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Hommage à Jean-Philippe Fauteux

Le chargé de cours reçoit le prix René-Jodoin pour sa contribution au cinéma d’animation.

Par Claude Gauvreau

27 novembre 2017 à 17 h 11

Mis à jour le 7 juin 2022 à 10 h 22

Jean-Philippe Fauteux, chargé de cours à l’École de design. Photo: Nathalie St-Pierre

Chargé de cours à l’École de design depuis 1995, Jean-Philippe Fauteux est un artisan du monde de l’animation. De nature modeste, il a souvent travaillé dans l’ombre. N’empêche, les Sommets du cinéma d’animation et la Cinémathèque québécoise lui ont décerné, le 25 novembre dernier, le prix René-Jodoin 2017. Cette distinction, qui porte le nom du fondateur du studio d’animation du Programme français de l’Office national du film (ONF), lui a été remise lors du Festival international des Sommets du cinéma d’animation de Montréal. Elle récompense, depuis 2015, une personnalité marquante, influente et engagée de l’art de l’animation au Canada.

«En janvier dernier, Marco de Blois et Marcel Jean, de la Cinémathèque québécoise, m’ont informé que je serais le prochain lauréat. Je leur ai fait remarquer que bien d’autres personnes méritaient plus que moi de recevoir ce prix. Ils m’ont dit que c’était non négociable et que je devais garder ça secret. Même ma blonde n’était pas au courant!», raconte en riant Jean-Philippe Fauteux.

Le chargé de cours a toujours baigné dans l’univers des images animées. «Quand j’étais enfant, je passais mes étés au chalet de mon grand-père. Propriétaire de salles de cinéma dans les Cantons de l’Est, il avait un appareil de projection et nous regardions de vieux films en 16 et 35 mm, dont des films d’animation.»

Au début des années 1970, Jean-Philippe Fauteux voulait faire de la bande dessinée. Mais comme il n’y avait pas de marché au Québec pour ce type de créations, il s’est tourné vers le dessin animé. «Un jour, en 1971, je me suis inscrit au Centre de la main-d’œuvre, en quête d’un emploi dans ce domaine. On m’a remis une carte de Motion Picture Cartoonist. Quelques jours plus tard, j’ai appris qu’une compagnie de production de films, basée à Ottawa, était à la recherche d’un dessinateur. J’ai présenté deux ou trois dessins et ils m’ont embauché pour faire le story board d’un film d’animation de marionnettes. Ce fut mon premier contrat.»

Un «surchargé» de cours

Au cours de sa carrière, le chargé de cours a fait de la photo, de l’illustration, du graphisme et a réalisé des courts métrages d’animation. Il s’est impliqué, notamment, dans le chapitre canadien de l’Association internationale du film d’animation, de 1984 à 1992. Il a aussi œuvré à titre d’évaluateur professionnel, spécialisé dans le domaine de l’animation et des archives audiovisuelles. Mais il a surtout consacré ses énergies à l’enseignement de l’animation. C’est d’ailleurs cet aspect de son engagement que le jury du prix René-Jodoin a tenu à souligner. «Je suis un surchargé de cours», dit ce pince-sans-rire qui a enseigné  en même temps dans deux établissements: à l’Université du Québec en Outaouais (UQO), de 1986 à 2016, et à l’École de design. «C’est Georges Singer qui m’a recruté à l’UQAM, en 1984, pour le remplacer pendant un congé. Depuis 1995, j’y enseigne à temps plein.»

Durant ces années, Jean-Philippe Fauteux a enseigné à l’UQO l’animation, la photo et tout ce qui touche l’interactivité. À l’UQAM, il donne des cours sur la conception et le langage audiovisuels, sur l’animation et sur la réalisation de mini métrages. «L’enseignement m’a permis de me consacrer à ce que je préfère par-dessus tout, soit concevoir et monter des projets, faire du prototypage. Je peux voir 50 scénarios d’animation par semaine. C’est comme si je travaillais à autant de films à travers les projets des étudiants. Ils ont plein d’idées que je ne pourrais jamais avoir si je travaillais seul de mon côté.» 

Le chargé de cours a contribué à la formation d’une nouvelle cohorte d’artistes talentueux – Nicolas Brault, Patrick Doyon, Daniel Faubert, Nicolas Ménard et Daphnée Leduc-Laprise, pour ne citer qu’eux –, qui excellent aussi bien en animation qu’en design et en médias interactifs. «Aujourd’hui, ils sont tous dans les ligues majeures. Patrick Doyon a été nominé aux Oscars, alors que Nicolas Ménard et Nicolas Brault ont remporté de nombreux prix en Europe et Amérique du Nord.» Jean-Philippe Fauteux se réjouit de leur succès, sans nécessairement en retirer une fierté personnelle. «Je ne suis qu’un coach, observe-t-il. J’essaie d’aider mes étudiants à aller au bout de leurs idées. J’ai toujours voulu qu’ils fassent leur film, pas le mien, et que ce film figure parmi les meilleurs.»

Chaque année, il repère des étudiants qui ont du potentiel et les incite à persévérer. L’an dernier, l’une de ses étudiantes a remporté un prix à Toronto en tant que designer numérique émergente et, cette année, elle était membre du jury aux Sommets du cinéma d’animation. «Tout le monde peut remarquer le potentiel d’un étudiant, mais personne n’est capable de l’expliquer, moi pas davantage que les autres, observe le chargé de cours. Je vois parfois deux ou trois dessins mis bout à bout, qui deviennent des images animées sur un écran, et je me dis wow!»

Des films qui ne racontent rien

Jean-Philippe Fauteux est le cofondateur et directeur du festival de cinéma d’animation Dérapages, qu’il a lancé en 2000 avec des étudiants de l’UQAM en design graphique. Chaque année, des gens provenant de différentes disciplines (cinéma, design, multimédia, photographie), étudiants ou non, sont invités à créer un film d’animation sonorisé, non narratif, de moins de trois minutes. «L’idée de départ, explique le chargé de cours, était de montrer qu’il est possible de faire un film, de créer de l’émotion, grâce au mouvement, au rythme et à l’esthétique des images, sans trame narrative, sans même une idée de scénario. Dérapages, c’est ça: faire des films qui ne racontent rien, qui sortent des sentiers battus, qui repoussent les limites de la création cinématographique traditionnelle.»

Les participants au festival travaillent à partir de différents matériaux, comme des chutes de films déjà tournés ou d’archives. Les images sont détournées, assemblées, organisées et superposées pour devenir autant de stimuli rétiniens, faits de collages, de hachures et de grattages. Elles peuvent être aussi bien abstraites que figuratives. «Le résultat est souvent fascinant, dit Jean-Philippe Fauteux. On se trouve face à des images qu’on n’aurait jamais pu imaginer avant de les voir sur écran.»

Lors des premières éditions, tous les films soumis étaient présentés au festival. Puis, devant l’abondance des productions, d’ici et de l’étranger, les organisateurs ont établi des critères de sélection. Depuis, l’École de design a créé le cours «Dérapages», dans lequel les étudiants doivent concevoir des films non narratifs, dont les meilleurs sont présentés au festival.

Aujourd’hui, Jean-Philippe Fauteux dit n’avoir qu’un regret. Ne pas avoir été riche. «Parfois, j’aurais voulu aider financièrement des étudiants talentueux, qui avaient une signature personnelle. J’ai toujours été intéressé par le cinéma d’animation d’auteur, parce qu’il est source d’innovation, d’expérimentation et de liberté.»