Il est né à Montréal, y a toujours vécu et a consacré une grande partie de sa carrière à étudier et à enseigner son histoire. «Cette ville n’a jamais cessé de me fasciner», lance Paul-André Linteau. Professeur au Département d’histoire depuis 1969 et pionnier de l’histoire urbaine au Québec et au Canada, il vient de publier Une histoire de Montréal chez Boréal. En ces jours où l’on célèbre le 375e anniversaire de la fondation de Montréal par Maisonneuve et Jeanne Mance, le chercheur nous parle de son ouvrage.
«Mon père m’amenait souvent avec lui en voiture pour me faire découvrir différents quartiers. Quand j’étudiais au collège classique, dans les années 50, je prenais chaque jour l’autobus dans le quartier Ahuntsic pour aller à Outremont. Je traversais les quartiers italien, juif et grec, ceux des trois plus importantes communautés ethniques de Montréal à cette époque. Cela a nourri mon intérêt pour la métropole», raconte le professeur.
Une histoire de Montréal fait le pont avec deux ouvrages précédents de Paul-André Linteau: Histoire de Montréal depuis la Confédération (1992, rééd. 2000) et Brève histoire de Montréal (1992, rééd. 2007). Moins détaillée que le premier mais plus étoffée que le second, cette nouvelle synthèse intègre les recherches les plus récentes. «Plusieurs études intéressantes ont été réalisées ces dernières années, entre autres sur la période de la Nouvelle-France, sur la population montréalaise et sur l’immigration française, note l’historien. J’ai même découvert récemment une recherche sur l’esclavage d’Amérindiens à Montréal, à l’époque de la Nouvelle-France.»
L’ouvrage brosse un portrait le plus complet possible de Montréal, en tenant compte des multiples dimensions de son histoire: démographiques, économiques, spatiales, sociales, culturelles et politiques. «Une synthèse est une lecture englobante, observe Paul-André Linteau. Elle met en œuvre les connaissances existantes et intègre la diversité des points de vue pour comprendre une société donnée.»
« Montréal est d’abord un carrefour géographique, à la confluence de plusieurs cours d’eau auxquels se greffent divers moyens de transport, faisant de la ville un nœud de communication, une interface essentielle dans les échanges entre l’Europe et l’Amérique.»
Paul-André Linteau,
Professeur au Département d’histoire
Tendances de fond
Le chercheur a choisi des éléments marquants afin de tisser un récit qui donne un sens à l’évolution de la ville. Il s’est donc intéressé aux tendances de fond qui ont façonné Montréal à différents moments de son histoire.
«Montréal est d’abord un carrefour géographique, à la confluence de plusieurs cours d’eau auxquels se greffent divers moyens de transport, faisant de la ville un nœud de communication, une interface essentielle dans les échanges entre l’Europe et l’Amérique», dit Paul-André Linteau. Montréal est un carrefour où circulent non seulement des marchandises et des personnes, mais aussi des idées, des cultures et des influences multiples. «La ville est un creuset interculturel. Elle a été marquée depuis plus d’un siècle par des vagues migratoires successives, principalement européennes: d’abord des Juifs, des Italiens, des Grecs et des Portugais, puis des Haïtiens, des Chinois, des Pakistanais et, plus récemment, des Libanais, des Algériens et des Marocains.»
Depuis ses débuts, Montréal joue un rôle de métropole. «Au Québec, les villes sont nées avant les campagnes, rappelle le professeur. Montréal organisait un territoire beaucoup plus vaste que le sien et son rayonnement s’étendait sur une grande partie du continent nord-américain. Cette fonction de métropole lui a permis d’attirer du capital, des investisseurs, des entrepreneurs et aussi de l’information, qui se concentre toujours là où se trouvent les richesses et le pouvoir. Montréal est le laboratoire social du Québec, son foyer culturel et intellectuel avec ses nombreuses institutions d’enseignement.»
