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Des effets pervers

La loi sur la pratique de la psychothérapie a exclu des charlatans, mais aussi des professionnels compétents.

Par Claude Gauvreau

7 novembre 2017 à 15 h 11

Mis à jour le 7 novembre 2017 à 15 h 11

La loi 21 suscite du mécontement parmi les psychothérapeutes au Québec.

Plusieurs dizaines de personnes se sont réunies à l’UQAM, le 2 novembre dernier, pour voir le documentaire PsyCause ou comment la loi 21 ne fait pas que des heureux, du réalisateur indépendant Jean-Pierre Roy. La projection a été suivie d’une table ronde réunissant le réalisateur et les professeurs du Département de psychologie Louis Brunet et Pierre Plante, afin de discuter de l’état de la psychothérapie au Québec. L’événement était organisé par le Département de psychologie et l’Association générale des étudiants de cycles supérieurs en psychologie. 

Jean-Pierre Roy est aussi l’auteur du reportage Thérapie dangereuse, réalisé en 2003 pour l’émission Enjeux de Radio-Canada. Ce reportage avait provoqué un débat de société sur les dérives de la psychothérapie au Québec et sur l’absence de législation pour encadrer les pratiques des psychothérapeutes.

«Aujourd’hui, tout le monde reconnaît que le projet de loi 21, adopté en 2009, a permis de faire le ménage en éliminant un certain nombre de charlatans, a souligné le réalisateur. Malheureusement, cette loi a aussi engendré des effets pervers en excluant des professionnels compétents, qui avaient une pratique établie depuis plusieurs années. C’est ce que démontre mon nouveau documentaire PsyCause

Une première

Avant l’adoption du projet de loi 21, aucune loi au Québec ne régissait la pratique de la psychothérapie et l’usage du titre de psychothérapeute. La loi  a modifié le Code des professions et redéfini les champs de pratique dans les domaines de la santé mentale et des relations humaines pour, notamment, les professions de psychologue, de travailleur social, de thérapeute conjugal et familial, de conseiller d’orientation et de psychoéducateur. Elle prévoit également une définition de la psychothérapie, une réserve de la pratique et du titre de psychothérapeute aux médecins, aux psychologues et aux membres des ordres professionnels pouvant être titulaires du permis de psychothérapeute. C’est l’Ordre des psychologues du Québec (OPQ) qui gère les permis.

Nul ne peut pratiquer les actes dits réservés (évaluation des troubles mentaux, évaluation psychosociale) s’il n’est pas titulaire d’un permis. Ceux qui possèdent la formation nécessaire ont l’obligation de faire partie d’un ordre pour pratiquer certaines activités, tandis que ceux qui n’ont pas cette formation, mais qui ont longtemps travaillé dans le domaine, peuvent continuer à pratiquer s’ils se conforment à certaines exigences.

Aujourd’hui, de nombreux thérapeutes ne peuvent plus pratiquer, à moins d’investir temps et argent dans diverses démarches: diplôme universitaire de deuxième cycle, stage supervisé de 600 heures, formation théorique en psychothérapie, etc.

«Les art-thérapeutes font de la psychothérapie en utilisant des techniques artistiques. De nombreux professionnels possédant une expertise dans leur domaine ont perdu leur emploi parce qu’ils n’ont pu obtenir un permis. Cela a pour conséquence de limiter la diversité des modèles et des interventions, et de réduire le panier de services offert à la population.»

Pierre Plante,

Professeur au Département de psychologie

Abus de pouvoir

Le documentaire fait état d’abus de pouvoir de la part de l’OPQ dans l’application de la loi. Il donne la parole à des psychothérapeutes qui ont été exclus du système, de même qu’à des psychothérapeutes, dont le permis de pratique est émis par l’Ordre, qui estiment ne pas être traités sur le même pied que leurs collègues psychologues. On y entend, entre autres, le témoignage de Sylvain Turgeon, psychothérapeute spécialisé en toxicomanie, qui a 23 ans de pratique professionnelle. Celui-ci raconte que sa demande de permis lui a été refusée parce qu’il ne détient pas un diplôme de bac ou de cycle supérieur en santé mentale et en relations humaines. Pourtant, le psychothérapeute a obtenu, en 2003, un diplôme de deuxième cycle en toxicomanie de l’Université Laval. Un autre intervenant explique, sous le couvert de l’anonymat, qu’il travaille dans l’illégalité, sans permis, parce que sa formation n’est pas reconnue au Québec, alors qu’elle l’est dans plusieurs autres pays.   

Approche dogmatique

Au cours de la discussion, des personnes ont critiqué l’approche dogmatique des «données probantes». Peut-on exiger que l’ensemble des thérapies, incluant, par exemple, la massothérapie et l’art-thérapie, reposent sur des données probantes et quantifiables? Cela ne revient-il pas à déconsidérer toute opinion réfléchie, fondée sur des années de pratique? «Les recherches quantitatives et les données probantes ne m’effraient pas en général, a déclaré le professeur Louis Brunet. Ce qui me fait peur, par contre, c’est lorsque j’entends un membre de l’OPQ affirmer qu’il n’existe qu’une seule méthode pour traiter la dépression.»

L’Ordre des psychologues ne reconnaît pas les art-thérapeutes, a rappelé le professeur Pierre Plante, lui-même spécialiste de l’art-thérapie. «Les art-thérapeutes font de la psychothérapie en utilisant des techniques artistiques. De nombreux professionnels possédant une expertise dans leur domaine ont perdu leur emploi parce qu’ils n’ont pu obtenir un permis. Cela a pour conséquence de limiter la diversité des modèles et des interventions, et de réduire le panier de services offert à la population.»

Certains intervenants ont suggéré de revoir l’évaluation de la formation et des compétences des thérapeutes, plutôt que d’appliquer mécaniquement une grille rigide de critères prédéfinis. Selon Louis Brunet, la compétence et la qualité de la formation des psychothérapeutes devraient primer quand il s’agit d’évaluer une demande de permis. «En Ontario, par exemple, la formation donnée par l’Institut canadien de psychanalyse est immédiatement reconnue, ce qui n’est pas le cas au Québec.»

Le professeur a aussi insisté sur l’importance de créer une instance neutre, extérieure à l’OPQ, pouvant traiter les cas litigieux et venir en aide aux personnes lésées. «L’Ordre n’a pas démontré jusqu’à maintenant une capacité d’écoute et d’ouverture, ce qui est pourtant au fondement de la psychothérapie», a-t-il souligné.