’auparavant dans les conseils d’arrondissement, beaucoup reste à faire pour atteindre la parité hommes-femmes dans l’appareil politique municipal, observe la professeure du Département de géographie Anne latendresse. En outre, les comités consultatifs en urbanisme, qui étudient les projets de construction et d’aménagement urbain et donnent des avis aux conseils d’arrondissement, sont presque entièrement composés d’hommes. Bref, ce sont encore les hommes qui pensent et qui gèrent la ville.»
La chercheuse s’intéresse au rapport des femmes à la ville, en particulier au logement. Ce chantier de recherche s’inscrit en continuité avec ses travaux réalisés sur le mouvement pour le droit au logement au Brésil. «Le leadership de ce mouvement s’est féminisé entre 2000 et 2010 et a eu un impact dans des villes comme Rio de Janeiro et Sao Paulo. Aujourd’hui, la municipalité de Sao Paulo, par exemple, favorise les femmes victimes de violence conjugale et les femmes chefs de familles monoparentales dans ses politiques d’attribution du logement social, souligne la chercheuse. Cela m’a amenée à me questionner sur le rôle que les femmes ont joué à Montréal dans leur quête pour une plus grande égalité.»
Repenser la ville
L’arrivée massive des femmes sur le marché du travail dans les décennies 50 et 60 a constitué un point tournant dans le rapport que celles-ci entretiennent avec la ville. «De moins en moins confinées au foyer, les femmes côtoient désormais les hommes dans les rues, dans les transports en commun, dans les marchés publics, dans les milieux de travail et dans les institutions publiques. Pourtant, malgré cette présence accrue dans l’espace urbain, la ville continue à être pensée par des hommes pour des hommes», soutient Anne Latendresse.
Au Québec, au cours des années 80 et 90, des militantes d’organisations féministes et de partis politiques municipaux, de même que des professionnelles de l’urbanisme et de l’aménagement ont questionné la non-reconnaissance des femmes dans la ville et les inégalités qui y étaient associées. «On assiste alors à l’émergence de nouvelles pratiques visant à repenser la ville sous l’angle de l’égalité entre les femmes et les hommes», souligne la professeure. À cette époque, des citoyennes de Montréal attirent l’attention des autorités municipales sur une série de problèmes: l’iniquité salariale, l’accès inégal à l’emploi, la violence faite aux femmes, le manque de garderies et la pénurie de logements abordables. «S’inspirant de leurs consoeurs de Toronto, des groupes de femmes entreprennent des marches exploratoires pour identifier des lieux à Montréal où les femmes ne se sentent pas en sécurité.»
L’arrivée au pouvoir du Rassemblement des citoyens et citoyennes de Montréal (RCM), en 1986, permet la mise en place d’un programme intitulé «Femmes et Ville», qui comporte notamment un plan d’aménagement sécuritaire pour les femmes dans les quartiers, rappelle Anne Latendresse. Deux ans plus tard, le collectif Femmes et ville dépose un mémoire réclamant des élus municipaux que les besoins spécifiques des femmes soient pris en compte tant dans l’élaboration du plan d’urbanisme que dans l’ensemble des activités municipales.
Il faut attendre 2004 pour que soit mis sur pied un premier organisme consultatif, le Conseil des Montréalaises, dont le mandat consiste à produire des avis, à soumettre des recommandations et à diffuser de l’information en matière d’égalité hommes-femmes. «Au fil des ans, le conseil a soumis quelque 140 mémoires, note la professeure. Il a plaidé pour l’application par l’administration municipale de l’analyse différenciée selon les sexes, laquelle cherche à tenir compte des besoins différents des femmes et des hommes dans les allocations budgétaires prévues pour les divers services municipaux, notamment en matière de loisirs, de culture et de revitalisation urbaine.»
À l’automne 2005, neuf déclarations citoyennes provenant de femmes d’autant de quartiers ont été soumises au maire de Montréal afin d’identifier les services à développer dans les domaines du transport, du logement, des commerces et des services de proximité.
Vers la parité
Avec les membres des minorités visibles et des minorités ethniques, les Autochtones et les personnes handicapées, les femmes représentent l’un des cinq groupes visés par la Loi québécoise sur l’accès à l’égalité en emploi dans les organismes publics. «Conformément à la loi, la Ville de Montréal et la plupart des municipalités ont créé des programmes d’accès à l’égalité en emploi pour permettre aux femmes d’occuper des postes de cadres à différents niveaux de l’appareil municipal, ce qui a produit certains résultats», souligne Anne Latendresse. Cela dit, beaucoup de progrès reste à accomplir quand on sait que la fonction publique montréalaise ne compte que 38 % de femmes.
En 2008, la Ville de Montréal a adopté une politique intitulée «Pour une participation égalitaire des hommes et des femmes à la vie de Montréal», qui a été assortie de deux plans d’action. «Se doter d’une politique est une bonne chose en soi, dit Anne Latendresse. Toutefois, hormis le Conseil des Montréalaises, qui n’a pas de réel pouvoir et dont les budgets et les ressources ont diminué ces dernières années, il n’existe pas de véritable instance pour veiller à l’application de cette politique.»
Des femmes sur le terrain
La professeure constate par ailleurs que les besoins spécifiques des femmes sont de mieux en mieux intégrés aux préoccupations des organismes communautaires montréalais. «Dans le quartier Centre-sud de Montréal, le Centre d’éducation et d’action des femmes (CÉAF) a conçu récemment un photoroman à partir d’une centaine de témoignages de femmes ayant vécu des situations de harcèlement et de violences sexuelles en tant que locataires. Il s’agit de femmes vivant dans des maisons de chambres, dans des HLM ou dans des coopératives d’habitation. Le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), qui collabore avec le CÉAF, a créé un comité femmes, de même que la Fédération des OSBL d’habitation (FOHM).»
Le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) a maintenant une responsable de la question des femmes, qui travaille avec la Ville de Montréal pour que la réalité particulière des femmes itinérantes soit mieux reconnue. La Fédération inter-municipale des coopératives d’habitation de l’Ile de Montréal a obtenu des fonds de Condition féminine Canada pour un projet de recherche de trois ans portant sur la participation des femmes aux instances de gouvernance des coopératives.
«Les femmes ont toujours assuré une présence forte dans les groupes communautaires à Montréal. Reste à combler le fossé entre cette réalité de terrain et la faible représentation des femmes dans les instances municipales décisionnelles», conclut la chercheuse.