Une fibre francophone
Ce qui distingue Montréal avant tout, c’est sa fibre francophone, soutient Paul-André Linteau. «Cette ville a été fondée par une poignée de Français et leurs descendants y ont joué un rôle fondamental.» Cela dit, l’apport des peuples de souche britannique a aussi profondément marqué Montréal en laissant des traces durables dans l’organisation spatiale et économique du territoire, dans les institutions et la sociabilité urbaines ainsi que dans le patrimoine architectural.
L’influence religieuse est un autre phénomène important. «À l’origine, Montréal est une colonie missionnaire, rappelle le professeur. Des tensions apparaissent entre catholiques et protestants dès le 19e siècle, lesquelles donneront naissance à des commissions scolaires publiques distinctes. Le paysage urbain est aussi marqué par la présence de nombreuses églises. Les paroisses deviennent des lieux d’identité et de référence importants jusqu’aux années 60 et 70.»
La diversité ethnique et religieuse a certes généré des conflits, mais moins peut-être que dans d’autres grandes villes. «Les tensions ont amené les groupes à se protéger et à développer un système de cloisonnements en fonction de la religion et de la langue. C’était chacun dans sa cour. En plus des écoles, des paroisses catholiques, protestantes et anglo-catholiques sont apparues. Ce système, sans jamais être totalement imperméable, a limité les interactions.»
« Montréal est le laboratoire social du Québec, son foyer culturel et intellectuel avec ses nombreuses institutions d’enseignement.»
Période de morosité
Dans les chapitres concluant son ouvrage, Paul-André Linteau se penche sur les quatre dernières décennies. La période de 1976 à 1996 est particulièrement éprouvante sur le plan économique, notamment pour le secteur manufacturier mais aussi pour l’industrie lourde. Le long du canal de Lachine, dans le Centre-Sud et dans Hochelaga-Maisonneuve, des usines anciennes, dont plusieurs étaient associées aux domaines du textile, de la chaussure et de la transformation alimentaire, ferment les unes après les autres. «Le modèle sur lequel Montréal avait basé sa croissance depuis le 19e siècle disparaît progressivement, note le chercheur. Avec l’ouverture du commerce international à partir des années 60, Montréal perd son rôle d’interface. Grâce aux investissements américains, la nouvelle économie financière et de services se développe plus rapidement à Toronto qui, dès la décennie 60, supplante Montréal à titre de métropole financière du Canada.»
Montréal entre dans une phase de déclin économique et connaît deux récessions majeures au début des années 80 et 90. «La désindustrialisation ne signifie pas la disparition totale du secteur manufacturier, seulement celle des anciennes façons de produire, remarque Paul-André Linteau. Pendant une trentaine d’années, deux générations de travailleurs peu qualifiés ne peuvent occuper les nouveaux emplois et doivent vivre de l’aide sociale ou du chômage.»
Une renaissance
Depuis 1996, Montréal connaît une renaissance qui s’appuie principalement sur une transformation de son tissu économique. Des entreprises hautement spécialisées du secteur manufacturier et des nouvelles technologies se développent dans des créneaux bien définis et desservent le monde entier. «Montréal s’est ajustée à l’économie mondialisée et a créé des niches dans des domaines de pointe – produits biopharmaceutiques, aéronautique, informatique, télécommunications – ainsi que dans les services – firmes d’ingénierie, bureaux d’avocats et de comptables», observe le professeur. Cette nouvelle activité économique, nécessitant une main-d’œuvre qualifiée, n’a pas fait disparaître les fractures sociales, mais a eu des retombées positives dans plusieurs domaines. «Cela a attiré de nouveaux immigrants et favorisé une poussée de la construction résidentielle, laquelle se maintient depuis une vingtaine d’années.»
La vie politique municipale s’est démocratisée à Montréal avec l’arrivée au pouvoir du Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM) au milieu des années 80. La création des arrondissements a favorisé le rapprochement entre les élus et les citoyens, et a permis à ceux-ci d’influencer plus directement les décisions sur leur environnement immédiat. «La vie de quartier a toujours été importante à Montréal, souligne Paul-André Linteau. On note une continuité dans le temps entre les appartenances paroissiales d’hier et les appartenances locales d’aujourd’hui.»